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Théâtre de Carouge
Carouge, Théâtre : “Le mystère Shakespeare“

Le Théâtre de Carouge rend hommage à l’immense Shakespeare, grâce à un divertissement mis en scène par Guillaume Chenevière. Entretien.

Article mis en ligne le février 2008
dernière modification le 2 mars 2008

par Jérôme ZANETTA

Du 5 février au 2 mars, le 50e anniversaire du Théâtre de Carouge se poursuit avec un hommage rendu à l’immense Shakespeare qui n’en finit pas de nous surprendre et de nous envoûter, bien au-delà des violentes controverses dont il est aujourd’hui encore l’objet. Guillaume Chenevière l’a bien compris dans ce divertissement initiatique qu’il nous propose avec malice et passion. Entretien.

Les mystères qui entourent la personne insolite de Shakespeare ne sont-ils pas multiples ?
G.C. : C’est certain. Mais au point de départ de ce spectacle sont les différentes controverses qui ont opposé les plus grands spécialistes de leur temps, afin de se mettre d’accord sur la façon dont Shakespeare considérait ses œuvres et pour arriver à la conclusion qu’une telle question devenait caduque, du moment que l’on sait que Shakespeare n’a jamais émis d’opinions sur ces écrits ou alors, seulement dans des cas très particuliers, liés à des circonstances particulières lors de certaines représentations. De fait, il est tout à fait fascinant de penser qu’un homme dont la vie était vouée aux productions théâtrales nous a laissé une des sommes majeures de la littérature mondiale, et ce probablement, sans en avoir eu conscience ! Il est par exemple étonnant de penser qu’il n’y a pas une seule version définitive d’Hamlet, mais plusieurs et que Shakespeare lui-même ne s’était pas prononcé pour une version plutôt que pour une autre ! Partant, il me semblait intéressant de concevoir une aventure théâtrale qui raconte toute la richesse et toute la géniale fantaisie de cet homme, à travers son théâtre.

"Le Mystère Shakespeare". Photo : Marc Vanappelghem

Comment avez-vous conçu la trame de ce spectacle ?
Il s’agit donc d’une comédienne qui pense monter Shakespeare et s’étonne d’avoir tant de mal à le rencontrer, tant son silence et son absence sont manifestes. Et je crois que c’est plus que jamais aujourd’hui le vœu de nombreux passionnés de cet homme que de vouloir le faire sortir de l’ombre et du silence. Toutes les études et les essais publiés à son sujet le prouvent. La comédienne tombe alors sur la marionnette du Professeur Punch qui date de l’époque shakespearienne et est comme une synthèse de tous les savoirs sur la question du grand Will. Punch raconte, décrit, évoque et convoque même Shakespeare en personne, mais la comédienne est totalement insatisfaite et souhaite ne pas en entendre davantage. Shakespeare reste donc un mystère inviolable, comme le confirme Punch qui avoue que tous les spécialistes n’ont jamais pu en savoir plus. La seule manière de rencontrer Shakespeare est sans doute de le jouer et comme le dit Peter Brook, derrière chaque pièce de Shakespeare il y a une pièce secrète qu’on ne peut ni comprendre, ni analyser, mais seulement ressentir. Je souhaite donc pouvoir faire entendre au public non pas une mais la musique de Shakespeare, qui est, en dépit des apparences, la même dans Hamlet, dans Richard III, dans Le Roi Lear ou dans Falstaff.

Autant de pièces géniales dont il n’aurait pas eu une conscience véritable de l’impact et de la puissance littéraire ?
Parfaitement. Shakespeare a été en quelque sorte submergé par son génie. Il a d’abord été comédien et producteur, période durant laquelle il a gagné plus d’argent que ce qu’il touchera en tant qu’auteur. Le théâtre était sa vie matérielle et spirituelle. Lui et ses compagnons, ses troupes ont tous laissé de coquets héritages, ils ont aussi réussi socialement en rencontrant dans leur métier des gens importants et très influents. Mais Shakespeare avait aussi pour lui ce génie, dont il avait sans doute conscience, sans pour autant en parler autour de lui, dans ce petit monde du théâtre élisabéthain, mécanique bruyante et implacable. Il semble pourtant que Shakespeare s’est bien posé la question de son talent littéraire, lorsqu’il se livre à l’exercice des sonnets et qu’il renonce à ce genre trop conventionnel pour lui qu’est la poésie, pour retrouver définitivement le genre théâtral qui lui laisse une presque entière liberté et une autonomie certaine. On en veut pour preuve le récit d’Hamlet qui rapporte les atermoiements d’un jeune homme qui ne parvient pas à être en accord avec lui-même, sujet qui ne semble pas particulièrement favorable à un auteur-producteur en quête de succès public ! Et pourtant, là encore le mystère demeure, cette façon de parler de notre chaos intérieur trouve un écho qui n’a pas fini de nous troubler.

À vous entendre, on comprend bien que ce spectacle est en vous depuis longtemps.
Sans doute, car très jeune, j’ai eu la chance d’assister à une représentation d’Hamlet à la Comédie de Genève qui m’a profondément marqué et m’a incité à lire l’œuvre complet de Shakespeare et d’en faire même une conférence en classe avec une fougue passionnée, comme une déclaration d’amour que je réitère peut-être aujourd’hui ! J’ai d’ailleurs traduit la plupart des scènes jouées dans ce spectacle et me suis référé à la traduction d’Yves Bonnefoy pour le reste. Et puis, j’ai pris un réel plaisir à choisir les scènes jouées, dans le Shakespeare des débuts et celui de la fin. Ce choix s’est dessiné assez instinctivement, mais aussi presque inconsciemment selon les passages relevés par les commentateurs récents que j’ai pu lire. Quoi qu’il en soit, on se rend vite à l’évidence que toutes les scènes de son théâtre nous ramènent à l’essentiel de ses préoccupations, que la pièce soit tragique ou comique. Et c’est encore une preuve de la vision géniale et riche que Shakespeare avait du monde et des hommes ; il était à l’aise dans tous les registres et nous rend aujourd’hui attentifs au chaos qui règne derrière toute chose.

Parlez-nous de la cohérence de l’espace scénique qui accueille ces différents moments du théâtre de Shakespeare ?
C’est très simple, il s’agit d’un décor comme le grand grenier du Théâtre de Carouge avec ses fantômes et ses accessoires souvenirs qui renvoient tous à une émotion particulière. Et puis, cela va sans dire, la présence multiple des cinq comédiens qui vont revêtir plusieurs rôles, dont ceux que la tradition dit qu’ils ont été tenus par Shakespeare lui-même.

Propos recueillis par Jérôme Zanetta

Salle Gérard-Carrat, ma-je-sa à 19h, me-ve à 20h, di à 17h (rens. & loc. 022/343.43.43)