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Théâtre de Carouge
Carouge : “Philoctète“

Evénement à Carouge, avec Laurent Terzieff en Philoctète, sous la direction de Christian Schiaretti.

Article mis en ligne le février 2010
dernière modification le 23 février 2010

par Despoina NIKIFORAKI

Christian Schiaretti met en scène Philoctète, signé par le poète Jean-Pierre Siméon. Autour du grand comédien Laurent Terzieff, le metteur en scène ouvre en éventail la tragédie de Sophocle en créant un univers théâtral des plus épurés et entièrement intimiste.

Laurent Terzieff est le héros sophocléen éponyme, pestiféré et abandonné par ses camarades guerriers sur l’île déserte de Lemnos. La troupe de Schiaretti est mince : quatre choreutes et presque autant de personnages suffisent pour restituer les dilemmes et les choix multiples que pose la tragédie grecque aux destinataires contemporains.

« Philoctète »
Photo Christian Ganet

Ni traduction, ni adaptation
L’auteur du texte souligne qu’il ne s’agit ni d’une traduction ni d’une adaptation : « J’ai réinventé et réécrit le texte. Mais il reste une variation d’après Sophocle, dont j’ai gardé l’argument et les motifs centraux ». Inutile donc de tendre l’oreille pour intercepter le murmure d’une langue originelle car le texte de Siméon parle un langage contemporain.
Philoctète est la figure du héros solitaire : entêté, il forge obstinément son malheur en refusant de repartir pour Troie. Ulysse incarne la ruse : inventant un stratagème, il envoie Néoptolème, fils du vaillant Achille, se rendre acquéreur de l’arc de Philoctète grâce auquel, selon l’oracle d’Hélénos, Troie sera prise. Néoptolème, obéissant, au début, au projet mensonger d’Ulysse consent à remplir sa mission militaire mais, séduit par l’intégrité du héros, vacille et renonce à trahir la confiance que Philoctète lui a accordée. Finalement, Héraclès fait entendre l’ordre de sa voix divine.

Une présence grave et légère
Laurent Terzieff entre en scène par la voix : sa voix qui résonne dans l’espace précède l’apparition de son corps qui se glisse sous la porte du théâtre, véritable entrée de sa grotte. Le corps du personnage est gravement blessé : la jambe gangrenée de Philoctète est soutenue par le corps habile de Terzieff en équilibre dissymétrique. Le comédien est à la fois léger et grave, vieillard amer souffrant d’un mal physique et personnage de fou honnête attirant la sympathie de son jeune interlocuteur. Son phrasé est précis et vif. Johan Leysen, jouant le calculateur Ulysse, raisonne crûment, posément, avec inflexibilité, immédiateté et détermination. Le jeune Néoptolème (David Mambouch) est accompagné de sa troupe de soldats.
Le chœur de Schiaretti est travaillé comme un personnage ordinaire : un groupe de jeunes gens qui s’expriment sur le ton de la conversation ; les voix ne s’unissent qu’une seule fois. Une seule musique aussi. Seulement un bruit de tambours. Une seule fois.

« Philoctète » selon Schiaretti, avec Laurent Terzieff.
Photo Christian Ganet

Une scénographie austère
Le jeu des acteurs se passe à l’avant-scène et devant le premier rang des spectateurs. La scénographie de Fanny Gamet est austère : Elle obéit à la topographie antique. Depuis la mer (l’orchestra), on aborde une île (le proscénium) pour tirer un homme de sa grotte (la skéné) – et on s’arrête au rideau de fer », confie le metteur en scène. Une porte en acier symbolise la tanière infranchissable de Philoctète et quelques accessoires (très peu) de la vie au camp sont éparpillés sur le plateau : un casque, une panoplie, les boucliers et les épées des soldats, l’arc de Philoctète. A la scène finale, pour l’entrée d’Héraclès, le metteur en scène rompt avec l’austérité et renoue avec l’illusion : la porte tombe en arrière en créant un couloir étincelant donnant en perspective sur le ciel, soudainement, la figure du dieu se dresse devant Philoctète et les spectateurs.
Le retour de Philoctète à la guerre pour remporter la victoire entre en écho avec la présence de Terzieff sur les planches : Néoptolème qui vient chercher l’arc rencontre le héros et les deux ensemble entretiennent une relation de père et fils. Laurent Terzieff s’adresse à David Mambouch non pas seulement comme partenaire de jeu mais aussi comme maître à élève. La mise en scène de Schiaretti nous prouve absolument que le spectacle de la tragédie grecque peut être contenu entre quatre murs.

Despina Nikiforaki