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Théâtre de Carouge
Carouge : “Monsieur Chasse !“

La compagnie « L’outil de la ressemblance » et le metteur en scène Robert Sandoz investissent le théâtre de Carouge.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 29 janvier 2011

par Claudia CERRETELLI ROCH

Après Oceano mare d’Alessandro Baricco et Kafka sur le rivage, le metteur en scène Robert Sandoz s’attaque à une pièce de théâtre « traditionnelle », non issue du roman : la pièce préférée de Feydeau : Monsieur Chasse.

Il faut dire que la compagnie « L’outil de la ressemblance », fondée en 2002, aime avant tout les expériences théâtrales, aussi diverses qu’enrichissantes : la notion de durée théâtrale (pièce de vingt-quatre heures, détournement de lieux pour en faire des théâtres (temples protestants, endroits insolites, création dans un chantier) et superposition d’événements sont revisités au profit d’une vraie création, au sens noble du terme.
On découvre, lors de l’entretien avec Robert Sandoz, que Feydeau n’est pas juste un écrivain de vaudevilles, mais un observateur extraordinaire des comportements humains leurs besoins contradictoires. On découvre également un metteur en scène forgé par l’expérience au contact d’Olivier Py, notamment, ainsi que de nombreux metteurs en scène.

Robert Sandoz, pourquoi avoir choisi une pièce classique de répertoire comique s’il en est, après avoir adapté des romans poétiques, oniriques métaphysiques comme Kafka sur le rivage (d’après Haruki Murakami), Ocean Mer (Baricco) et Pluie d’été (Marguerite Duras) ?
En tant que jeune metteur en scène, j’aime avant tout l’expérimentation. J’ai eu l’occasion de tester de nombreux outils. Je pense que c’est un enrichissement d’utiliser ces outils pour des créations théâtrales très diverses. Je suis un homme de théâtre qui ne vient pas d’une école, et toute ma formation s’est faite par l’expérience, au contact de metteurs en scène. C’est peut-être pour cela que j’éprouve le besoin d’ouvrir mes horizons. En outre, je suis dans une compagnie qui est fixe et faite d’amis rencontrés à l’école, qui par la suite ont pris d’autres chemins. Certains ont fait des écoles de théâtre, toutes différentes : cela enrichit nos pratiques. Ensemble, nous sommes plus qu’une équipe, ce qui permet une énorme confiance pour explorer des voies nouvelles.

« Monsieur Chasse »
Photo L’outil de la ressemblance

Vous parlez souvent d’ « outils », et ce terme est aussi dans le nom de votre compagnie. Sur quels outils théâtraux avez-vous travaillé ?
Parmi ces « outils », je pense surtout –en ce moment, pour Monsieur Chasse, à la superposition d’événements. La création théâtrale est jalonnée de questions, à la fois théoriques, artistiques et techniques. Comment, par exemple, raconter plusieurs lieux sans changer de décor ? Je travaille beaucoup avec la lumière et avec la musique, qui sont capables de créer un ailleurs. J’aime l’idée d’un cumul de couches de compréhension, qui permettent aux une de rire d’un niveau et aux autres de se retrouver ailleurs dans la pièce. La question qui se pose avec les textes classiques dans un théâtre contemporain est aussi celle de la modernisation et du respect, du rythme, dans le cas des pièces comiques comme Feydeau.

Comment lisez-vous Feydeau ?
Je cherche à mettre le rythme et une mécanique de Feydeau en dialogue avec mon besoin de poésie et ma volonté de raconter. Les êtres des Feydeau sont lâches et cruels mais moi aussi, comme tout un chacun, je serais capable du pire dans la même situation. On évite l’ennui, avec Feydeau, lorsqu’on ne pense pas seulement « mécanique et rythme du rire », mais quand les personnages sont incarnés et qu’ils ne sont pas des simples caricatures de l’amant ou de l’épouse. Il faut que le spectateur sente l’enjeu, car il est de taille aujourd’hui, également, surtout dans une société où on a peu à perdre, matériellement. J’aurais voulu mettre un enfant dans ce couple, pour rendre l’intrigue plus grave : En effet, un couple qui se déchire est moins dramatique s’il n’y a pas d’enfant. Je dis peut-être cela parce que je suis un jeune père et comme tout homme de théâtre, je m’inspire de ce qui se passe dans ma vie, mais ce n’est pas parce qu’on rit franchement, parce que la pièce est drôle, que les répliques sont souvent à double sens – fin et graveleux, concret et abstrait - que le sujet n’est pas grave. Si c’était le cas, cela signifierait que Molière ne traite aucun sujet grave. Rire d’une chose ne signifie pas qu’on ne doive pas réfléchir. En fin de compte, Feydeau met un déguisement de vaudeville à des sujets sensibles.

Léontine - Elle m’a appris une des choses capitales qu’une femme mariée ne devrait jamais ignorer.
Duchotel - C’est ?
Léontine - Qu’où il y a des lapins, il n’y a pas de lièvres, où il y a des lièvres, il n’y a pas de lapins !(Acte 1, scène 4)

« Monsieur Chasse »
Photo L’outil de la ressemblance © DR

Robert Sandoz : un des enjeux de cette pièce est : peut-on nourrir à la fois son besoin de sécurité et son besoin d’aventure ? L’aventure peut être érotique comme dans le cas des pièces de Feydeau ou le fait de vouloir faire un tour du monde, par exemple. Chaque personnage a une vue différente, et toutes les possibilités mathématiques sont représentées : Léontine est d’accord de céder à son besoin d’aventure si son besoin de sécurité vient à disparaître. Son mari, lui, aimerait tout garder, quitte à se désavouer complètement. D’autres personnages, plus jeunes, comme Gontrand ne connaissent que le besoin d’aventure, ce qui est logique à dix-huit ans. Moricet est célibataire et mise sur l’aventure. Ainsi de suite…Ce problème nous concerne tous, car nous avons tous une envie de garder une base de sécurité et un élan qui nous pousse à l’aventure…Nous aimons explorer cette thématique du combat entre l’instinct et la raison lorsqu’il n’y a pas d’obstacle.

Lorsqu’on lit Monsieur Chasse, on est étonné de la modernité de ses personnages féminins…
C’est vrai. Léontine n’est pas dans un mariage arrangé comme on le voit chez Molière. Elle n’est pas prise dans une logique de la lutte des classes, comme chez Marivaux. Elle ne craint pas de parler de divorce, ni de parler de ses désirs inassouvis et des frustrations qu’elle vit dans son mariage. Elle n’a pas choisi son mari par besoin économique, elle peut risquer matériellement –et en termes de morale - de le perdre. Elle n’a aucune raison d’être avec cet homme à part l’amour. Souvent, on dit que Feydeau choisit des personnages bourgeois avec des « petits »problèmes. Moi, je crois qu’il choisit des personnages qui n’ont pas de problèmes d’argent, de travail ou de réputation, car alors se posent les vrais problèmes existentiels qui ne demandent plus aux personnages de devoir se contraindre au principe du bon sens. Un personnage comme Léontine est intéressant parce qu’elle a toutes les options ouvertes. Sinon, je ne pense pas que le problème du bourgeois intéresse particulièrement Feydeau. En tout cas, ce qui m’intéresse, moi c’est de partager avec tout le public…

Propos recueillis par Claudia Cerretelli

Du 14 janvier au 5 février. Salle François-Simon
(billetterie 022/343.43.43 ou Rue Ancienne 39, lun-ven 10h-17h, san 10h-14h)