Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Théâtre de Carouge
Carouge : “Mon Isménie !” & “On purge bébé ?“

Entretien avec les metteurs en scène Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier au sujet du diptyque présenté à Carouge.

Article mis en ligne le avril 2007
dernière modification le 17 octobre 2007

par Magali JANK

Du 17 avril au 6 mai, deux pièces des deux grands vaudevillistes du 19e siècle sont à l’affiche. Mon Isménie ! de Labiche et On purge bébé ! de Feydeau, deux comédies mettant en scène la figure du père dans son environnement familial. Après avoir créé en 2003 au Théâtre de Carouge Civet de Cycliste de l’auteur comique allemand Karl Valentin, la compagnie Pasquier-Rossier revient pour un diptyque, placé sous le signe du rire. Rencontre avec les metteurs en scène, Geneviève Pasquier (Mon Isménie !) et Nicolas Rossier (On purge bébé !).

Mon Isménie ! (1852) met en scène un père de 64 ans fou amoureux de sa fille Isménie. Victime d’une jalousie maladive, il parvient à éloigner tous les prétendants grâce à des stratagèmes de toutes sortes. Finalement, il cède et sa fille se marie. Dans On purge bébé ! (1910), la vie de famille se résume, quant à elle, à un vrai cauchemar. Elle met en scène un père de famille, tiraillé entre son travail – il fournit des pots de chambre aux soldats de l’armée française – sa femme, avec laquelle il a des rapports difficiles et son fils de 7 ans tyrannique, qui, atteint de constipation chronique, attend impatiemment une « purge ». Quiproquos, malentendus et situations loufoques rythment les deux pièces et mettent en évidence les travers humains non sans ironie et rires.

Le comique est-il votre registre de prédilection ?
Nicolas Rossier/Geneviève Pasquier : Nous apprécions la comédie, certes, mais pas uniquement. En revanche, nous avons une prédilection pour le répertoire absurde, voire surréaliste. Chez Labiche et Feydeau, les situations sont tellement extraordinaires, qu’elles en deviennent irréelles, nous permettant par instants de traiter le délire. Cependant le comique n’est pas tout à fait le même chez les deux auteurs.

Geneviève Pasquier met en scène "Mon Isménie !", de Labiche

Comment, selon vous, se traduit-il chez Feydeau ?
N.R : Le comique de Feydeau est davantage ancré dans sa vie personnelle, dans une réalité difficile : mariage détruit, dettes, etc. ll en devient même une sorte d’exutoire, puisqu’il écrit On purge bébé ! à ce moment-là. A travers la pièce, on perçoit un regard très critique vis-à-vis de la vie de famille, notamment envers la femme. En effet, Julie, la femme de Follavoine, est dépeinte comme une sorte de virago. L’homme quant à lui, n’est pour autant pas sublimé et apparaît comme lâche. Feydeau fait preuve d’une telle lucidité sur son propre enfer, d’une telle réserve quant à la vie, qu’il parvient à s’en amuser de façon extraordinaire.

Et chez Labiche  ?
G.P : Chez Labiche, le comique vient aussi d’un désespoir, mais celui d’un père extrêmement jaloux, qui ne veut pas laisser partir sa fille. Afin d’éloigner son prétendant, il invente toutes sortes de tromperies, rendant la situation très burlesque. On rit à ses dépens, mais aussi de la lâcheté de l’être humain. Malgré le comique des situations, la souffrance est néanmoins bien réelle. Les sentiments humains sont très présents et c’est ce qui m’intéresse. Feydeau présente peut-être davantage de comique de situation, mais dans le fond, la situation est la même dans les deux pièces : le père est victimisé et dépassé par la situation. Il est perdant. Chez Labiche, il se résigne, se dit « ruiné, anéanti, démoli » tandis que chez Feydeau il démissionne : « j’aime mieux m’en aller, j’aime mieux quitter la maison ! ».

Nicolas Rossier met en scène "On purge bébé !", de Feydeau

Pourquoi réunir ces deux pièces ? Sont-elles, pour vous, complémentaires ?
N.R/G.P : Les deux auteurs sont à peu près contemporains, les deux pièces ayant été écrites à environ 50 ans d’intervalle. Il nous semblait judicieux de réunir les deux fleurons du théâtre de boulevard (dans le bon sens du terme), sans toutefois amalgamer l’un avec l’autre. Chez Feydeau, un homme et une femme sont complètement dominés par leur « bébé » de 7 ans. Ce dernier va prendre une telle importance, qu’aucune vie de couple harmonieuse ne sera possible, ainsi qu’aucun succès professionnel d’ailleurs. Cette thématique s’inscrit à notre sens dans une problématique tout à fait moderne. Chez Labiche, c’est cette même problématique qui est déclinée à travers ce père qui aime trop sa fille. Dans un certain sens, les protagonistes des deux pièces n’ont pas envie d’accepter que leur enfant respectif a grandi. Ils n’ont surtout pas envie de s’apercevoir qu’en même temps, ils ont vieilli. Au final, les deux pièces sont des paraboles universelles sur le « lien ». Elles soulignent le paradoxe existant entre la recherche d’un lien à l’autre et une volonté d’indépendance.

Comment allez vous mettre en scène cette problématique ?
N.R/G.P : Dans Feydeau, le rôle du « bébé » sera joué par un adulte, et non par un enfant de 7 ans. On accentue ainsi le fait qu’en voulant conserver un enfant trop longtemps enfant, il devient une espèce de monstre, qui grossit et prend de plus en plus de place. En outre, cela donne un vrai sens à la scénographie, car le spectateur découvre ainsi la place qu’il prend réellement dans cette famille. C’est finalement la place de la famille dans la vie d’un individu qui est le point d’ancrage de ce projet. Ce sont ses déclinaisons et ses excès bien sûr qui sont présentés. La problématique est aussi traitée à travers les décors, différents d’une pièce à l’autre, mais non sans raison. Chez Feydeau, on découvre beaucoup de noirceur. C’est un appartement sombre, où un petit bureau est le seul refuge du père. Refuge dans lequel va faire intrusion la famille, empêchant toute sérénité. Chez Labiche, au contraire, la lumière domine avec comme cadre une maison drapée de tissu de robe de mariée blanc, accentuant la thématique du mariage de la fille. Seule figure sombre, celle du père. Comme chez Feydeau, on a l’impression que ce dernier est dépassé par son entourage et qu’il doit lutter pour pouvoir rester dans sa propre maison. Finalement, à travers ce contraste, les deux pièces sont ainsi liées visuellement et thématiquement.

Propos recueillis par Magali Jank

Au théâtre de Carouge, du 17 avril au 6 mai
location 022/343.43.43

Voir le site