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Théâtre des Amis, Carouge
Carouge : “John a disparu“

Le Théâtre des Amis présente John a disparu, une pièce d’Israël Horowitz.

Article mis en ligne le février 2009
dernière modification le 19 mars 2009

par Jeremy ERGAS

Du 7 janvier au 6 février, le Théâtre des Amis présente John a disparu, une pièce d’Israël Horowitz, mise en scène par Jean-Philippe Vidal, qui raconte comment une mère et sa fille affrontent la disparition de leur mari et père, John, mort dans l’attentat du 11 septembre. Impressions d’un spectacle intense où la violence verbale et émotionnelle est adoucie par le rire et l’amour.

« Fils de pute ! » hurle Pénélope à travers le restaurant où son mari, John, l’a invitée pour lui annoncer qu’il la quittait. John se fige, choqué par la violence de l’insulte. Il ne répond rien. Il sait qu’il est fautif. C’est lui qui a trompé sa femme avec sa secrétaire ; c’est lui qui a brisé sa famille pour quelques parties de jambes en l’air. Sur la scène sombre, divisée par trois longs rubans rouges et blancs, le silence dans lequel John s’emmure est pesant. Les spectateurs peinent à respirer dans l’atmosphère ramassée et intimiste du Théâtre des Amis. John aimait sa femme et sa fille Willa, mais John était un menteur et un tricheur. Aujourd’hui c’est un fantôme. Car John est mort le 11 septembre dans son bureau du World Trade Center et cette scène n’est qu’un flash-back. Une musique électronique emplit la salle, tranchante et évanescente à la fois. Les lumières s’éteignent et le public se retrouve plongé dans l’obscurité.

« John a disparu »

Déni
Ainsi se termine une scène centrale de John a disparu, centrale car elle montre John sous son vrai visage. Il n’est pas un héros parfait, contrairement à cette fausse image fabriquée par les médias américains : c’est simplement un homme, complexe et rempli de contradictions. Mourir dans des circonstances atroces ne rend pas les victimes meilleures que ce qu’elles étaient, même si face à une telle tragédie il est difficile pour les membres de la famille de regarder la réalité en face. Alors ils s’en détachent : ils créent des illusions pour survivre. John a disparu, mais Pénélope refuse d’accepter sa mort. Aucune trace de son mari n’a été découverte dans les décombres et elle sent la présence de son esprit autour d’elle.
Progressivement, la vie de Pénélope se centre autour de lui : elle n’existe qu’à travers le souvenir de son John qu’elle a complètement idéalisé. « John m’aimait » se persuade-t-elle. « Il ne m’aurait jamais quittée ».
Et même si elle apprend un matin que la mon-tre de son mari a été retrouvée au « Ground Zero » ; et même si – lors d’une de ses conversations secrètes avec John – elle avoue la part de haine qu’elle ressent à son égard ; elle ne parvient jamais à dire aux autres la vérité sur son mari. Elle continue à la cacher à sa fille qui la connaît déjà et qui elle-même se tait pour protéger sa mère. La pièce se termine ainsi, mère et fille enlacées dans le mensonge, mais enlacées tout de même, bravant la douleur et la tristesse ensemble.

« John a disparu »

Comme si…
La mise en scène de John a disparu est subtile et travaillée. De nombreuses scènes se ressemblent, cette similarité servant à exprimer la nature répétitive de la souffrance que l’on ressent lors de la mort d’un proche : heure après heure, jour après jour, les mêmes pensées sombres, les mêmes souvenirs pénibles, qui continuent de se succéder sans amélioration. Quant au décor, il est constitué de formes rectangulaires et spectrales qui rappellent vaguement la forme des deux tours. Le souvenir du désastre plane partout, mais de façon indistincte. Il doit être imaginé par le spectateur, tout comme l’omelette que Pénélope et Willa mangent dans des assiettes vides. Du coup, sans s’en rendre compte, les spectateurs font comme elles : ils savent très bien qu’il n’y a pas d’œufs dans les assiettes, mais ils font comme si. C’est bien pensé… et bien interprété dans l’ensemble, la palme revenant à Loïc Brabant qui est exceptionnel de maîtrise et de finesse dans le rôle de John.
La musique originale d’Aleksandra Plavsic doit également être saluée : la douce intensité de ses vibrations sert non seulement à créer une ambiance mais aussi à structurer la chronologie de la pièce. Autant de raisons pour aller voir John a disparu, un spectacle de qualité qui évite les clichés faciles en traitant d’un sujet qui a fortement tendance à les attirer.

Jeremy Ergas

Jusqu’au 6.2. : JOHN A DISPARU de Israel Horovitz, m.e.s. Jean-Philippe Vidal. Théâtre des Amis, Carouge (tél. 022/342.28.74)