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Théâtre Alchimic, Carouge
Carouge : “Au bout du rouleau“

Le Théâtre Alchimic reprend Au bout du rouleau de Manon Pulver. Entretien.

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 20 mars 2011

par Rosine SCHAUTZ

Si l’expression française ‘être au bout du rouleau’ signifie ne plus avoir de ressources, avoir utilisé toutes ses pièces, traditionnellement emballées dans des rouleaux, et si le sens de l’expression s’est étendu à tout type de ressources, tant physiques que morales, le titre de cette pièce de Manon Pulver traite en fait d’une réflexion sur soi et sur les relations aux autres, dans un incertain salon de coiffure.

Salon de coiffure, incontestablement, mais aussi living-room, salon des apparences et salon des curiosités où se confrontent dans leurs intimités respectives deux femmes, incarnées par Pascale Vachoux et Claude-Inga Barbey. De discussions en évitements, de conciliations en conciliabules, de mises en plis en mises à l’épreuve, elles découvrent que la solidarité ou la simple amitié n’ont jamais été leur souci, et finissent par sinon comprendre, du moins mettre le doigt sur leurs ratages personnels, leurs solitudes, leur rapport au monde contemporain.

Manon Pulver travaille pour le théâtre depuis une quinzaine d’années. Elle a écrit plusieurs textes et adaptations qui ont été lus ou représentés, comme Augustine de Villeblanche ou Le bal contrarié d’après la nouvelle de Sade, mis en scène par Violaine Llodra en1994 ; L’Etang salé ou On ne s’en sortira pas vivants (1995) ; Pour une Absente, mis en scène par Geneviève Guhl en 2001. Son dernier texte A découvert qui met en pièce la famille et ses fondements, vient de paraître en CamPoche (Enjeux 8).

« Au bout du rouleau » avec Pascale Vachoux et Claude-Inga Barbey.
Photo © Carole Parodi

Entretien avec Manon Pulver


Pourquoi cette troisième reprise ?
Lors de la deuxième reprise, nous avions dû refuser beaucoup de spectateurs. Nous avons pensé qu’avant de partir en tournée en Belgique, nous pourrions reprendre pour les Genevois cette comédie à deux personnages.

Des changements dans la mise en scène de Daniel Wolf ?
Non, je ne crois pas, peut-être quelques ajustements afin d’entrer dans l’espace du théâtre, mais Daniel Wolf a gardé la même distribution. C’est intéressant de travailler avec la même équipe parce que si l’on repart de là où l’on s’était arrêté, en même temps le texte a travaillé tout seul, les mots et les situations se sont décantés d’eux-mêmes, à bas bruit, et c’est en cela que les reprises sont de nouveaux départs.

Les deux comédiennes ont au parcours théâtral peu semblable. Pourquoi ce duo fonctionne-t-il si bien ? Comment l’analysez-vous ?
Pascale Vachoux et Claude-Inga Barbey sont effectivement issues de mondes théâtraux a priori différents, mais ça ne les a nullement empêchées de jouer ensemble, de se donner la réplique dans ce huis clos. D’emblée, elles se sont adaptées l’une à l’autre, se sont accordées. C’est une paire d’actrices inédite, qui fait plus que fonctionner, qui fait sens, et c’est important pour ce type de pièces très dialoguées. Daniel Wolf a tout de suite compris ce qu’il pourrait tirer de ces deux femmes mises face à face.

Manon Pulver

Pourquoi avoir situé le propos dans un salon de coiffure ?
C’est un espace très théâtral. De surcroît Au Bout du rouleau est une comédie du burn-out comme on le dit aujourd’hui, presque métaphorisé par la brûlure effective des cheveux. Cet épuisement prend la tournure d’une confrontation loufoque, où s’effrangent les liens qui relient deux femmes à leur image d’elles-mêmes, et de ce fait au monde. La chevelure demeure le symbole le plus archaïque de la vitalité et est un signe de relation à soi et au monde – un signe extérieur, à la fois impérieux et futile. Il s’agit dans cette pièce essentiellement d’une comédie des apparences, d’une fuite en avant, et cette logique du ‘faire plus avec moins’, j’ai voulu lui donner ‘du volume’, et je l’ai poussée au plus loin : jusqu’à un paroxysme peroxydé !

La pièce traite également de la relation à l’autre…
Oui, mais de la relation à l’autre lorsqu’elle se révèle un terrain miné. Quand l’amitié est faussée d’emblée, parce que rencontrer l’autre est devenu quasiment impossible, les gens n’ayant plus ni la force ni la fraîcheur d’y voir encore du sens. Ils sont comme dévitalisés. Il n’y a plus rien pour faire marcher le moteur qui mène à l’autre, il n’y a plus de sincérité, et ensuite, il n’y a plus de curiosité réelle. Pourtant, la tentation de se reconstituer avec l’autre et dans le regard de l’autre traverse les deux protagonistes. Mais il est déjà trop tard, leur tentative de solidarité est sapée par le poids de leurs egos.

La pièce est très ‘parlée’, pourquoi ce choix ?
J’ai voulu que le dialogue soit le maître des personnages. Les deux femmes parlent, mais aussi « sont parlées », elles sont aux prises avec un discours de la défense et de l’agression qui en même temps les parcourt et les empêche d’accéder à leur désir de réconciliation. L’action burlesque qu’elles sont aussi obligées de subir rajoute à leur empêtrement dans une situation qu’elles ont trop tardé à tenter de maîtriser. Leur dialogue devient dès lors une construction aussi artificielle que touchante, située entre le désir de manipuler et le désir de se confesser.

Propos recueillis par Rosine Schautz

« Au bout du rouleau » une pièce de Manon Pulver, mise en scène de Daniel Wolf.
Théâtre Alchimic, Carouge, 3-13 mars 2011