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Festival d’Avignon 2007
Avignon 2007 : Des bides et des trip(e)s

Commentaires sur quelques spectacles, à savoir : Roi Lear – Les Ephémères – Le Silence des communistes – Mephisto – Les Paravents – L’Echange – Claire – Genèse N°2 – Angels in America

Article mis en ligne le septembre 2007
dernière modification le 31 août 2007

par Julien LAMBERT

Très diverse et polémique, osant poésie et théâtre engagé, la programmation du 61e Festival d’Avignon aura compris de grosses déceptions, mais aussi certains spectacles bouleversants, totaux, qui ne refusent ni la complexité ni l’évidence des émotions.

Shakespeare détourné
On attendait avec impatience le Roi Lear, première apparition de Jean-François Sivadier dans la Cour d’honneur. Le metteur en scène avait montré avec La Vie de Galilée et La Mort de Danton qu’il pouvait donner vie à toute scène « classique » avec impertinence et fluidité. Dommage qu’il n’ait cette fois réussi à en garder que la coloration légère, et non la justesse de ton, pour se contenter de rendre le langage de Shakespeare des plus communs, le phrasé et l’attitude désinvolte des comédiens allant de pair avec une nouvelle traduction démagogue, pleine de trivialités ; les décrochages en aparté avec le public, qui allégeaient la pièce sans quitter le propos dans ses deux précédentes mises en scène, se sont mués en blagues à répétition. Certes la pièce coule plus vite, surtout grâce à l’habile dispositif de dislocation du plateau, qui a pourtant le défaut d’isoler comédiens et fragments narratifs au point de perdre passablement le spectateur.
Shakespeare constitue un palier difficile à l’approche de la maturité artistique, il est aussi la victime de déviateurs moins habiles. Ainsi de Ludovic Lagarde, auteur d’un Richard III populo qui contourne les difficultés de l’œuvre en en choisissant une autre, celle, hyper condensée, de Peter Verhelst, qui ne conserve qu’une narration éclair opposant des caractères stéréotypés. Costumes fluos et déformations grotesques de la voix achèvent de faire du roi un débile tyrannique dans un spectacle Walt Disney qui ravit les foules.

Mnouchkine, Vincent : retour à l’émotion par la sincérité et la rigueur
Les goûts populaires font recette même en Avignon, ils peuvent malgré tout se fondre dans un réel travail artistique, si la sincérité et un brin de magie accompagnent ce pari difficile. Ariane Mnouchkine émeut ainsi aux larmes avec un enchaînement de scènes de vie quotidienne, les Ephémères. Accidents, deuils, problèmes conjugaux : des sujets de téléfilm qui, joués par des comédiens polyvalents et sensibles, dans la proximité de la représentation théâtrale qu’accentuent les plateaux tournants sur leurs roulettes, happant le spectateur au cœur de l’action, perdent le factice télévisuel pour rejoindre l’art par la voie du travail et de l’émotion. Les huit heures de la représentation, en faisant entrer le public dans le rythme de vie du Théâtre du Soleil, repas et conversations compris, justifient aussi une autre perception, plus émotive.

« Les Ephémères », mise en scène de Ariane Mnouchkine.

Autre spectacle à part : ce Silence des communistes composé à partir de la correspondance réelle d’anciens militants communistes italiens, sur le déclin du parti et des idéaux en général, qu’a sobrement mis en espace Jean-Pierre Vincent. Une diction à l’écoute de chaque mot rend émouvant ce texte plutôt cérébral, accessibles ces réflexions en apparence éloignées. Une évolution très modérée vers un dialogue entre les correspondants, comme le minimum d’incarnation que les comédiens se sont permis, brise la monotonie de la lecture dès qu’elle se ferait sentir, tandis que le texte est porté dès que possible au public, dans le lointain obscur des interrogations, suggérant que les ancrages historiques et politiques importent peu, que tout engagement, tout idéal fait vivre, donne sens à l’action, même sans finalité.
Autre spectacle rigoureux, le Mephisto adapté de Klaus Mann par le duo Lanoye/Cassiers est certes irréprochable par l’efficacité de la transposition du roman en quelques scènes significatives, l’ajout séduisant d’extraits de Tchekhov ou de Shakespeare pour illustrer le travail du héros, cet homme de théâtre qui refuse de fuir le Reich mais doit plier ses envies de sédition aux impératifs autoritaires, héros dont l’adaptation et le jeu cinématographique de Dirk Roofthooft, tout en retenues et en tensions du faciès, épaississent encore la complexité. Mais ne peut-on regretter la nécessité d’employer micros et écrans géants pour accéder à l’humain qui se perd, là-bas, sur scène, dans une froideur bien athéâtrale ?

De ternes joyaux français face au nouvel eldorado slave
On sent généralement les metteurs en scène à la recherche éperdue de nouvelles techniques pour régénérer le théâtre. Les Paravents de Genet joyeusement revisités par Frédéric Fisbach ont fait appel à d’habiles marionnettistes japonais, mais force est de constater que si la cruelle bouffonnerie de la pièce n’en ressort que mieux, on peine pourtant à percevoir acteurs humains et poupées de bois comme appartenant à un même plan. Autre chef d’œuvre littéraire, L’Echange de Claudel est rendu bien terne au contraire par un trop peu de moyens dans la mise en scène de Julie Brochen, qui soutient trop rarement le texte avec des bruitages grinçants, technique qui fonctionne d’ailleurs bien mieux comme partition de la poésie énigmatique de René Char, complétant tensions et non-dits dans les dialogues de Claire, qu’a monté Alexis Forestier.
Les succès les plus inattendus, et peut-être les plus flagrants du Festival, sont venus de l’Est peut-être pas par hasard, puisque là-bas on fuit esthétisme froid et technicité pure pour oser dire l’existentiel, souvent dans une vivifiante débauche d’énergie. Ainsi les Franco-belges dirigés par Galin Stoev ont-ils révélé l’écriture cosmologique du jeune auteur russe Ivan Viripaev (réalisateur du bouleversant Euphoria) : Genèse N°2 fait défendre à Dieu sa propre inexistence, et dit avec des mots délicieusement abscons l’évidente absurdité de la vie, la refusant simultanément. Tout aussi troublante fût l’adaptation d’Angels in America, grand succès de Broadway, par le Polonais Krzysztof Warlikowski voir aussi l’entretien accordé à Scènes. En prenant au sérieux des dialogues boulevardiers, en jouant en parallèle des scènes convenues – une dispute hétérosexuelle et des tendresses entre hommes -, il donne profondeur et gravité à un éloge de l’homosexualité qu’il révèle très esthétique. Chez lui aussi il y a des micros, mais avoués comme éléments de théâtre, sur un pied, pour des diatribes et confessions publiques : ils n’empêchent ni les cris, ni les échanges plus physiques. Lui aussi ose le kitsch et les projections colorées, mais comme éléments d’une poésie jouée par l’humain.

Julien Lambert