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Maison des Arts, Thonon-Evian
Thonon : La table ronde

Retour sur les 40 ans de la Maison des Arts de Thonon.

Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 19 octobre 2007

par Pierre CARAN

La table ronde conviviale est une manière de fêter les 40 années de la Maison des Arts de Thonon-les-Bains près de laquelle, avenue du Léman, se trouve Le Scampi, un restaurant qui lors de l’inauguration de la Maison de la Culture en juin 1966 s’appelait les Baladins. A l’issue de spectacles, de vernissages, de festivals, de nombreux artistes se régalaient autour de sa table ronde. Des spectateurs savoyards et genevois s’y retrouvaient également. Ce tour de table permet de retrouver les traces de passage de grands artistes.

En juin 1966 le sculpteur Henri-Georges Adam - premier homme invité par la Maison de la Culture qui ouvrait ses portes - a exposé des oeuvres monumentales sur l’esplanade de l’ancien jardin anglais devenu le square Paul Jaquier. Sa sculpture, l’Etrave, dont le nom est toujours d’actualité, offerte par le Ministère de la Culture, est toujours là près de la fontaine. Le lendemain du vernissage, Henri-Georges Adam fut invité à prendre place autour de la table ronde des Baladins, tout comme Henri Laurens, Subira-Puig, Etienne Martin, Alicia Penalba, Hajdu, de grands sculpteurs contemporains présentés à la Maison des Arts.
Manessier, Lapicque, Messagier, Maurice Rocher, Antonio Saura, Schneider, Jean Dieuzaide, Alechinsky, Mario Prassinos, Kijno, Dewasne, Jacques de Féline, François-Victor Mamet et beaucoup d’autres peintres que le public pouvait apprécier, même si l’art ne va pas de soi, ont été accueillis dans la salle d’exposition.
Le compositeur Olivier Messiaen, qui portait une chemise richement colorée, et son épouse la pianiste Yvonne Loriod, furent invités durant une semaine en 1967 à la Maison de la Culture pour nous faire découvrir sa musique. Ils sont passés au-delà de la table ronde, préférant descendre au Port de Rives et à la pinède de saint Disdille près du lac, pour écouter les chants d’oiseaux, qui comme les couleurs de la nature, illuminaient les compositions d’Olivier Messiaen.

Maison des Arts et Loisirs, Thonon-Evian

En 1968, Patrice Chéreau, lui, a mangé du saucisson sur la scène en compagnie des comédiens de “l’Héritier de village” de Marivaux, une pièce qu’il a mise en scène en exploitant, selon Jean-Jacques Lerrant, journaliste au Progrès : "La saveur paysanne, en bannissant les complaisances un peu fades du marivaudage. Patrice Chéreau décape un classique (…) qu’il faut recommander à tous les spectateurs et pas seulement aux scolaires."
Plus tard, Les Deschiens – une troupe très célèbre aujourd’hui, arrivèrent à Thonon à la Maison des Arts avec leurs vieilles poussettes et y découvrirent la raclette. Les autres invités de la table ronde - Marcel Maréchal, Jérôme Savary, Antoine Vitez, Alain Françon, l’actuel directeur du Théâtre de la Colline à Paris qui nous gratifia de "La Farce de Burgos" au Gymnase de Saint Joseph, y mangèrent des gambas. Les comédiens des Bouffes du Nord qui donnèrent trois spectacles mis en scène par Peter Brook, apprécièrent énormément la fondue.
Ariane Mnouchkine, invitée avec la "La Cuisine" d’Arnold Wesker à la Maison de la Culture, s’était déjà régalée de filets de perches et de vin de Ripaille tout comme Maurice Béjart. En 1971 le Théâtre du Soleil, revint avec "1789", écrit et mis en scène par Ariane Mnouchkine. Une création théâtrale d’une originalité sans pareille par sa forme et sa force qui connut en France et dans de nombreux autres pays un énorme succès. Elle attira un monde fou dans le gymnase de Saint-Joseph à Thonon, réservé à la Maison des Arts pour accueillir des spectacles qui ne pouvaient se donner sur la scène.
À cette époque, la table ronde du Scampi (ex-Baladins), proposait des fruits de mer qui enchantèrent Bob Wilson, Paolo Grassi directeur du "Piccolo teatro de Milan", ainsi que la Mamma de New-York, Carolyn Carlson, Patrick Dupond, Michaël Denard, Paolo Bortoluzzi, des danseurs exceptionnels.
Serge Reggiani, Georges Brassens, et d’autres chanteurs très célèbres, invités par la Maison des Arts, furent de grands convives. Léo Ferré préféra aller à l’Auberge d’Anthy. De grands jazzmen s’installèrent aussi autour de la table ronde. Les relations avec Genève, Lausanne, Zurich, La Riviera Vaudoise, le Valais, ne se bornaient pas seulement à la venue du public helvétique, mais aussi de musiciens et de comédiens : Louis Hiltbrandt compositeur d’origine suisse, organisa des rencontres musicales à la maison des Arts où il nous fit découvrir de grands instrumentistes venus de nombreux pays d’Europe.
Le Théâtre Mobile de Genève dirigé par Marcel Robert, vint présenter « Western » dans l’auditorium transformé en saloon, avant de devenir une salle de cinéma. Une pièce pleine d’humour dans laquelle la parole et la musique étaient de très bon ton. Les cow-boys genevois et leurs girls enchantèrent les spectateurs. Plus tard, Marcel Robert revint avec “Lorenzaccio ” de Musset joué avec de surprenants masques balinais, une coproduction Maison des Arts – Théâtre Mobile.
“Donner à Voir”, une très belle exposition de photographies de Jean Mohr et Nicolas Bouvier, écrivain suisse, eut lieu en 1969 à la Maison des Arts. Le Cabinet des Estampes de Genève nous prêta des gravures de Rembrandt, Hogarth, Dürer et Jacques Callot qui furent présentées dans la salle d’exposition de la maison des Arts qui ouvrira ses portes en 2007.
Pour les Suisses, les spécialités de la table ronde n’étaient pas nouvelles, surtout celles qui venaient du lac et de la montagne, ce qui ne les empêcha pas d’en profiter. Daniel Jeannet avant d’être nommé directeur du Centre culturel suisse à Paris, traversait souvent le Pamphiot pour venir à Thonon se nourrir des spectacles présentés par la Maison des Arts sur lesquels il écrivait des articles exaltants dans le Journal de Genève, tout comme Jean-Marie Marquis et Pierre Biner. À l’époque, la programmation de la Maison des Arts était célébrée dans La Tribune de Genève, la Suisse, le Courrier, la Gazette de Lausanne ...
"L’Atelier volant", une pièce de Valère Novarina qui appréciait les diots, une spécialité culinaire locale, fut présentée en 1974. À l’époque de la Maison de la Culture puis de la Maison des Arts et Loisirs, les Thononais, les Chablaisiens, les Genevois qui ne pouvaient pas se rendre autour de la table ronde à l’issue des spectacles, montaient à la cafétéria installée au premier étage, dont le vaste espace frontal était considéré en 1966, lors de l’inauguration, comme le symbole du phare culturel destiné à guider les Thononais, les Chablaisiens, les Savoyards, et les Suisses.
Le public en provenance de toute la région et de la Suisse, était très sensible à nos lumières. On y jouissait d’une vue splendide sur le lac, le Jura et les sculptures exposées sur le square, notamment celles du Valaisan André Raboud qui a été plusieurs fois invité à présenter ses œuvres à Thonon. Une de ses créations, "Le Roi et la Reine" exposée dans le prolongement de la place du Château, près du jet d’eau, a été acquise par la ville de Thonon en l’an 2000.
Le Cinéma
Le cinéma a commencé dès 1968 dans la grande salle par l’organisation d’une semaine des Cahiers du Cinéma. En 1973, une deuxième salle, l’auditorium, devint le lieu de programmation du cinéma d’art et essai qui était une nouveauté, car à l’époque, les salles de la ville n’étaient pas aussi nombreuses qu’aujourd’hui et ne programmaient pas ce genre de films. Les journées et les nuits du cinéma fantastique en provenance du Festival d’Avoriaz connurent un grand succès. L’une d’elles en 1985, réunit 900 spectateurs qui sortirent vers 2 heures du matin sous une neige abondante alors qu’ils étaient dans le noir ! La table ronde était devenue inaccessible. Le lendemain, dans la journée les Thononais se déplaçaient à ski qu’ils venaient déposer dans le hall de la Maison des Arts afin de voir les expositions, emprunter des livres et des disques. Quelques jours plus tard, alors que la neige avait fondu, ils vinrent voir "le Bal" un film d’Ettore Scola qui montrait la manière dont les soldats allemands s’appropriaient les Parisiennes avec qui ils dansaient follement.
Le Festival d’Avignon qui dans les années 70 avait intégré le cinéma dans son programme, nous offrit grâce à Jacques Robert, qui en était le délégué général, la possibilité de présenter une sélection de films burlesques américains de Buster Keaton et Harold Lloyd, ce qui nous incita à développer le 7ème art en 1974 avec un festival d’avant-garde, le festival 8/16mm. 1975 fut l’année de la création du Festival International du Cinéma Indépendant à la Maison des Arts. Le programme était constitué de nombreux films inédits qui étaient en compétition, de colloques, de rétrospectives, ce qui nous permit de bénéficier de l’appui de la Ville, du Département, du Centre National du Cinéma, de la Cinémathèque Suisse et de son directeur Freddy Buache, du CNRS et de bien d’autres institutions comme la Cinémathèque de Munich pour un hommage à Karl Valentin qui fut ensuite présenté au Centre Pompidou à Paris. L’imaginaire dans le cinéma français régnait à Thonon, ainsi que les films sur l’art, la comédie italienne, le cinéma du Québec, du Japon et le cinéma scientifique, dont ’inventeur Jean Painlevé nous gratifia de sa présence.
Claude Autant-Lara, Jean Rouch, Agnès Varda, Alain Robbe-Grillet, Pierre Kast et Jean Pierre Mocky – dont on a pu lire dans la presse "Quand Mocky’s moque" - furent invités à présenter leurs films et à fêter le 7e art autour de la table ronde du Scampi. Jean-luc Godard, dont on avait projeté "Je vous salue Marie" hors festival, ne vint pas. Son film avait ébranlé des représentants de l’extrême droite ainsi que des intégristes valaisans représentés par des curés en soutane qui arrivèrent devant la maison des Arts pour protester, mais ils ne purent entrer, car un homme impressionnant tenant un gros bâton était devant les portes.
Je n’ai sûrement pas tout raconté, pas dans l’ordre, mais du désordre peut sortir une réalité…
Pierre Caran

P.S : juin 1966 inauguration de la Maison de la Culture - 1969 ouverture de la Maison des Arts et Loisirs