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Théâtre Antoine : "Le Dieu du carnage"

Où il est question de la machine à comédies bourgeoises de Yasmina Réza.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 24 mars 2008

par Julien LAMBERT

« Par chance, il existe encore un art de vivre ensemble ». Les parents de Bruno, qui a été frappé dans une banale querelle de square, rencontrent ceux de son petit agresseur apparemment sur les bases d’une entente cordiale, qui suinte d’entrée de jeu le bon ton bourgeois.

Les remarques à double sens et la gêne à peine cachée des deux couples dans la tentative de créer une conversation de salon autour de l’incident laissent déjà deviner la haine de fond qui va s’exprimer au moindre prétexte. La machine à comédies bourgeoises de Yasmina Réza est si bien rôdée qu’elle n’éprouve même plus le besoin de cacher ses rouages.

Petitesse
Des couples faible-fort composés en miroir, un téléphone portable qui sonne trop souvent, le cynisme de fond du père de l’incriminé et son pendant bo-bo tout trouvé dans les idéaux humanitaires et la psychologie de comptoir d’Isabelle Huppert, aussi génialement détestable en apôtre du politiquement correct que dans ses habituels rôles de méchante, sont faits pour s’entrechoquer dès que l’agacement aura dépassé les limites de l’acceptable. L’auteure, qui connaît les recettes du rire, peut alors s’en donner à cœur joie et déclencher un festival de remarques mesquines qui fustigent avec bonheur la petitesse écoeurante de la bonne société. On rit bien sûr, et tout pourrait être dit après quarante minutes de spectacle. Or si Yasmina Réza avait voulu faire l’autocritique de son écriture et révéler par contraste ses qualités en même temps que ses limites, elle n’aurait pas fait mieux qu’elle ne l’a fait en écrivant une pièce deux fois plus longue que ne l’autorisait son potentiel « dramatique ».

Grotesque
L’absurde prolongement de ces joutes socio-verbales, privées de toute justification narrative, vire en effet très vite au grotesque et à la comédie de boulevard, humour cra-cra et jets d’objets compris, prouvant la faiblesse du genre, mais aussi le potentiel humoristique de ces silences et de ces tics langagiers, si bien cultivés d’abord par les comédiens, qui suffisaient à trahir les prototypes sociaux incriminés et leurs perversions psychologiques. L’exagération aurait pu toucher à un réel tableau de déclin de civilisation ou à une plaisante apologie du politiquement incorrect, si Réza avait osé présenter ses personnages sous un jour réaliste. Mais en les
disculpant à grosses rasades d’alcool et de comédie gros sel, elle sabote toute la profondeur potentielle de l’entreprise et n’en garde qu’un rire décidément bien facile.

 
Julien Lambert

Le dieu du carnage de Yasmina Reza, mise en scène de l’auteure, avec Isabelle Huppert, André Marcon ; jusqu’à fin avril. Location 01.42.08.77.71.