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Théâtre de la Ville
Scènes parisiennes : “Sans retour“

Commentaires sur une création chorégraphique imaginée par François Verret.

Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 18 juin 2007

par Bertrand TAPPOLET

C’est sous la mitraille d’un vent mauvais qu’évoluent les danseurs de Sans retour, création imaginée par François Verret et présentée lors du dernier Festival d’Avignon notamment.

Trois gigantesques ventilateurs de cinéma manipulés à vue par le chorégraphe et les artisans du spectacle s’époumonent dans un vrombissement de fin du monde à tordre les interprètes sans les briser. Ils sont aussi peut-être cette bourrasque furieuse qui déchire le linge rêveur des nuages. Eux, ce sont les modernes arpenteurs d’un monde glacé et tempétueux, celui du capitaine de vaisseau Achab entraîné dans le sillage mortifère de Moby Dick. Après des pièces charpentées autour de récits griffés Robert Musil ou William Faulkner, c’est au tour du poète américain Charles Olson et de son Fiery Hunt inspiré de Melville de servir, pour le chorégraphe, de matériau à un récit de traque sans merci. Des bribes de vers en anglais disent la poursuite délétère d’un idéal et ouvre les tiroirs d’un vécu, celui d’un capitaine vaincu par les glaces et la blancheur de la mort. « Melville a aussi inventé Achab, cette figure mythique universellement répandue, celle d’un fou monomaniaque, d’un tyran autodestructeur, souligne François Verret. Achab, dans tous ses excès, est une figure théâtrale hors de toute mesure, tout comme Le Roi Lear ou Macbeth. » Les six acteurs-danseurs jouent de la prouesse physique, modulent l’avancée ou la motricité toujours contrariée, ici par un souffle puissant, là par un rouleau de laine synthétique. Trois circassiens voltigent littéralement sur le plateau sans omettre cette transe presque hébétée de la passion qui les incendie à fond de cale. « Les acteurs danseurs présents sur le plateau sont hantés par la tragédie de Moby Dick qu’ils relient à des images fantômes, aux paysages mémoires, figures réelles de leur propre histoire, relève encore le chorégraphe. Ces figures insatiables, dévoratrices, possédées d’une soif d’absolu et qui font partie de l’énigme humaine. »
L’ensemble tient de l’équilibre éprouvé. Pour preuve ce jeu de bascule entre deux hommes, deux vigies postées aux bords opposés d’un radeau métallique incurvé, devenu immense lame râpant le plateau sous la force de l’orage. Tout s’agence avec des trajectoires rigoureusement dessinées. Il y a cet enlisement dans une gangue immaculée des interprètes qui ploient, chutent magnifiquement comme broyés par l’air déchaîné, tournoient sur eux-mêmes comme pour traduire la violence intime, la part d’ombre qui surgit à l’échelle du social, du politique ou de la sphère privée. Derrière une immense baie de givre, où les figures du récit deviennent des halos sortis des banquises de la mémoire, on sent le souci plastique, le goût des visions qui lentement se cristallisent pour mieux harponner le fond de la rétine.

 
Bertrand Tappolet

Sans retour. Théâtre de la Ville, Paris. Du 5 au 9 décembre.