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Musée d’art moderne de la Ville de Paris
Paris : Van Dongen

Van Dongen, fauve, anarchiste et mondain

Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 29 juin 2013

par Régine KOPP

Artiste singulier et déroutant, Kees Van Dongen (1877-1968) fait partie de ces artistes, qui fascinent les uns et agacent les autres. Il est en effet, par sa manière de jouer avec les couleurs, l’artificier du fauvisme mais, par son art de vivre, dédié à la fête et aux plaisirs de « l’époque cocktail », il est un mondain dont la valeur artistique prête davantage à suspicion.

Vingt ans après la rétrospective que lui consacrait Suzanne Pagé, la directrice du Musée d’art moderne, c’est une nouvelle présentation plus resserrée, centrée sur sa période parisienne et s’arrêtant en 1930, qui est organisée par Anita Hopmans et Sophie Krebs, réunissant cent quinze œuvres, qui suffisent parfaitement à démontrer sa contribution au fauvisme.

Multiples facettes
L’exposition restitue les multiples facettes de cette personnalité artistique, celle du peintre animé d’un idéal anarchiste et proche des mouvements sociaux, celle de l’artiste d’avant-garde qui ne jure que par l’expressivité de la couleur, celle de l’artiste devenu une des grandes figures de la scène parisienne des années folles. Plus que des périodes stylistiques, ce sont des attitudes souvent énigmatiques et paradoxales, qui servent de fil conducteur à l’exposition. C’est une œuvre emblématique et monumentale, audacieuse dans sa composition, La Chimère pie (vers 1895), qui introduit le visiteur aux débuts de l’artiste qui le mène de Rotterdam à Montmartre (1898-1904) et fait penser à l’œuvre de Franz Marc. Les couleurs pures et franches de cette époque, comme dans Femme rattachant son jupon (1902) ou Le Sacré-Cœur (1904) traduisent une certaine immédiateté. Avec raison, les commissaires ont également choisi de montrer son activité de dessinateur. La caricature lui sert à dénoncer les injustices sociales,ce dont témoigne La Buveuse d’absinthe (1903) dans un caractère dramatique, qui caractérise aussi ses œuvres, où il explore les thèmes du cirque, des forains, des clowns : Au Music Hall (1895/1905), La Parade (1904), Le Cirque (1905).
A partir de 1905, Van Dongen change sa façon de peindre et utilise la technique néo-impressionniste (Le Boniment, 1905, Le Manège des cochons, 1905), faisant ruisseler les taches rouges, jaunes, vertes et oranges. En 1905, lors du Salon d’automne, Van Dongen n’est pas encore associé aux peintres fauves. Il ne le sera qu’une fois installé au Bateau-Lavoir. A partir de 1907, ses portraits et ses nus deviennent plus expressifs, se rapprochant d’un certain primitivisme. Les Lutteuses (1908) ne sont pas sans rappeler Les Demoiselles d’Avignon (1907).

Kees van Dongen (1938)
Nederlands Instituut voor Beeld en Geluid / NOS

Nouveaux sujets
Van Dongen fait clairement le lien entre les Fauves et les expressionnistes allemands, qui l’invitent d’ailleurs à participer à leur mouvement. Un portrait comme Modjesko, chanteur soprano (1907) ou L’Idole (1909), un nu à la pose provocante, souligné d’un épais trait noir, offrant le corps à la lumière, en sont d’excellents et merveilleux exemples. C’est à cette époque que Van Dongen rencontre Picasso et fait le portrait de sa compagne Fernande (Fernande Olivier, 1905), une œuvre archétype du portrait fauve. En 1908, il quitte Montmartre et s’installe près des Folies-Bergères, découvrant de nouveaux sujets, des danseurs et des musiciens (Nini, danseuse aux Folies-Bergères, 1909). Dans les années 1910, ce sont des voyages en Espagne et au Maroc, qui marquent ses œuvres d’exotisme. L’Orient de Van Dongen est fait de couleurs et de sensualité. En peignant les portraits d’Emilia Navarro (1910) et d’Andalucia (1910/11), il peint des Espagnoles en costume traditionnel et enroulées dans des châles aux couleurs criardes. A Tanger, il peint Marchandes d’herbes et d’amour (1913) se concentrant sur les bijoux des femmes. A son retour, Van Dongen installe son atelier à Montparnasse et le décore comme un palais oriental. Un quartier à la mode, devenu le rendez-vous des avant-gardes, où l’on rencontre des artistes, des écrivains, des modèles. Van Dongen se lie avec le couturier Paul Poiret, dont il partage le goût des tissus colorés, qui sont le sujet même de ses compositions Femme au fond blanc (1912) ou Nu couché (1911), un corps blanc sur fond orange, que certains n’ont pas manqué de ressentir comme une provocation et finalement décroché par la police. C’est dans cette atmosphère mondaine à la veille de la Première Guerre mondiale et surtout dans les années folles qui suivent la guerre, que le peintre très sollicité conquiert Paris. A la fin de la guerre, il quitte la femme de ses débuts, Guus, souvent représentée dans ses œuvres, et entame en 1916 une liaison avec Jasmy Jacob, une employée de maison de couture, avec laquelle il s’installe dans une villa près du Bois de Boulogne. A l’encontre de l’avant-garde qui honnit le portrait, il remet ce genre à l’honneur, en le détournant avec ironie tout en gardant son sens de la couleur et privilégiant des tailles monumentales. C’est toute la dernière partie du parcours qui évoque cette époque (1916-1931), sous le titre de l’époque cocktail. Comme l’écrit un des invités d’une de ses innombrables fêtes, « il est spirituel, satirique, brillant et parfois frivole. Il parle à une femme de son âme tandis qu’il la peint dans des bas noirs et des mules rouges ». Il n’hésite pas à accentuer le caractère érotique de certains de ses modèles dans des poses et des tenues élégantes comme celui de Miss Edmée Davis, de Maria Ricotti ou de Jasmy Alvin ou d’Anna de Noailles. En peignant le portrait du Dr Charles Rappaport (1920) fondateur du parti communiste, et clin d’œil à sa sympathie au mouvement anarchiste, il renoue avec la tradition fauve, utilisant des noirs intenses et maculant le visage de vert. Avec ces portraits, il confirme sa liberté de peintre indépendant, obtenant des succès mais aussi des critiques, comme ce fut le cas avec le portrait de l’icône nationale Anatole France, jugé trop irrévérencieux. Bien sûr, l’exposition ne fait qu’évoquer brièvement, dans la chronologie de l’artiste, ce malheureux voyage à Berlin en novembre 1941, à l’invitation du sculpteur officiel du Reich, cela vaut peut-être mieux pour le visiteur, qui restera cependant sur l’impression forte d’avoir pu approcher l’œuvre d’un des représentants les plus audacieux du fauvisme.

Régine Kopp

Jusqu’au 17 juillet 2011 (fermé le lundi)
www.mam.paris.fr