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Pinacothèque de Paris
Paris : Valadon & Utrillo

La Pinacothèque organise une exposition remarquable, confrontant les œuvres de Suzanne Valadon avec celles de son fils, Maurice Utrillo.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 18 septembre 2009

par Régine KOPP

Réunir cent quarante tableaux et dessins du couple mère et fils est une grande première, impressionnante et magnifique. Elle est organisée par la Pinacothèque et donne l’occasion à tous ceux qui vouent à Utrillo un certain mépris, de réviser leur jugement et de redécouvrir les qualités éminemment artistiques de son œuvre.

Au tournant du siècle à Montmartre
L’originalité de la démarche du commissaire Jean Fabris, fervent défenseur de l’artiste depuis des dizaines d’années, soutenu par l’engagement du directeur de la Pinacothèque Marc Restillini, était d’étudier le passage de l’impressionnisme à l’Ecole de Paris. « Associer dans une même exposition Valadon et Utrillo, écrit Marc Restillini, n’a de sens que si on l’envisage comme une illustration exceptionnelle du passage d’un siècle à l’autre ».

Deux artistes de génies
Tout le parcours de l’exposition est donc construit sur cette relation particulière entre cette mère et son fils, les deux artistes, « exemple unique d’un chassé-croisé entre un fils précurseur et initiateur d’un mouvement et une mère transgressive et prenant la succession de son fils au moment où celui-ci s’effondre ». L’exposition s’ouvre sur les années 1886 à 1909, celles où Valadon, de modèle des artistes impressionnistes, comme Toulouse Lautrec et Renoir (elle est au centre du Déjeuner des canotiers) trouve sa propre voie d’artiste. Une série d’études de nus, au crayon sur papier, annonce son talent. Le mélange troublant d’innocence et de perversité qui se dégage de la Fillette nue allongée sur un canapé (1894) n’est d’ailleurs pas sans nous rappeler les dessins de Balthus. Danseuses de 1909, un pastel sur papier a le même charme que celles de Degas.

Révélation à Montmagny
Maurice Utrillo fait son entrée dans la deuxième étape du parcours (1906-1910), intitulée la révélation des deux artistes à Montmagny. L’instinctif autodidacte qu’est Utrillo peint Paysage de Montmagny (1905/06), une œuvre très dense, très en matière, proche de la tradition de Pissaro. Ensemble avec son ami André Utter – qui a une formation académique – ils peignent des vergers et des champs dans la plus pure tradition impressionniste. Quant à Suzanne Valadon, tombée entre-temps follement amoureuse de Utter, l’ami de son fils, elle abandonne alors le dessin pour la peinture. Son œuvre Trois nus à la campagne (1909) exécutée dans des couleurs vives et des courbes franches, donne vie à une atmosphère primitive qui n’est pas sans lien avec celle de l’Ecole de Pont-Aven. Il n’y a pourtant aucune parenté artistique entre la mère et le fils.
Ses couleurs à elle sont vives, sa matière lumineuse. On peut toutefois imaginer que cette passion amoureuse est un choc pour le fils. Un traumatisme qui ne restera pas sans conséquences sur sa peinture. « L’artiste quitte la tradition impressionniste pour s’inventer un style unique, quasi topographique, dans une esthétique aux confins d’un art naïf aussi remarquable que celui du Douanier Rousseau et d’une technique fauve où il remplace les couleurs des tubes pures et crues par celle du plâtre provenant des carrières de Montmagny ».

Apogée d’Utrillo
Nous entrons dans la troisième étape du parcours : la période blanche, l’apogée d’Utrillo puis l’épanouissement de Valadon (1910-1916), qui correspond à un chassé-croisé entre la mère et son fils : son fils qui ne sort plus ne peint que des scènes d’extérieur, le plus souvent de villes, des rues, des places des églises mais sans personnage tandis que la mère qui passe son temps dehors, peint des scènes d’intérieur. De nombreux prêts témoignent de cette période féconde d’Utrillo et constituent une magnifique promenade artistique dans Paris et sa banlieue : Eglise Saint-Séverin à Paris (1910), La chapelle de Roscoff (1911), La petite communiante (1912), La Maison Rose (1912), La maison d’Hector Berlioz (1914), La maison de Mimi Pinson (1914) et bien d’autres œuvres où, comme le souligne Francis Carco, l’ami et biographe d’Utrillo « les blancs, tout à coup, écrasés au couteau, prirent dans l’ensemble de la composition un accent si formel qu’ils témoignent d’un indéniable génie… »

Plénitude de Valadon
Mais l’alcoolisme et les accès de démence vont transformer l’artiste génial en peintre médiocre et la célébrité devient un naufrage humain. Or, c’est au moment où Valadon voit son fils sombrer artistiquement qu’elle devient une artiste maîtrisée et sereine dont la production, inexistante au moment de la période blanche de son fils, augmente. A cette période correspond la dernière section qui recouvre les années 1917 à 1937 et présente les œuvres de la plénitude de Valadon, laissant de côté celles de la période décadente d’Utrillo. Valadon peint des portraits, aux accents fauves comme celui de Madame Robert Rey et sa fille (1920), de Maria Lani (1928), de Geneviève Camax-Zoegger (1936) mais aussi des natures mortes, des fleurs dans des vases dans une matière riche et lumineuse et des compositions puissamment rythmées, Fleurs dans une cafetière Empire (1920), L’étui à violon (1923).
Une exposition qui ne s’adresse pas à un visiteur pressé car il faut prendre son temps, pour lire les substantiels commentaires d’introduction qui nous éclairent sur les œuvres mais aussi sur la vie tumultueuse de ce couple mère-fils auquel la Pinacothèque rend un émouvant hommage qui fera, sans aucun doute, date dans l’histoire des expositions.

Régine Kopp

« Au tournant du siècle à Montmartre. Valadon - Utrillo. De l’impressionnisme à l’Ecole de Paris ».
Pinacothèque de Paris. Jusqu’au 15 septembre 2009
Ouvert tous les jours de 10h30 à 18h.
www.pinacotheque.com