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Galeries nationales du Grand Palais, Paris
Paris : “Une image peut en cacher une autre“

Deux cents cinquante objets sont réunis au Grand Palais : tous attestent que les artistes jouent avec l’image.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 8 juillet 2009

par Régine KOPP

S’il y a une exposition à ne pas manquer à Paris, c’est bien celle du Grand Palais, au titre provocateur et ludique, Une image peut en cacher une autre.

Nous la devons à Jean-Hubert Martin, dont la réputation en tant que directeur de divers musées (Kunsthalle de Berne, musée national d’art moderne, musée national des arts d’Afrique et d’Océanie) et commissaire d’expositions (Les Magiciens de la Terre, Artempo, Africa Remix) a franchi les frontières. Avec son co-commissaire, l’historien d’art suisse Dario Gamboni (également professeur d’histoire de l’art et d’architecture de la période contemporaine à Genève), ils proposent une exposition qui explore toutes les facettes du thème, des illusions d’optique aux calembours visuels.

L’énigme dans le tableau...
Ils ont retenu quelque deux cents cinquante objets : peintures, dessins et gravures mais aussi sculptures et films, qu’ils ont disposés dans vingt et une sections. Ils composent un parcours, de la préhistoire à nos jours, en mettant en évidence des motifs récurrents comme le paysage anthropomorphe, l’analogie entre visage et torse, l’ambiguïté sexuelle, l’illusion spatiale. Les artistes jouent aussi bien avec l’image qu’avec le spectateur, suggérant des aspects cachés et multipliant les manières de voir et d’interpréter leurs œuvres. Celui qui regarde devient un partenaire actif. Les motivations à l’origine des images ambiguës sont variées : soit elles suivent un but pédagogique, soit elles relèvent du symbolisme et de l’allégorie, soit elles détournent des tabous ou transgressent la censure. Qu’on les appelle doubles, multiples, cachées ou accidentelles, ces images hantent des artistes d’époques ou de cultures différentes.
La première salle, intitulée « Mythes d’origine », offre à cet égard un panorama significatif de cette diversité. La Vénus des Milandes, du Paléolithique supérieur, qui réunit le féminin et le masculin dans un même corps, côtoie le pommeau de canne projetant le profil de Napoléon ainsi que le canard-lapin de l’artiste contemporain James Coleman, mais aussi des images-devinettes d’Epinal montrant tour à tour une jeune fille lisant et une vieille femme. Dès la première salle, le visiteur se métamorphose en regardeur, se prendra au jeu voire s’amusera à dénicher la forme cachée dans l’apparente.

... ou comment une image en cache une autre
Dès la Renaissance, Leon Battista Alberti constatait que la nature elle-même paraît se plaire à peindre et que dans les craquelures du marbre, on peut voir des centaures et des têtes de rois barbus. Dans cette même veine sont présentées des œuvres d’Andrea Mantegna comme sa Minerve chassant les vices du jardin de la vertu où les nuages en forme de visage parcourent le ciel. Mais aussi Albrecht Dürer est présent avec plusieurs œuvres dans lesquelles il cache d’étranges faces humaines dans des rochers, des arbres ou des plis de tissu. On pourrait aussi citer Matthaüs Merian avec son Paysage anthropomorphe (1610) où le visage humain qui émerge du paysage, se décrypte sans mal. Il faut cependant ne pas oublier que les nombreux exemples d’images doubles figurant dans la peinture religieuse de la Renaissance sont soumis à « cette vision tendue entre l’aveuglement charnel et le discernement spirituel » et que les images devaient « participer à un processus d’élévation du regard corporel vers la contemplation spirituelle ».
Toute une section est bien sûr consacrée à Arcimboldo qui, à chaque fois, séduit grands et petits avec ses quatre saisons symbolisant les quatre âges de l’homme. L’Eté et L’Automne ainsi qu’une Tête réversible avec corbeille de fruits figurent dans l’exposition. L’Occident n’a peut-être pas inventé les paysages anthropomorphes. Certains ont été hérités de la tradition chinoise et ont transité par Venise : des chevaux ou des éléphants faits d’une multitude d’animaux sauvages, de combats et de scènes galantes représentant les passions et le désordre. La section, la nature artiste, fait une place à ce qu’André Malraux qualifiait de « ready-mades naturels », c’est-à-dire les formes artistiques que peuvent avoir des pierres, des racines ou des coquillages. Une place importante est tout naturellement consacrée aux surréalistes, qui sont passés maîtres dans la stratégie de subversion du monde quotidien : Max Ernst, André Masson, Man Ray, Marcel Duchamp, René Magritte.

Double image
Mais c’est bien évidemment Salvador Dali qui se taille la part du lion. Dès L’Homme invisible de 1929, Dali s’est intéressé à la double image. Son tableau L’Enigme sans fin (1938) est exposée et complétée par plusieurs études qui permettent de suivre l’élaboration complexe du tableau, où au moins six scènes différentes apparaissent et disparaissent en fonction du regard du visiteur. Les jeux d’images cachées circulaient comme des plaisanteries au sein du groupe de Pont-Aven. Dans le pastel Côte escarpée, Edgar Degas érotise la nature et il faudrait être aveugle pour ne pas voir des courbes féminines surgir des collines et des falaises. Avec « L’Art de la tache », la section se réfère à Rorschach, ce psychiatre suisse qui utilise des taches d’encre dont la symétrie est obtenue par pliage et qui demandent à être interprétées par celui qui les perçoit. Pour beaucoup de contemporains, la tentation de la double image est au centre de leurs préoccupations. Vie sauvage anglaise (2000) de Noble et Wester est une installation faite d’animaux empaillés qui compose leurs deux profils dont l’ombre est projetée sur un mur. L’ambiguïté visuelle cultivée par le Suisse Markus Raetz sous forme d’anamorphoses tridimensionnelles est à cet égard également troublante. Est-ce un peintre prestidigitateur ou un virtuose truqueur dont l’œuvre Métamorphose II.1991 transforme un chapeau en lapin ? Selon une démarche à la fois ludique et expérimentale, Markus Raetz déplace les limites de notre perception visuelle. L’œuvre réalisée spécialement pour l’exposition, Alice, résume la quête vers l’autre côté du miroir.
En déambulant dans les différentes sections, le visiteur pourra expérimenter cette vision inattendue et originale, au-delà des réalités convenues, entre le visible et l’invisible, entre la perception et l’imagination. Cette exposition est l’occasion non seulement de revisiter l’œuvre de nombreux artistes mais aussi d’en découvrir des sens cachés.

Régine Kopp

Jusqu’au 6 juillet 2009