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Aux Gémeaux, scène nationale de Sceaux
Paris : “Tragic / Love“

Aux Gémeaux, Stephen Petronio présentait son nouveau ballet, Tragic / Love.

Article mis en ligne le décembre 2009
dernière modification le 21 février 2010

par Stéphanie NEGRE

Le chagrin, la souffrance, le désespoir sont bien souvent des sentiments inhérents à l’amour. C’est cette relation de l’amour à la tragédie que Stephen Petronio analyse dans son nouveau ballet, Tragic / Love, présenté en avant-première au festival Montpellier Danse en juin 2009 et du 16 au 18 octobre 2009 aux Gémeaux. Prenant le parti de jalonner le ballet par la lecture d’extraits des Lettres à Juliette, recueil de courriers d’amoureux du monde entier à l’héroïne mythique de Shakespeare, le « bad boy » de la danse contemporaine américaine nous livre une œuvre belle et grave sur les relations amoureuses.

Tragic / Love se compose d’une succession de situations amoureuses, du désir naissant jusqu’à leur issue malheureuse. Pour les exprimer, Stephen Petronio choisit d’utiliser le vocabulaire classique qu’il nuance de désaxements à la limite du déséquilibre. Ainsi, le mouvement se fait l’écho des tourments qui accompagnent la relation amoureuse, comme la grande rapidité d’exécution de certains enchaînements traduit l’érotisme jusqu’à la violence, physique ou morale, de la passion. Les pas de deux et de trois déclinent des situations qui renvoient, avec une rare justesse, à nos propres interrogations. Sur le thème du bal de Romeo et Juliette de Prokofiev, retravaillé à deux reprises par le compositeur Ryan Lott, les danseurs se font face. Quelle fatalité nous pousse dans les bras de l’un plutôt que de l’autre, pourquoi peut-on tomber éperdument amoureux alors que l’autre n’est qu’indifférence ?

« Tragic / Love »
Photo Laurent Philippe

Des couples se forment, l’intimité s’installe, les corps se découvrent. Doit-on se contenter du peu que l’autre ne peut que vous donner ou doit-on exiger plus, quel qu’en soit le prix à payer, la rupture voire la mort ? L’un des pas de deux masculins qui mêlent force virile et érotisme, s’achèvent dramatiquement avec l’un des partenaires à terre. La mort est-elle l’ultime réponse à l’amour poussé à son paroxysme ? les danseurs se figent, recueillis, tandis que la musique aux accords déchirants accompagne deux danseurs vêtus de blanc qui s’élancent, tels des anges accompagnant l’âme de l’amoureux défunt alors qu’éclot sur le fond de scène une fleur blanche. Après ce moment bouleversant, on retrouve l’ensemble de la troupe. Les danseurs s’embrassent, les corps passent des uns aux autres. L’hédonisme serait-il le remède aux souffrances de l’amour ?

Stephen Petronio évoque des situations amoureuses dans leur complexité et leur relation au tragique. Qui porte cette tragédie, la société, le groupe ou l’homme ? L’homme est-il seulement capable de renvoyer son amour à celui qui l’aime. L’excellente maîtrise technique et les qualités d’interprétation des danseurs du Ballet de Lorraine servent impeccablement son propos. Loin de nuire au rythme, la lecture de lettres à Juliette inscrit le ballet dans divers contextes mais ne se substitue pas au propos porté sans faille par la chorégraphie. Poétiques, les costumes de H. Petal mêlent éléments du vestiaire féminin et masculin comme pour souligner que l’attirance dépasse les simples questions de genre. Les rappels de couleurs – noir, rose, blanc – apparaissent comme autant de symboles des signes inconscients, des ondes mystérieuses qui font que deux êtres vont se trouver et éprouver des sentiments. L’amour certes n’est pas une chose légère mais du plus loin que l’homme en témoigne, il n’a jamais cessé d’exister. Tragic / love lui rend un formidable hommage. Le danseur en tutu rouge, costume incroyablement décalé, qui apparaît au final semble signifier qu’il y aura un après. Face aux tragédies qui le guettent, l’homme a toujours su trouver un dieu vers qui se tourner. Les amoureux ont trouvé leur patronne : « Saint Juliette, priez pour nous qui avons recours à vous ».

Stéphanie Nègre