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Sur les scènes parisiennes
Paris : Sélection danse No. 213

Eloge de Small boats à Chaillot et de La Troisième symphonie de Mahler à l’Opéra National.

Article mis en ligne le mai 2009
dernière modification le 15 mai 2009

par Stéphanie NEGRE

Peu connu du grand public français, Russel Maliphant est un chorégraphe canadien, ancien soliste du Royal Ballet de Londres et du ballet du Sadler’s Wells. Du 12 au 14 mai 2009, le Théâtre National de Chaillot présente trois de ses œuvres.

Chaillot : Flux / Small boats / Push
Première œuvre du programme, Flux est une pièce écrite pour et interprétée par le soliste Alexander Varona. Si de prime abord, Flux apparaît comme un solo de dix minutes, l’œuvre se révèle être un pas de deux extrêmement sensuel entre un homme et la lumière. Tour à tour debout puis allongé, jouant dans ses mouvements et ses déplacements avec un cercle lumineux au sol, le danseur crée une fusion entre lui et l’immatériel. L’émotion qui se dégage de ce duo est si forte que lorsque la musique s’arrête et le danseur s’immobilise, un frisson passe dans la salle.
On retrouve ce moment de grâce avec la troisième œuvre présentée, Push, pas de deux que Russel Maliphant interpréta à sa création en 2005 avec Sylvie Guillem et qui est repris dans cette représentation par Alexander Varona et Julie Guibert. Pratiquement tout au long de l’œuvre, les corps des deux danseurs sont collés l’un à l’autre dans des portés audacieux et pleins de tendresse. Les mouvements sont sensuels et si l’on retrouve les attitudes de l’école classique dont est issu le chorégraphe, on sent l’influence de la gestuelle du yoga et des arts martiaux. Comme précédemment, la lumière est une composante majeure de l’œuvre, un personnage avec lequel les artistes vont danser ; ici, le jeu de la lumière est celui d’un tiers qui va renforcer l’intimité pleine de force et de tendresse du duo. Flux et Push ou les parenthèses enchantées de cette soirée.

« Small boats »
@ Johan Persson

Small boats est une œuvre complètement différente, troisième acte de Cast no shadow, spectacle conçu avec le vidéaste Isaac Julien sur les migrations. Sur scènes, six danseurs interprètent des immigrés qui se lancent dans la traversée de la Méditerranée. Sur le fond de scène, une vidéo d’Isaac Julien est projetée sur une emprise qui varie, en fonction des scènes, de la totalité de la longueur du plateau jusqu’à disparaître. D’une grande qualité esthétique, la vidéo nous fait voyager des paysages de l’Afrique avec ses terres arides et ses cimetières de bateaux, image prémonitoire, aux plages du Sud de l’Europe, terme de la traversée de notre groupe après le naufrage de leur embarcation. Il se dégage de ce ballet un grand sentiment d’angoisse, dû au spectre de l’issue fatale qu’on pressent mais surtout à la notion d’anonymat très présente dans les images projetées. L’anonymat, c’est celui des corps échoués, de ces tombes qui jalonnent les côtes siciliennes et espagnoles, c’est le corollaire de la vie clandestine, de ceux qui, réussissant à entrer en Europe, vont vivre dans la peur permanente d’être découverts. Œuvre forte par les messages qu’elle porte, Small boats est un exemple de composition où plusieurs expressions artistiques se superposent. Malheureusement, cette situation se traduit par une rivalité des deux formes pour exprimer le propos, cela au détriment de l’art le plus abstrait, la danse.
Effet de mode, la vidéo est de plus en plus présente dans les ballets et à chaque fois, l’écueil est le même ; avec ses images explicites, la vidéo porte le message des auteurs, la danse n’étant plus là que pour l’illustrer. La danse de Russel Maliphant, si belle et émouvante soit-elle, n’y échappe pas.

Opéra National : Troisième symphonie de Mahler
Créée en 1975, La Troisième symphonie de Mahler par John Neumeier fait cette année son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Directement inspiré par la musique et non par un argument, le danseur et chorégraphe américain, directeur du Ballet de Hambourg, conçoit ici une œuvre métaphysique sur la destinée humaine.
Inspiré par la nature qui l’entoure, Mahler compose durant l’été 1895 une symphonie reflétant sa perception du monde et de ses éléments. Cette œuvre mystique, la troisième symphonie en ré mineur, qu’il nomme Le Songe d’un matin d’été, est organisée en six mouvements : « L’éveil de Pan, l’été arrive », « ce que me content les fleurs des prés », « ce que me content les animaux », « ce que me conte l’homme », « ce que me content les anges » et « ce que me conte l’amour ». Inspiré par cette musique bouleversante, John Neumeier commence, en 1974, par chorégraphier un pas de trois sur le quatrième mouvement qu’il dédie à John Cranko, son mentor, décédé tragiquement un an auparavant, et à sa compagnie, le ballet de Stuttgart.

« La Troisième Symphonie de Mahler », avec Dorothée Gilbert et Karl Paquette,
photo Sébastien Mathé

Il n’en reste pas là et très vite décide de chorégraphier, sur l’intégralité de l’œuvre, un ballet sur la destinée humaine. Reprenant la structure de la symphonie, il affecte à chacun des six mouvements une étape de la vie d’un homme, représenté par un personnage central qui va traverser le ballet. Ces étapes, ce sont le passage à l’âge adulte, l’appréhension du monde, la découverte de l’amour, la souffrance de la séparation, la découverte de son idéal personnel et la quête de cet idéal. La chorégraphie néo-classique, d’une grande justesse, porte à elle seule tout le sens de ce ballet sans argument. Conçue également par John Neumeier, la scénographie épurée – absence de décor, costumes minimalistes mais jeu de lumières et de couleurs en harmonie avec les états d’âme des personnages – crée une ambiance onirique propice à la méditation. L’interprétation subtile des danseurs – lors de cette représentation, le personnage central était dansé par Karl Paquette et l’Ange, par Dorothée Gilbert – nous guide dans la réflexion.
Reposant sur la seule sollicitation intellectuelle engendrée par la chorégraphie, La Troisième symphonie n’est pas une œuvre facile à appréhender. C’est une œuvre philosophique qui donne à réfléchir sur un des aspects de la condition humaine : la construction de l’individu et sa place dans le monde. Dans ce sens, elle est un des rares ballets à avoir toute sa place dans la galaxie des œuvres qui aident à se connaître.

Opéra National de Paris, saison 2009-2010
L’Opéra national de Paris propose pour la saison 2009-2010 un programme qui mêle grands ballets classiques et œuvres plus contemporaines dont voici une sélection en avant-première. La saison s’ouvrira avec Giselle, chef-d’œuvre du répertoire romantique écrit par Théophile Gautier et chorégraphié par Jean Corelli et Jules Perrot. Pour la suite, on retrouvera les grands classiques que sont Joyaux de Georges Balanchine ainsi que Casse-Noisette et La Bayadère de Rudolf Noureev.
En hommage au centenaire de la première représentation des Ballets russes à Paris, un programme rassemblera Le Tricorne de Leonide Massine, le Spectre de la rose et Pétrouchka de Michel Fokine et L’Après-midi d’un faune de Vaslav Nijinski. Pour les amateurs de danse plus contemporaine, on trouve La Dame aux camélias de John Neumeier, une nouvelle production entrant au répertoire, Kaguyahime, œuvre phare de Jiri Kylian, fasciné par la culture japonaise, et une création, Siddharta d’Angelin Preljocaj, inspiré par la vie de Bouddha. Belle programmation qui mêle valeurs sûres de la compagnie et création contemporaine.

Stéphanie Nègre