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Musée du Louvre
Paris : Rembrandt

Rembrandt, rénovateur de la figure du Christ

Article mis en ligne le 1er juin 2011
dernière modification le 6 octobre 2013

par Régine KOPP

Consacrer une exposition aux figures du Christ, peut sembler à première vue un sujet peu porteur. Grave erreur, car non seulement l’auteur de ces figures s’appelle Rembrandt, mais l’exposition est exemplaire dans sa conception, le choix des œuvres et leur présentation.

Le fait que l’argument n’a pas seulement été développé par un seul commissaire français, conservateur au Musée du Louvre mais s’est appuyé sur les compétences de deux autres commissaires provenant des deux musées, partenaires de l’exposition, le Philadelphia Museum of Art et le Detroit Institut of Arts, explique certainement la belle réussite. De surcroît le parcours est somptueusement scénographié par Richard Peduzzi, ce qui ajoute encore au plaisir. En quatre-vingt-cinq tableaux, dessins et estampes, provenant de grands musées européens et américains et quelques collections particulières, l’exposition Rembrandt et la figure du Christ se propose de montrer comment le maître hollandais (1606-1669) rompt avec l’image traditionnelle, idéalisée du Christ, cherchant tout au long de sa carrière à renouveler la figure du Christ, à inventer une figure différente. Un cheminement qui ne s’est pas fait sans certaines influences et Rembrandt lui-même sera suivi par des élèves, qui s’empareront de l’image qu’il a mise au point. Tel est le fil conducteur de l’exposition.

Une approche visionnaire
Impressionnant accueil dès la première salle, avec d’une part, un agrandissement photographique de l’eau-forte Le Christ apparaissant aux apôtres (1656) dans laquelle, il s’éloigne des expérimentations autour du modèle vivant, au profit d’une approche visionnaire et d’autre part, Les Pèlerins d’Emmaüs (1629), où le jeune artiste de vingt-trois ans utilise un contrejour violent pour mettre en valeur la figure du Christ, donnant du Christ une vision en ombre chinoise, pour insister sur la dimension du mystère. Dans ses premières confrontations avec la figure du Christ, l’artiste ne manque pas de faire allusion à ses devanciers, comme dans L’Incrédulité de Saint-Thomas, où il emprunte aux peintres hollandais du XV° siècle. Mais, il regarde aussi du côté des Italiens et sa Cène d’après Léonard de Vinci (1634/35) nous montre une composition bien fixée avec le Christ au centre, le dais et la longue nappe, structurant l’espace. Dans La Résurrection de Lazare (1632), sa préoccupation est de montrer un Christ énigmatique et de transcrire la terreur des personnages devant le miracle. C’est dans la gravure de Paulus Pontius, d’après Rubens, Le Christ en croix (1631) que se trouve le point de départ du Christ sur la Croix (1631) de Rembrandt, œuvre conservée au Mas d’Agenais (Lot et Garonne). Il s’écarte de l’idée d’un Christ beau dans la mort et livre un Christ dont le corps est loin des corps glorieux, imposé jusque là par la tradition. Le Christ est seul et souffrant dans les ténèbres et toute la lumière se concentre sur son visage. Cette nouvelle conception impressionne certains de ses contemporains, comme Jan Lievens et Jacob Backer qui cherchent à rivaliser avec lui. Une chance pour les commissaires d’avoir pu réunir pour la première fois les trois Christ.

Un des moments forts de l’exposition correspond aussi à celui des références et des héritages de Rembrandt, qui sont superbement évoqués. L’ambition de Rembrandt étant de surpasser ces prédécesseurs. Que ce soit Mantegna, Dürer, Lucas de Leyde qui imaginent un corps puissant, sculptural, à l’opposé d’une humanité poignante, voulue par Rembrandt. Est aussi présent Martin Schöngauer, qui dans son Portement de la croix (1470/80) crée une scène d’une grande diversité, avec une foule grouillante au milieu de laquelle le Christ montre une figure atemporelle et schématique. L’œuvre de Lucas de Leyde, qui se distingue par sa parfaite maitrise technique et son originalité va stimuler Rembrandt. Dans Le Christ apparaissant à Marthe et à Marie (1519), Lucas de Leyde se montre très inventif aussi bien dans l’importance du drapé que dans le geste autoritaire du Christ, dans Le Christ montré au peuple ou Ecce Homo (1510), les trouvailles sont également nombreuses et séduisent Rembrandt : le sens de la perspective, de l’architecture, le goût pour le costume, l’importance du sentiment, de l’expression.

Figures multiples
Autour de 1640, Rembrandt tâtonne dans sa recherche d’un Christ véridique et il n’y a plus une mais des figures du Christ : « c’est désormais la perfection de l’histoire que traque l’artiste ». Il y a le Christ jardinier dans Le Christ apparaissant à Marie-Madeleine sous l’aspect d’un jardinier (1638), le Christ ascétique dans Le Christ et la femme adultère, le Christ fantomatique dans Le Christ réveillant les Apôtres, le Christ orateur dans La Prédication du Christ. Rembrandt est un lecteur assidu de la Bible, montrant un intérêt particulier envers la culture juive, multipliant les représentations du Christ, tout en produisant des portraits des membres de la communauté juive d’Amsterdam. Un jeu de miroirs entre contemporains et passé biblique, remarquable comme l’illustre le Portrait en buste d’un jeune juif (1663) ou Portrait d’un juif (1648). A cette même époque, il développe le thème d’Emmaüs, qui consiste à mettre en scène l’irruption d’une présence exceptionnelle dans le quotidien et dont témoigne Les Pèlerins d’Emmaüs (1648) dans une symphonie sur la lumière divine et naturelle. C’est alors qu’intervient l’idée d’un Christ « d’après nature ». Dans la gravure La Pièce aux cent florins (La Prédication du Christ, vers1649), un poème manuscrit figurant sur le bas , mentionne un Christ « d’après nature », ce qui laisse supposer qu’il s’est inspiré d’un personnage réel pour représenter le Christ. Dans une ville de commerce comme Amsterdam, première place financière mondiale, qui accueillait de nombreux étrangers, des marchands orientaux, musulmans, juifs, l’artiste ne manque pas de modèles. L’idée d’avoir réuni les sept Tête du Christ, peintes par Rembrandt entre 1648 et 1656, dispersées un peu partout dans le monde est évidemment le point d’orgue ; toutes ces têtes présentent les caractéristiques d’études exécutées en atelier, d’après un modèle qui pose. Et à l’étude de l’expression s’ajoute celle de la lumière. Sur fond sobre, le Christ porte la même tunique marron et la lumière illumine son visage, aux expressions les plus variées, de la douleur au recueillement. C’est en laissant parler les œuvres des élèves, sous le titre Échos et déformations, que l’exposition prend fin. Les innovations du maître sont reprises en variante mais cette imitation un peu vaine ne fait que renforcer la singularité irréductible de Rembrandt. L’album édité pour l’exposition est un guide indispensable, comprenant d’excellentes reproductions.

Régine Kopp

Jusqu’au 18 juillet 2011