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Opéra Bastille
Paris : Paul Hindemith & Mathis

Événement à l’Opéra de Paris...

Article mis en ligne le 20 janvier 2011

par David VERDIER

L’événement est à marquer d’une pierre blanche : l’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris d’une œuvre créée en 1938, et qu’il ne serait pas excessif de qualifier de dernier grand opéra (classique) du XXe siècle.

Bien que naturalisé américain après avoir été mis à l’index par le régime nazi, Hindemith reste un compositeur profondément allemand. Pour certains monolithique et tonale, sa musique repose sur une écriture contrapunctique particulièrement structurée faite de longues lignes horizontales, sobres et monochromes. On peut certainement trouver dans ces répétitions thématiques obsédantes, une continuation expressive très parsifalienne (surtout dans l’acte III).

« Mathis le peintre », vue d’ensemble
Crédit : Charles Duprat / Opéra national de Paris

Laterna magica
Sur fond de “grisaille”, tant musicale que picturale, Hindemith élabore une trame narrative entre grande fresque historique et trame politico-religieuse. Ce livret - écrit de sa main, rappelons-le - est parfois grandiloquent et d’une portée assez confuse. D’une certaine manière, un opéra qui prend pour thème la peinture constitue un défi majeur pour la mise en scène…
Comme on pouvait s’y attendre, la proposition d’Olivier Py ne transige pas avec les effets faciles et l’historicité du drame. Sa vision se situe entre ce qu’on pourrait appeler une théologie politique et un théâtre spirituel. Dans ce qu’il réussit le mieux, on retrouve toutes ces allusions à une mise en scène (littérale) des éléments picturaux du célèbre retable de Grünewald. Le procédé est celui de la mise en abyme des panneaux peints comme par exemple, la crucifixion, panneau central du retable, projetée en ombre chinoise avec des figurants qui prennent la place des personnages bibliques.

« Mathis le peintre » avec Matthias Goerne (Mathis) et Martina Welschenbach (Regina)
Crédit : Charles Duprat / Opéra national de Paris

Ce principe de figuration indirecte rappelle habilement le procédé de la lanterne magique - en témoigne la scène d’ouverture, d’une beauté quasi immatérielle - Mathis s’avançant vers nous, guidé à travers l’immensité obscure du plateau par un cierge qu’il vient fixer au centre de la scène.
Certains s’irriteront de cette dissolution conceptuelle du travail du peintre derrière une trilogie d’éléments scéniques au premier plan : le lit, le cierge et un curieux chevalet-crucifix.
Olivier Py fait mentir le titre de l’ouvrage en contournant volontairement toute allusion à la représentation de Mathis/Mathias en train de peindre. Le fameux tableau qui sert de référence à l’œuvre est réduit à une toile explicitement de dimension réduite et obstinément blanche. L’accent est mis sur ces personnages qui s’animent à l’intérieur d’un décor devenu projection mentale du peintre. Cette mise en scène du monde intérieur de Mathis est magnifiquement reconstituée par cet immense écran gélatineux et dépoli derrière lequel s’agitent les visions hallucinées et démoniaques des personnages fantastiques sortant de leur cadre.
Plus contestables en revanche, le contournement du livret avec les allusions aux autodafés nazis, dans une confusion temporelle avec la période des guerres de religions. Les allusions sont ici très explicites et hyperréalistes (croix gammées, chiens-loups, tanks etc.) Le rapport implicite du livret au contexte politique ne méritait peut-être pas qu’on pousse la représentation de la référence jusque là.
La scénographie de Pierre-André Weitz et les lumières de Bertrand Killy renforcent cette épure dramatique par un assombrissement progressif de la scène et le recentrement autour du personnage central.

« Mathis le peintre » avec Melanie Diener (Ursula) et Matthias Goerne (Mathis)
Crédit : Charles Duprat / Opéra national de Paris

En témoignent, ces inoubliables et très baroqueux éclairages à la bougie qui précèdent l’ultime monologue quasi-parlando de Mathis dans les ténèbres, immobile et face à son destin…
Le plateau vocal se ferait presque oublier par certains aspects – tant il est vrai que la partition n’est en rien "virtuose" ou "spectaculaire". En outre, Christoph Eschenbach ne fait certes pas honneur à cette musique et, pour sa première apparition dans la fosse de l’Opéra de Paris, il nous donne envie de réécouter le compositeur dirigeant lui-même sa musique. Melanie Diener (Ursula) n’est sans doute pas applaudie à la hauteur de la difficulté de son rôle (surtout dans la scène 5), Martina Welschenbach masque par sa présence scénique un timbre relativement hétérogène. Plus perturbants, la comtesse de Nadine Weissmann et le Schwalb de Michael Weinius, tous deux à côté de leur incarnation. Matthias Goerne campe un héros éponyme tout en retenue et de projection bien modeste – il est vrai que nous sommes un soir de première. On ne saurait trop lui reprocher des déplacements scéniques assez hésitants, tant il nous touche avec cette impression de chanter en rêvant les yeux ouverts.
Vous avez dit "chef d’œuvre" ?...

David Verdier

« Matthis le peintre » (1938) - Paul Hindemith
Scott Mac Allister (Albrecht von Brandenburg) Matthias Goerne (Mathis) Thorsten Grümbel (Lorenz von Pommersfelden) Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Wolfgang Capito) Gregory Reinhart (Riedinger) Michael Weinius (Hans Schwalb) Antoine Garcin (Truchsess von Waldburg) Eric Huchet (Sylvester von Schaumberg) Melanie Diener (Ursula) Martina Welschenbach (Regina) Nadine Weissmann (Die Gräfin von Helfenstein) Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris, Christoph Eschenbach (direction), Olivier Py (mise en scène) Pierre-André Weitz (Décors et costumes) Bertrand Killy (Lumières) Joseph Hanimann (Dramaturgie) Patrick Marie Aubert (Chef du Chœur) Opéra Bastille (17 novembre - 6 décembre 2010)