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Musée d’Orsay
Paris, Orsay : James Ensor (1860-1949)

Le musée d’Orsay présente le parcours d’un peintre inclassable : James Ensor.

Article mis en ligne le décembre 2009
dernière modification le 21 février 2010

par Régine KOPP

C’est ainsi que l’artiste belge parlait de lui-même, se considérant comme « un peintre d’exception ». Son œuvre, originale et profonde, entre naturalisme et modernité, et qui s’inscrit dans les grands mouvements de l’avant-garde, est présenté au musée d’Orsay, après avoir été honoré par le Museum of Modern Art de New York.

D’ordinaire, on ne montre d’Ensor que les œuvres de masques de carnaval et de squelettes grimaçants. A ce titre, cette rétrospective, forte d’une centaine de toiles, dessins et gravures, est particulièrement intéressante, car elle montre ce qui a précédé et tente d’expliquer pourquoi, après la rupture de 1882, il se retranche dans son atelier et change de style, en multipliant les toiles satiriques. Ses premières œuvres, ouvrant l’exposition, ne pouvaient laisser deviner la tournure macabre que prendrait sa peinture, même si la tradition flamande du grotesque – des démons de Jérôme Bosch aux monstres de Bruegel – a nourri l’artiste.

Cheminements
Le parcours de l’exposition propose quatre cheminements dans l’œuvre de l’artiste : sa modernité, sa recherche sur la lumière, le grotesque et l’autoportrait, expression d’un culte du moi exacerbé. Les débuts d’Ensor correspondent à sa formation à l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles, où il ne reste que de 1877 à 1880, s’insurgeant rapidement contre l’académisme. « Je sors et sans façon, de cette boîte à myopes », s’indigne-t-il, retournant alors s’installer dans la maison familiale à Ostende. Il peint des natures mortes, des paysages, des scènes de genre, puisant ses sources entre la mer du Nord, illimitée, et l’appartement familial, replié sur lui-même. C’est la période des intérieurs naturalistes, aux tons sombres, celle des intérieurs bourgeois, dont il sait rendre l’atmosphère étouffante comme personne. Une période qui dure jusqu’en 1883 et dont La Mangeuse d’huîtres (1882), refusé au Salon d’Anvers, est à la fois le point culminant et de rupture.
Ensor est humilié par cet échec, déplorant l’incompréhension de ses contemporains qui ne voient pas en lui le découvreur de la lumière et de la couleur qu’il voulait être, car Ensor se passionne pour les effets de lumière. « Je suis noble par la lumière », clame-t-il. Ses investigations sur la lumière ne le rapproche toutefois pas des impressionnistes mais le porte vers d’autres certitudes, conférant à la lumière une puissance unificatrice et spirituelle. Il est convaincu d’être le premier à avoir approché l’expression de la lumière dans sa vérité : « La forme de la lumière, les déformations qu’elle fait subir à la ligne n’ont pas été comprises avant moi ».
A l’inspiration moderne de ses premiers sujets se substitue peu à peu un esprit mystique et ses paysages s’éloignent de la réalité, pour devenir des chaos primitifs et que traduisent des œuvres comme Le Christ apaisant la tempête ou Adam et Eve chassés du paradis terrestre, où la couleur se dilue en volutes dorées. Cette quête culminera dans son tableau programmatique de L’Entrée du Christ à Bruxelles (1889) que le Getty Museum n’a pas prêté mais qui résume tous les principes de l’art d’Ensor, la lumière qui exalte les couleurs poussées au plus vif, le souci de modernité en transplantant le Christ dans la Bruxelles du XIX° siècle, les masques qui brouillent la réalité et l’artiste s’identifiant à la figure du Christ.

Absurdité du monde
Dès 1883, les masques font irruption dans son œuvre. Il exécute cette œuvre charnière, Les Masques scandalisés, auxquels succèdent d’autres œuvres tout aussi déroutantes comme L’Intrigue (1890) et Squelettes se disputant un hareng saur (1891), Masques raillant la mort (1888), Les Masques singuliers (1892) qui lui apporteront le succès, au tournant du siècle. Une thématique qui renvoie à la boutique familiale, tenue par sa grand-mère, qui faisait commerce de curiosités en tous genres : « masques, loques, branches flétries, coquilles, tasses, pots, tapis usés… et l’inévitable tête de mort regardant tout cela, avec les deux trous vides de ses yeux absents », selon la description faite par Verhaeren, un des premiers défenseurs d’Ensor.

Culte du moi
Les masques qui camouflent une réalité que le peintre trouve trop laide et cruelle seront bientôt rejoints par des squelettes, qui pointent la vanité et l’absurdité du monde. Les toiles de l’artiste visent les critiques qui vilipendent ses toiles mais dénoncent aussi les injustices de son temps. Sa manière nouvelle avec des couleurs plus vives, avec ses masques, ses banderoles, sa parade de personnages étranges inaugure une nouvelle ère dans son œuvre : « Pour arriver à rendre les tons riches et variés, j’avais mélangé toutes les couleurs… J’ai modifié alors ma manière et appliqué les couleurs pures. J’ai cherché logiquement les effets violents, surtout les masques où les tons vifs dominent. Ces masques me plaisaient aussi parce qu’ils froissaient le public qui m’avait si mal accueilli », précise Ensor.
Il poursuit son œuvre et laisse alors exploser son sentiment de persécution dans l’autoportrait. C’est sous le titre Le peintre aux 112 autoportraits que le visiteur peut mesurer l’ampleur qu’a pris chez cet artiste le culte du moi. Il expérimente divers médiums – dessin, gravure ou toile – divers formats, divers styles, pour suivre au plus près son besoin d’expression. Dans son Autoportrait au chapeau fleuri (1883/1888), il s’inspire d’un des autoportraits de Rubens, troquant le chapeau du maître contre un chapeau à plumes et à fleurs. A partir de 1892, non content de se peindre, il se peint également dans ses œuvres. Une manière de préparer sa place dans l’histoire de la peinture et de forger sa légende.
Rejeté dans son pays, sa reconnaissance lui viendra d’abord des milieux expressionnistes allemands qui se réfèrent à lui, reprenant à leur compte ses couleurs stridentes. A partir de 1910, la Belgique reconnaît en Ensor un grand artiste, le couvrant de tous les honneurs. Mais paradoxalement, c’est avec sa consécration que son inspiration se tarit. Une consécration qui ne s’est jamais démentie, puisque sa cote n’a cessé de grimper et que Le Désespoir de Pierrot, vendu lors de la vente Saint Laurent, a été acquis par un collectionneur à presque cinq millions d’euros.

Régine Kopp

Exposition jusqu’au 4 février 2010
www.musee-orsay.fr