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A l’Opéra Comique
Paris, opéra : “The Fairy Queen“

Quatre heures de pur bonheur et on en redemanderait !

Article mis en ligne le mars 2010
dernière modification le 26 mars 2010

par Marcel QUILLEVERE

Nul doute que l’arrivée à Paris de la troupe anglaise qui avait créé The Fairy Queen au Festival de Glyndebourne, l’été dernier, a été l’événement de ce début d’année. L’Opéra Comique, co-producteur de ce spectacle, n’a pu répondre à toutes les demandes et a joué à bureaux fermés.

On ne pouvait rêver plus beau spectacle pour fêter les 30 ans des Arts Florissants et c’est une grande émotion de voir, vingt-trois ans après Atys de Lully, William Christie, renouveler le miracle, à la tête de ses troupes, dans ce même Opéra Comique. Quatre heures de pur bonheur et on en redemanderait ! Le flegme anglais est vite bousculé par la fantaisie brillante de la musique, son émotion à fleur de peau, sa bouffonnerie et sa grandeur et William Christie est en totale harmonie avec l’imagination débordante du metteur en scène Jonathan Kent.

« The Fairy Queen »
Photo Pierre Grosbois

Un metteur en scène génial, car il fallait du talent et de l’audace pour se lancer dans l’aventure. Personne, avant Kent, n’était parvenu à monter, avec tant d’évidence, The Fairy Queen telle que Dorset l’avait imaginée à Londres, dans son théâtre. Il faut dire que cela tient de la gageure de parvenir à insérer ces préludes, interludes et divertissements musicaux dans ce texte savoureux, inspiré de Shakespeare, en gardant à l’œuvre théâtrale toute sa cohésion. Pari gagné !
On sait que le public londonien aimait avant tout le théâtre parlé et ces grands acteurs anglais qui avaient (et ont toujours) cet art de la déclamation où le mot est distillé comme le plus beau des chants. Il est de coutume d’appeler semi-opéra ce spectacle théâtral avec musique. Le travail de Kent nous fait simplement comprendre que les Anglais avaient inventé, dès le XVIIe siècle, ce genre si difficile à réussir qu’est la comédie musicale. On comprend mieux, dès lors, qu’ils en soient toujours les maîtres.
Purcell se sentait chez lui dans ce genre de spectacle. Musicien savant, nourri à toutes les musiques d’Europe, il avait cette imagination débordante qui donne à sa musique une invention sans cesse renouvelée. Il mêle, avec un naturel confondant, les danses et chansons populaires à des compositions de haut vol. Il fait alterner la drôlerie et la trivialité (très étudiée !) de certaines mélodies à des musiques qui touchent au sublime comme la grande scène du sommeil ou l’émouvante plainte “O let me weep“, que chante admirablement la soprano Emmanuelle de Negri à la fin de l’ouvrage. Cette musique requiert donc des interprètes chevronnés.

« The Fairy Queen »
Photo Pierre Grosbois

On passe ici, insensiblement et avec un naturel confondants, du chant au parlé et vice-versa. Les acteurs eux-mêmes, pris au jeu, colorent leur déclamation de telle sorte qu’il n’y a aucun hiatus quand les airs et les danses succèdent à leurs scènes et à leurs tirades. Titania, par exemple, a une voix chaude, riche et noire et elle déclame son texte avec le lyrisme et l’autorité d’une cantatrice. Sally Dexter y est simplement admirable. Il y a aussi la troupe des artisans qui sont carrément désopilants. Bottom (Desmond Barrit) la mène avec brio et une extraordinaire palette expressive.

« The Fairy Queen »
Photo Pierre Grosbois

Les chanteurs sont tous dignes d’éloge et sont, de surcroît, de magnifiques acteurs. Ils sont si nombreux qu’on ne peut citer tout le monde. Les sopranos Lucy Growe, Claire Debono et toutes les fées ont des voix fruitées et cette technique britannique traditionnelle, souple et sûre. Ed Lyon est un chanteur et un acteur hors pair avec ce timbre très spécifique des ténors anglais. Les chœurs, comme toujours, sont d’une grande beauté et d’une précision impressionnante.
C’est un spectacle éblouissant, fidèle à la tradition baroque avec tout ce qu’il faut de machineries, et la technique de l’Opéra Comique est à la hauteur de l’exploit. Les décors et costumes de Paul Brown sont comme la musique de Purcell, pleins d’invention, de couleurs et de rafffinement. Les ballets (Kim Brandstrup) s’enchaînent et s’intègrent au spectacle de telle manière que tous les déplacements des acteurs et chanteurs semblent avoir été tout naturellement chorégraphiés.
Le spectacle débute dans le cabinet de curiosité d’une demeure patricienne anglaise, là où la science se mêle à la magie. C’est très judicieux car ces vitrines fantasques peuvent s’ouvrir naturellement sur la forêt où les songes lunaires permettront aux personnages de se révéler à eux-mêmes.
Car, au-delà de la pompe baroque c’est un semi-opéra qui va loin et sa mise en scène est admirable car elle nous entraîne au plus profond de nous-même, jusqu’aux forêts insondables de la vie, en tentant, par la musique et le théâtre, de nous les entrouvrir un peu, le temps d’un soir.

Marcel Quillévéré