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Sur les scènes parisiennes
Paris, Opéra : Princesse martyre

Vu et entendu : Yvonne, Princesse de Bourgogne, Lady Macbeth de Mzensk, Vespro della beata Vergine, Fra Diavolo, Zampa, La Colombe, les quatre jumelles, et quelques concerts.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 19 avril 2009

par Pierre-René SERNA

Ultime création de l’ère Mortier, Yvonne, Princesse de Bourgogne frappe un grand coup au palais Garnier. Le livret et la mise en scène, œuvres de Luc Bondy, la musique, signée Philippe Boesmans, et sa restitution, sous la tutelle de Sylvain Cambreling, frisent le miracle en un épanchement prégnant.

Boesmans est l’un de ces compositeurs d’aujourd’hui que le succès accompagne. Ses opéras Reigen (1993) et Wintermärchen (1999) ont marqué les esprits et se maintiennent toujours au répertoire. Fait suffisamment rare, sinon unique, au sein d’une actuelle création lyrique souvent sans lendemain. C’est donc à une valeur sûre que l’Opéra de Paris s’est adressée pour sa commande, et qui plus est un vieux complice de Gerard Mortier depuis ses débuts à la Monnaie bruxelloise. Yvonne s’inspire de la pièce éponyme de Witold Gobrowicz, que Bondy a quelque peu condensée. Il y est question d’une femme laide, qui de ce fait même exerce une fascination perverse sur ceux qui l’environnent, à commencer par le prince de ce royaume de fable. La laideur, qualifiée telle en fonction de critères instables, est nécessairement dérangeante et l’héroïne subira le tragique sort qui lui est promis. Pour cette métaphore de l’improbable combat du laid et du beau, Boesmans opte sans discussion pour le second critère dans son travail musical. Orchestre chatoyant, lignes vocales jamais prises en porte-à-faux, atmosphères poétiques : tout concourt à un plaisir direct et immédiat. On regrettera toutefois une rétention lyrique (dans cette déclamation calquée, une fois encore, de Pelléas) et un souffle parfois court, qui laisseraient penser que les deux opéras précités du même compositeur parviennent à une plus grande réussite. Mais attendons une nouvelle écoute – lors de reprises qui ne sauraient manquer – pour préciser davantage une première impression.

« Yvonne, princesse de Bourgogne » à Garnier, avec Yann Beuron, ténor - Le Prince Philippe ; Jean-Luc Ballestra, baryton - Cyprien, Dörte Lyssewski, comédienne - Yvonne.
Crédit : Ruth Walz / Opéra national de Paris

La mise en scène marque un sans faute, alliant un réalisme cru dans une minutieuse direction d’acteurs, des images rêveuses sous des éclairages travaillés et une action qui avance inexorablement. Le personnage central, Yvonne, est campé (et admirablement mimé par Dörte Lyssewski) davantage comme une trisomique que comme un laideron, la déficience mentale signalant sans doute le pire reflet d’un aspect visuel repoussant – et le plus perturbant pour nos conventions sociales. Yann Beuron (le Prince), Paul Gay (le Roi), Mireille Delunsch (la Reine), présentent les uns et les autres des archétypes scéniquement et vocalement achevés. L’ensemble les Jeunes solistes et le Klangforum Wien se combinent, fermement et puissamment menés par un Cambreling attentif au moindre détail.

Les tourments de Lady Macbeth
À la Bastille, Lady Macbeth de Mzensk arrive comme une espèce de tsunami dont on ne saurait sortir parfaitement indemne. La force sulfureuse de l’opéra de Chostakovitch s’y offre comme rarement, nue en sa fureur noire sans espérance.

« Lady Macbeth de Mzensk » à la Bastille, avec Michael Köning, ténor, (Serguei) et Eva-Maria Westbroek, soprano (Katerina Lvovna Ismailova)
Crédit : Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

La mise en scène de Martin Kusej (créée à Amsterdam en 2006) montre directement le sexe, le sang, le crime et l’horreur de la cruauté humaine ordinaire. Une leçon d’absolu pessimisme. La protagoniste principale, Katerina, se présente d’entrée enclose dans un bloc de verre violemment éclairé, d’où tout se voit mais d’où l’on ne peut sortir. Les ouvriers pitoyables, le barbon sadique (Boris), le mari impuissant (Zinovy), le séducteur sans scrupules (Serguei), s’agglutinent autour, eux-mêmes enserrés dans une vaste cage de bois sans issue qui emplit la scène. Nul horizon ni échappatoire. Dans la seconde partie, la foule des prisonniers se bouscule, recluse en un sous-sol sordide avec pour seul toit la ronde de sentinelles et leurs chiens. Ce monde de terreur qui figure toutes les tyrannies, et pas seulement celle de Staline (si durement vécue par Chostakovitch), se complète d’un réalisme cru des personnages, leurs petitesses et leurs souffrances.
Eva-Maria Westbroek est au centre de la tourmente, portant tout le spectacle : incarnation explosive de Katerina, belle comme peu d’artistes des écrans, comédienne comme rarement au théâtre et chanteuse accomplie : voix sûre, phrasé souverain et projection toujours ferme. Une Katerina pour l’Histoire ! À ses côtés, le Serguei de Michael König ne détonne pas avec son émission pleine et sa ligne de chant bien menée. Carole Wilson (Aksinya), Vladimir Naneev (Boris) et Ludovit Ludha (Zinovy) complètent sans faillir une distribution idéalement choisie. La bonne surprise vient de l’orchestre, celui d’un Opéra de Paris des grands jours (et dans ce cas, l’un des meilleurs au monde), et, autre surprise, du chœur, impeccable de précision et de puissance, sous la battue enflammée d’Hartmut Haenchen.
Madame Butterfly figure en alternance, et revient à Bastille dans l’inusable et toujours splendide conception japonisante de Robert Wilson. Cheryl Barker est l’héroïne victime de Puccini, d’une immanente expression vocale. La direction de Vello Pähn soulève l’orchestre de couleurs et de verve.

Vêpres dans l’espace
Oleg Kulig est un plasticien à l’imagination débridée, dont les œuvres et installations ont été présentées par les grandes expositions internationales. Mais c’est la première fois que l’artiste russe s’essaye à la mise en scène. L’événement est donc de taille pour les Vespro della beata Vergine au Châtelet. Kulig prend tout le théâtre comme lieu de représentation, sorte de temple d’un rituel mystique (l’œuvre s’y prête). Derrière des braseros sur les trottoirs, la façade du Châtelet se masque d’un grand tulle blanc recouvert d’inscriptions à caractère ésotérique ; les couloirs et foyers sont tapis sous une lumière rouge tamisée. Le climat s’installe avant que le spectacle commence. Nul lever de rideau n’en marque son début : dans la salle et sur le plateau, des personnages costumés façon moines bouddhistes – les interprètes – vont et viennent. Et d’un coup, après quelques borborygmes gutturaux sortis de haut-parleurs, la musique monte. Et la gêne aussi. On s’interroge : d’où provient cette source sonore indéterminable ?…

« Vespro della beata Vergine » au Châtelet.
Crédit Marie-Noëlle Robert

De fait, elle se mêle de l’artifice d’une amplification. L’effet de spatialisation de la mise en scène – avec force lasers et projections dans la salle même – en devient réduit à un seul plan auditif. À quoi bon des chanteurs disséminés aux quatre coins ? s’ils sont écrasés par la diffusion synthétique. Le Châtelet s’obstine dans sa nouvelle manie : ces microphones, propres aux variétés, mais indignes de Monteverdi. C’est infiniment dommageable. D’autant que le plateau vocal réuni (Valérie Gabail, Sylvia Schwartz, Nicolas Testé, associés au chœur maison) semble au-dessus de tout reproche. Mais comment en juger ? Tout comme pour la direction aux gestes précis de Jean-Christophe Spinosi devant son Ensemble Matheus, et ses cordes branchées de fils électriques… Pourquoi alors des instruments d’époque ? Un alibi ?…
Il conviendrait que le Châtelet en tire définitivement la leçon, et chasse désormais ces sonorisations importunes, dénaturant ici un spectacle qui autrement aurait eu tout pour captiver.

Fra Diavolo et Zampa
Fra Diavolo revient à l’Opéra-Comique, dont il avait fait les beaux soirs jusqu’à l’orée du XXe siècle (et même au-delà, chez Laurel et Hardy, dans une pellicule célèbre – présentée au reste, en annexe du spectacle). La musique d’Auber, mélodique et bien martelée, se fredonne et se retient aisément, d’autant mieux que les reprises à l’identique sont là pour la rappeler avec insistance. Elle semble d’un émule de Rossini, dépourvu de génie comme de laisser-aller (propre à l’urgence du génie). Un ouvrage bien tourné donc, et qui trouverait encore son public comme l’atteste l’accueil enthousiaste réservé salle Favart.

« Fra Diavolo » à l’Opéra Comique
© Pierre Grosbois 2009.

Pour traiter l’histoire de ce bandit de grands chemins (mais au grand cœur !), Jérôme Deschamps a su éviter une mise en scène au second degré, que l’ouvrage n’aurait supporté, sans verser nécessairement dans l’illustration facile. Les situations sont présentées sans complication, avec toiles peintes évocatrices et costumes d’époque, mais le jeu et le mouvement restent subtilement trouvés. Le spectacle entraîne et convainc, hors même la vocation éminemment louable du lieu à restituer son propre répertoire. Jérémie Rhorer dirige son Cercle de l’harmonie (instruments d’époque, s’il vous plaît) et le chœur les Éléments, avec une bonne dose de dynamisme. La distribution internationale réunie s’acquitte parfaitement des dialogues parlés et d’une expression vocale adéquate ; la jolie voix de ténor léger de Kenneth Tarver (Fra Diavolo), la coloratoure de Sumi Jo (Zerline) s’accompagnent des présences judicieuses d’Antonio Figueroa (Lorenzo), Doris Lamprecht (Pamela) et Marc Molomot (Cockburn). Comme un parfum d’époque…
En prélude à Fra Diavolo, Zampa – autre brigand de légende – est de retour sur les lieux de ses exploits retrouvés, sous l’égide des mêmes maîtres d’œuvre que la saison passée : William Christie, les Arts florissants, d’excellents solistes (dont Richard Troxell et Jaël Azzaretti, nouvelle venue), Deschamps et Macha Makaïeff pour la mise en scène. En une sorte d’aboutissement, plus fermement conduit (un deuxième acte que l’on n’avait d’abord pas ressenti aussi enlevé) et davantage circonscrit. Hérold aurait été ravi et comblé.

La Colombe et la Péniche
La Péniche Opéra sait essaimer à l’occasion son savoir-faire sur d’autres rivages. En première à une série de représentations sur son canal d’élection, la Colombe est ainsi offerte au joli théâtre rococo de Fontainebleau (face au château). Pour l’occasion, cet opéra-comique de Gounod, méconnu s’il en est, est pourvu d’une parure instrumentale constituée par les neuf participants (excellent orchestre en petit format) d’Ad Novem. La mondaine qui rend visite à un hobereau de province, se transmue en mannequin parisien chez les alter mondialistes. Mireille Larroche sait jouer des clins d’œil, et dans sa mise en scène le livret de cette Colombe promise à une cuisine ampoulée devient joyeuseté sans perdre sa légèreté. Dorothée Lorthiois est une Sylvie de franche vocalité et de vrai abattage. Vanessa Le Charlès, Pierre Espiaut et Johann Leroux ne lui cèdent en rien, pour former un quatuor de comédiens au chant assuré. Un oiseau gentiment ressorti de sa cage.

« La Colombe » à Fontainebleau
© D. Hamot

Au bord de son parisien quai de la Loire, la Péniche Opéra régale d’un autre plaisir : les Shadoks à l’opéra, ouvrage en création de Denis Chouillet. Le célèbre dessin animé télévisé des années 80 trouve un correspondant musical qui lui dispute en non-sens et humour. Edwige Bourdy a tous les talents, de ceux que l’on voit chez les amuseurs du cabaret, mais ici pour une véritable chanteuse lyrique. La mise en scène de Mireille Larroche aidée de l’imaginative marionnettiste Marie Girardin est le juste appoint d’une soirée enchanteresse, commencée par Satie (Sports et divertissements) et finie par Poulenc (l’Histoire de Babar). Dans ce même lieu, l’opéra de Denis Machuel, le Panoptique de Jeremy Bentmam, autre création, se fait plus laborieux. On aura mieux goûté lors de ce “Lundi de la contemporaine” son Einmal, série de lieder à la manière de Schœnberg, servi par la voix prenante de Caroline Chassany.

Quatre Jumelles
Le compositeur Régis Campo a réussi son pari : divertir sans racoler, séduire sans concéder.

« Quatre jumelles »
photo E. Bartolucci

Son “opéra-bouffe” les Quatre jumelles allie des ingrédients a priori irréconciliables dans un langage musical qui mêle allègrement Ligeti et Adams. L’effet est garanti pour ce livret d’un doux délire d’après Copi, histoire de femmes, vraies et travesties, dans un huis clos qui n’évoque guère Sartre. La mise en scène de Jean-Christophe Saïs place ce joli (demi) monde dans une salle close de murs blancs, avec pour seule animation les gesticulations hystériques des intervenants. La pièce se referme et le sourire tourne à la grimace, comme le monde de Copi tel que l’a si bien retranscrit Campo. Robert Expert, Fabrice di Falco, Julie Robard-Gendre et Sylvia Vadimova forme un quatuor vocal et scénique de choc, soutenu par l’ensemble TM+ et la direction alerte de Laurent Cuniot. Le spectacle est présenté à la Maison de la musique de Nanterre, en prélude à une tournée par l’Arcal à travers de multiples bourgades de France. Beau départ.

Concerts
Pour inaugurer l’année Mendelssohn, l’Orchestre national de France et le Chœur de Radio France présentent Elias au Théâtre des Champs-Élysées. Un concert rare, d’une émotion palpable chez tous ses interprètes (le ténor Werner Güra, particulièrement chez les solistes) et leur chef, un Kurt Masur des plus inspirés, qui restitue l’esprit d’un chef-d’œuvre que l’on aimerait plus fréquent. Le National, toujours, sous la direction du même, exprime au Châtelet, une Troisième de Bruckner sans pathos mais non pas sans ferveur. L’autre orchestre de Radio France, le Philharmonique, excelle pour sa part dans Sibelius à Pleyel, sous l’emprise d’un maître ès qualités, Esa-Pekka Salonen.

Parmi les manifestations qui accompagnent Fra Diavolo à l’Opéra-Comique, se signale tout spécialement le concert de l’orchestre OstinatO. La flamme de ces jeunes premiers Prix de Conservatoire fait plaisir à voir et à entendre, galvanisés qu’ils sont par la battue emportée de Jean-Luc Tingaud. L’occasion de cet “Alla turca” de Mozart à Auber, révèle par là même au public médusé deux pièces de Berlioz : l’une rare (Marche marocaine) et l’autre totalement inédite (Marche d’Isly, redécouverte par les soins du musicographe britannique Michel Austin et de l’auteur de ces lignes).

Pierre-René Serna