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Paris, opéra : “Pelléas“ en ses murs

Vu et entendu : Pelléas et Mélisande - La Donna del lago - Semele - Mirandolina - Le Père - le Bonheur.

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 23 septembre 2010

par Pierre-René SERNA

Pelléas et Mélisande revient, tel qu’en lui-même : sur les lieux de sa naissance,
l’Opéra-Comique, et dans une restitution musicale historiciste. Un retour qui tient de l’accomplissement.

Car on aurait trop tendance à oublier que l’opéra de Debussy fut destiné à une salle intime, et à l’acoustique des plus présentes, telle qu’est l’Opéra-Comique de Paris. À partir de là, s’expliquent et se justifient bien des traits de l’œuvre : son sentiment allusif et fragile, la délicatesse des timbres de l’orchestre, sa vocalité si peu mélodique mais héritée de la tradition des dialogues parlés propres au genre même de l’opéra-comique, et sa veine, elle, assez directe. Car nous voilà en plein vérisme ! avec sa tranche de vie saignante, sa jalousie fatale de tous les jours et ses sanglots (pour Golaud, au dernier acte)… Le contexte à l’époque de la création de l’œuvre le veut. Mais c’est un caractère bien peu mis en avant par les exégètes, qui se contentent de se copier les uns les autres ou de puiser dans les manuels des Conservatoires. Alors qu’il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles…
La nouvelle production de la salle Favart sait justement ne pas gommer cet aspect, même si le décorum demeure abstrait : un vaste cercle sur lequel se plante un phare (rappel du climat marin du texte de Maeterlinck), et sa transposition en modèle réduit au fil des actes. Les gestes sont précis et pensés, les costumes sans connotation d’époque particulière, les éclairages travaillés. Stéphane Braunschweig fait du Braunschweig, sans surprise, et sans défaut ni excès d’enthousiasme.

« Pelléas et Mélisande »
© Elisabeth Carecchio pour l’Opéra Comique

L’intérêt est donc ailleurs. John Eliot Gardiner répond à l’espérance que suscite son nom à l’affiche – sans surprise non plus, mais ici pour le meilleur. Les timbres, dépourvus de vibrato, de l’Orchestre révolutionnaire et romantique se fondent avec délice, tout en s’équilibrant idéalement avec le plateau vocal.
Celui-ci n’appelle que des éloges, pour l’adéquation des tessitures, le phrasé, la prosodie. Citons ses principaux composants : Phillip Addis, Pelléas aux éclats lumineux de ténor pour le baryton Martin que le rôle réclame (entre ténor et baryton, donc), Karen Vourc’h, Mélisande fragile de caractérisation mais ferme d’émission, Marc Barrard, Golaud sombre et bien projeté. Et chacun des autres chanteurs, y compris l’Yniold délié et délicat de Dima Bawab, de se mouler dans une transmission lisse (à l’exception d’un Arkel sur le retour, comme sa voix usée). Un petit miracle ! Reste l’option musicologique, où l’on attendait aussi beaucoup de Gardiner. Au rebours de sa conception précédente de l’œuvre, à l’Opéra de Lyon et lors de différentes reprises à la suite, ce chef épris de retour aux sources à choisi la partition ultime et non pas initiale. Les interludes sont ainsi rétablis, de même que différents petits passages ultérieurement passés à la trappe. Ou Pelléas et Mélisande version longue... L’attrait musical et dramaturgique y gagne, mais peut-être pas l’équilibre de l’œuvre, qui n’a jamais paru aussi appesantie. Mais entre l’impact du lieu et sa restitution d’exception, cette production s’avère en tous points mémorable.

Le feu au lac ?
La Donna del lago appartient à la période napolitaine de Rossini, et fut spécialement écrite pour la voix de la Colbran, la première épouse du compositeur. Il s’agissait, en l’occurrence et également, de rouvrir avec cet opéra le théâtre San Carlo de Naples après son incendie. Une espèce, donc, d’ouvrage de circonstance. D’où, sans doute, son peu d’envergure au plan musical comme dramaturgique. Nous restons très loin du grand Rossini, de l’inspiration qui parcourt presque tous ses ouvrages, de Tancrède à La Gazza ladra ou Maometto II, sans oublier ses irrésistibles et fameux opéras buffa, Cenerentola ou le Barbier de Séville. La musique s’ébroue ainsi laborieusement durant ses deux heures et demie, avec une enfilade de formules conventionnelles puisées au bel canto le plus courant et ponctuées d’inévitables cadences napolitaines (adaptées ! ) à répétition. Sauf, sur la toute fin, un magnifique trio et l’air célèbre “Tanti affetti” de la Donna et rôle-titre. Ce qui explique que l’opéra se soit converti, depuis sa redécouverte en 1958 et surtout les représentations en 1981 à Pesaro, en ouvrage fétiche des divos et divas.

« La Dame du Lac » avec Juan Diego Florez (Giacomo V, Uberto di Snowdon) et Joyce DiDonato (Elena).
Crédit : Opéra national de Paris/ Agathe Poupeney

Pour la récente production du Palais Garnier, ceux-ci ne manquent pas : Juan Diego Flórez (Giacomo), Joyce di Donato (Elena) et Daniela Barcellona (Malcolm), les uns et les autres à la hauteur de leur juste et flatteuse réputation. S’ajoutent Colin Lee et Simón Orfila, un ténor et une basse de belle technique qui donnent prestance à Rodrigo et Duglas. Contrat absolument et parfaitement rempli ! Nicolas Joel confirme, depuis sa prise en main de l’Opéra de Paris, combien il sait choisir une distribution.
Qu’importent dès lors ! un orchestre sous les ordres routiniers de Roberto Abbado, et un chœur – omniprésent avec ses interventions martelées – régulièrement décalé. L’accessoire, en quelque sorte… À partir d’une trame inspirée par Walter Scott qui mêle conflit sentimental et guerrier dans l’Écosse gotique et sans beaucoup de vraisemblance, Lluís Pasqual opte pour un montage scénique symbolique. Nous sommes dans l’enceinte d’un théâtre néoclassique à la manière du XVIIe siècle (signé par Ezio Frigerio), qui ouvre et ferme ses trois niveaux et ses colonnades dorées, peuplé d’êtres arborant de grises armures ornées (qui pourraient aussi faire penser à l’habit des toreros – atavisme du metteur en scène ?) et de lumières bien dessinées. Les personnages limitent leur prestation à des gestes d’usage et le chœur, en frac, se maintient immobile aligné en rang d’oignons. Quelques croquignolets ballets (chorégraphiés par Cosme Colomé) tentent d’animer l’arrière-fond, à défaut de nerf pour le reste du plateau. Un peu dans l’esprit que dégage l’œuvre. Peut-être est-ce le motif qui a poussé Pasqual à ne pas tenter l’impossible (comme, malencontreusement, pour la zarzuela La viejecita de Fernández Caballero, vue l’an passé au Teatro Arriaga de Bilbao).

Admirable Semele
Présenté il y a six ans – déjà ! – en ce même Théâtre des Champs-Élysées, Semele conçu par David McVicar reste l’un des plus beaux spectacles d’opéra vu à Paris au cours de la décennie. La précision de chaque geste, les images poétiques, les costumes flamboyants (d’aujourd’hui ou d’un XVIIIe siècle stylisé), le cadre enserrant d’un décor unique en forme de temple (ou de théâtre antique) sous des lumières crues, la virevolte précise des intervenants et leur jeu parfaitement caractérisé : tout concourt à l’exception. Un plaisir visuel et intellectuel de chaque instant.

« Semele », acte II
Crédit photo Alvaro Yanez

Pour cette reprise, la restitution musicale diffère de celle de la création. Nous ne conservons plus qu’un souvenir de celle réunie sous la conduite de Marc Minkowski. Mais Christophe Rousset, qui lui succède à six ans de distance, atteint une sorte de perfection, en phase avec la mise en scène. Devant un orchestre des Talens lyriques ductile et acerbe comme jamais, et un Chœur du Théâtre des Champs-Élysées qui ne lui cède en rien, en puissance et cohésion (tout autrement que le Chœur de l’Opéra de Paris dans La Donna del lago !), le plateau vocal sert merveilleusement ce Haendel de la toute fin. Danielle De Niese allie abattage et une émission vocale immanente ; Richard Croft ajoute l’émotion d’une voix de ténor mariant subtilement le registre de poitrine et de tête ; Vivica Genaux essaime ses volutes vocales entre des accès de couleurs ténébreuses.
Un Haendel pour l’éternité ?

Mirandolina
Mirandolina constitue l’une des dernières œuvres de Martinu. Cet opéra léger, sur un livret en italien tiré de Goldoni, n’avait jamais été donné en France depuis sa création en 1959 (année de la disparition de Martinu) à Prague. C’est donc à une grande première que convie la MC 93 de Bobigny associée à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. L’initiative de monter cet ouvrage revient cependant à ce dernier, et à son directeur, Christian Schirm. Bravo ! et judicieuse idée, qui permet de découvrir un ouvrage assez éblouissant, d’une extrême complexité orchestrale et vocale. Le langage reste cependant consonant, en cette époque où la tonalité est mise à mal. Mais la ligne vocale épouse les schémas de l’arioso en vigueur depuis Pelléas. Avec, parfois, quelques ensembles aux voix réunies (absents, eux, de Pelléas).

« Mirandolina » avec Carol Garcia (Hortensia), Vincent Delhoume (Le Comte), Aude Extremo (Dejanira), Ilona Krzywicka (Mirandolina) et Damien Pass (Le Marquis).
Crédit : Opéra national de Paris / Mirco Magliocca

C’est donc à un défi que se confrontent les jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique. Pari gagné ! La vibrante Ilona Krzywicka assume le rôle-titre avec une assurance confondante. Vincent Delhoume, Damien Pass, Stanislas de Barbeyrac, Carol García, Aude Extrémo et Manuel Nuñez Camelino lui donnent une impeccable réplique, confirmant des talents déjà repérés. L’Orchestre-Atelier OstinatO s’acquitte avec brio d’une partition virtuose sous la battue sûre de Marius Stieghorst. Stephen Taylor, quant à lui, mène une mise en scène enlevée, avec juste un mur percé de portes et des gestes étudiés. Un spectacle d’école, qui atteste la qualité de ses participants.

Le Père
Dans le cadre du Festival Agora, le Théâtre de l’Athénée présente le Père, le dernier ouvrage lyrique de Michael Jarrell, compositeur genevois de renommée mondiale. Un petit événement dans le cénacle de la musique contemporaine à Paris ! Ce n’est toutefois pas exactement une création, puisque la première de l’œuvre fut quelques jours auparavant de ce même mois de juin, à Schwetzingen. Car il s’agit d’une commande conjointe du Festival de Schwetzingen, de l’Ircam et des Percussions de Strasbourg. Les représentants de ces deux derniers, du reste, officient. Il y a donc un traitement électroacoustique en “temps réel”, des percussions nombreuses servies par six instrumentistes, mais aussi un ensemble vocal de trois chanteuses et un comédien.

« Le Père »
© Monika Rittershaus

L’ouvrage s’apparenterait alors davantage à un mélodrame qu’à un opéra, avec un texte déclamé, pris à Heiner Müller, sur fond de sons électroniques, percutants et vocaux (eux, à partir d’onomatopées). La trame reprend et résume une vie, celle d’un Allemand qui passera du joug nazi à celui soviétique, et ses affres vues par les yeux de son fils. Prégnant ! d’autant que l’atour musical, puissant ou évanescent, met en exergue le caractère troublant de la narration. Le récitant Gilles Privat délivre une présence forte et discrète, et la mise en scène d’André Wilms se fait habile ; constituée d’un voile où transparaissent les instruments sur scène, du jeu de l’acteur et de figurants au premier plan, sous des lumières crues. L’espace d’un autre temps…

… et le Bonheur
Toujours avec le Festival Agora et l’Ircam pour protagonistes, l’Auditorium du Louvre offre de son côté une pellicule cinématographique restaurée, le Bonheur, pourvue d’une bande-son en création mondiale due à Sébastien Gaxie. Ce n’est, pour le coup, plus du tout de l’opéra ; mais une forme qui s’apparente, visuelle et musicale. La musique mêle sons synthétiques et illustrations de bruits d’oiseaux, de trains, hennissements de chevaux… Une résurgence de la musique concrète, telle qu’expérimentée sans vrai lendemain par Pierre Schaeffer dans les années 50. La réussite est indéniable, captivante en elle-même et accordée au sujet qu’elle soutient. Car ce film muet du Russe Alexandre Medvedkine méritait ce travail de remise à jour : délire surréaliste, entre Buster Keaton et le Chien andalou de Dali, censé chanter les bienfaits des kolkhozes. Irrésistible et drôle en même temps. Les autorités staliniennes de l’époque, 1934, ne s’y tromperont d’ailleurs pas, qui interdiront par la suite au cinéaste de poursuivre son métier.

Pierre-René Serna