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sur les scènes lyriques parisiennes
Paris, opéra : “Orlando“ hors du temps

Vu et entendu : Orlando - Le Vagabond ensorcelé - le Grand Éclair - les Joueurs- Lodoïska.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 24 janvier 2011

par Pierre-René SERNA

La conjonction de différents talents, dont le savoir-faire imaginatif et éprouvé du metteur en scène David McVicar, et d’un génie, Haendel, consacre cet Orlando présenté au Théâtre des Champs-Élysées comme un grand moment lyrique.

McVicar, dont on garde encore le souvenir ébloui de son Semele (voir Scènes Magazine de septembre), revient donc à Haendel. Dans ce cas, Orlando a été étrenné à l’Opéra de Lille, un mois avant d’être présenté à Paris. Il s’agit donc d’un spectacle rodé et abouti. Et cela se note à chaque détail, dans la précision des mouvements, l’adéquation du jeu scénique ou la justesse des éclairages. L’inventivité du metteur en scène trouve ainsi sa parfaite transmission, dont on relèvera deux éléments saillants : la vérité des situations, en concordance avec la musique, et l’élégance de l’ensemble. Deux vertus, finalement, assez peu souvent réunies dans les productions d’opéra. McVicar a choisi de transposer cette histoire mythologique, qui voit la magie et la jalousie rendre fou le héros, à l’époque de sa création : le XVIIIe siècle. Mais sans reconstitution historiciste ni fanfreluches.

Théâtre des Champs-Elysées : « Orlando » Acte I-9
© Alvaro Yanez

On serait donc dans un climat théâtral proche des Noces de Figaro ou de Don Giovanni, assez inattendu pour Haendel. Les personnages gagnent en acuité, avec des caractères et des sentiments méticuleusement dessinés, immédiatement sensibles. Mais c’est la beauté – substantif à utiliser avec parcimonie quand il s’agit de mise en scène – qui s’en dégage, dans une suite de tableaux nimbés d’une aura poétique qui ferait songer à l’univers de Watteau mêlé de celui de Georges de la Tour. Bravo à toute l’équipe ! la scénographe et costumière Jenny Tiramani, le chorégraphe Andrew George et l’éclairagiste Davy Cunningham.

Mais ce ne serait rien sans la musique. À cet égard le plateau vocal accomplit judicieusement sa mission, où se détachent Henriette Bonde-Hansen, Angelica immanente, Stephen Wallace, Medoro à la voix de contre-ténor évanescent, et Sonia Prina, Orlando ardent dans une tessiture qui devrait être comparable à celle du castrat pour qui le rôle-titre fut écrit. À la tête de son Concert d’Astrée, meilleur que jamais, Emmanuelle Haïm prend une belle revanche (après ses déboires précédents à l’Opéra de Paris ; voir Scènes Magazine de mars) : avec une direction incisive et toujours tendue. Une sorte de bijou lyrique, pour un spectacle appelé à durer.

Vagabondages et sorcelleries
Rodion Tchédrine est un compositeur qui commence à sortir de sa Russie natale. Les pays anglo-saxons l’ont d’abord découvert, et Paris l’accueille à son tour. C’est le Vagabond ensorcelé qui s’en fait l’ambassadeur au Châtelet. L’opéra fut créé en 2002 à la demande de Lorin Maazel pour l’Orchestre philharmonique de New York. De ce contexte, l’œuvre garde la trace, intitulée “ opéra pour salle de concert ”. Et aussi son esthétique, puisque Maazel avait insisté pour que la musique et sujet sonnent “ russes ”. Il y a donc une référence à la littérature traditionnelle : ici une légende tirée par le compositeur lui-même de Nikolaï Leskov (écrivain du XIXe siècle, que Chostakovitch avait utilisé pour Lady Macbeth), avec une histoire de moine perclus de remords face à une Tsigane et à un prince ; et une musique qui reprend les schémas habituels : chœurs mystiques, cloches et une basse pour personnage central. Ce serait d’un Moussorgski teinté de Chostakovitch. Pour dire que le langage se veut sagement consonant, comme une sorte de Dutilleux devenu rangé. Ce n’est pas à ses près de 80 ans que Tchédrine va changer son vocabulaire !

Châtelet : « Le Vagabond ensorcelé ».
Crédit : N.Razina

Au Châtelet, la production vient du Mariinski de Saint-Pétersbourg, avec ses forces réunies sous la baguette de son tsar, Valery Gergiev. La mise en scène d’Alexeï Stepaniouk dépasse quelque peu le contexte “ salle de concert ”, dans un décor fait de blés mûrs, quelques projections d’arrière-fond, des costumes, gestes et éclairages conventionnels. Un spectacle plutôt bien conçu, mais littéralement, sans audace ni génie. Des trois chanteurs solistes, avouons notre préférence pour Kristina Kapoustinskaïa, Tsigane à la voix sûre et nuancée. Le Moine de Sergueï Aleksachkine a de la basse profonde surtout l’étiquette, dans une émission incertaine mais une endurance réelle, il est vrai. Quant au ténor Andreï Popov, le Prince, il flotte entre justesse et projection. Malgré – une manie de ce théâtre ! – de perfides microphones, aussi mal cachés que mal en situation. Mais l’orchestre et le chœur soulèvent le tout, sous la battue d’un chef dont l’éloge n’est plus à chanter.

Chostakovitch oublié
La Russie est à l’honneur, en cette année France-Russie, évidemment. C’est ainsi que la Cité de la Musique, dans le cadre des manifestations “ Lénine, Staline et la musique ” (exposition jusqu’au 16 janvier), propose deux opéras de Chostakovitch quasi inédits. Il s’agit, de fait, de deux opéras inachevés qui ont nécessité tout un travail de reconstitution : le Grand Éclair et les Joueurs. Ils suivent historiquement Lady Macbeth de Mzensk, et ses déboires auprès des autorités. D’où l’explication de ces deux ouvrages laissés en chantier. Le Grand Éclair imagine ainsi une délégation soviétique en goguette dans un pays capitaliste, quand les Joueurs, d’après Gogol, mettent en scène des dilettantes seulement préoccupés de leur passion pour les cartes. Dans les deux cas sur un ton burlesque et satirique, assez proche du sarcastique Nez (le premier opéra, exclu des théâtres en ces années 30 et 40). La musique, pour les parties qui sont restées, en serait toutefois plus sage, avec chœurs et ensembles éclatants pour le premier, un délicat arioso continu pour le second. L’un et l’autre révélés par Gennady Rozhdestvenski, en 1980 et en 1981.

Dimitri Jurowski
© DR

Dans la salle de concert de la Cité de la Musique, c’est une association franco-russe qui s’attelle à les faire découvrir au public parisien. À savoir : les solistes vocaux du Centre Vischnevkaïa de Moscou, l’Orchestre du Conservatoire de Paris et le Jeune Chœur de Paris, sous la baguette de Dimitri Jurowski et dans une conception scénique de Michel Poli. On apprécie tout particulièrement les deux ténors, Oleg Dolgov et Maxim Sazhin, au sein d’une distribution exclusivement masculine (un caractère russe ! à n’en pas douter). La mise en scène se contente de costumes et quelques mobiliers vivement colorés, mais avec un jeu scénique impeccable et des situations irrésistibles. Quant à la direction de Jurowski, elle emporte tout, dans un mouvement sans relâche mais qui laisse s’exprimer les milles détails savoureux des partitions. On ne pouvait rêver retour plus captivant !

Lodoïska
Avec Lodoïska, nous quittons la Russie, en dépit de son intitulé, mais pas vraiment les pays de l’Est. Puisque cet opéra de Luigi Cherubini campe une histoire d’amour assez tumultueuse dans la Pologne écartelée entre les visées du roi de France et du tsar de Russie. L’esthétique est toutefois très française, car Cherubini (1760-1842), malgré ses origines florentines, fut un musicien de Paris. Lodoïska, créée en pleine période révolutionnaire, en 1791, associe donc la forme de l’opéra-comique (avec des dialogues parlés) et l’héritage de la tragédie lyrique de Gluck. Mais pour les dépasser, avec une force dramatique et une tension lyrique qui n’appartiennent qu’à l’auteur de Médée. Peut-être son chef-d’œuvre, et un chef-d’œuvre assurément, dont Beethoven tout le premier revendiquera la filiation dans Fidelio.

Jérémie Rhorer
© Alix Laveau

La restitution de concert au Théâtre des Champs-Élysées, est à la charge de Jérémie Rhorer, son Cercle de l’Harmonie, le Chœur de chambre les Éléments et un plateau vocal francophone. La palme du chant délié revient à Pierre-Yves Pruvot, épisodique Dourlinski. Quant aux deux rôles principaux, Lodoïska et Floreski, ils bénéficient des qualités contradictoires, à défaut d’être complémentaires, de Nathalie Manfrino et de Sébastien Guèze, : avec éclat mais une justesse approximative, pour la première, un joli chant mais par trop léger, pour le second. Les dialogues parlés se retrouvent réduits à portion congrue, ce qu’on ne regrettera pas : face à un texte qui n’est pas impérissable et une diction approximative des solistes. Rhorer délivre pour sa part une énergie sans compter, jusqu’à parfois la brusquerie.

Garnier hors les murs
Charles Garnier, l’architecte des deux plus beaux Opéras du monde, à Paris et à Monte-Carlo, est fêté par une double exposition au palais des Beaux-Arts. Un hommage qui s’est fait longtemps attendre, et qui serait bien le premier consacré à cet artiste incomparable disparu il y a plus d’un siècle (en 1898). “ Un architecte pour un Empire ”, dans la magnifique galerie des Beaux-Arts (quai Malaquais, à Paris, rappelons-le), est signé par Robert Carsen, avec le grand talent de ce metteur en scène lyrique pour la conception spatiale. Elle présente de splendides maquettes et dessins d’architecture (quel dessinateur que Garnier !), de l’Opéra de Paris, bien sûr, mais aussi de Monte-Carlo, et de divers autres édifices, en particulier sur la Riviera. Quant à “ l’Œil et la Plume ”, au Cabinet Jacques Bona du même lieu, les cimaises offrent à découvrir un autre versant de l’artiste, le caricaturiste acerbe au trait efficace. (Jusqu’aux 9 et 30 janvier.)

Pierre-René Serna