Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Paris, Opéra : “Fées“ en fête

Vu et entendu : Die Feen - Macbeth - Werther - la Damnation de Faust - ainsi que quelques concerts.

Article mis en ligne le mai 2009
dernière modification le 15 mai 2009

par Pierre-René SERNA

Qui peut se vanter de connaître Die Feen ? le premier opéra de Wagner. C’est désormais chose faite pour les lyricomanes parisiens grâce à la dernière production du Châtelet, la seule de l’œuvre jamais représentée en France.

Curieuse œuvre au demeurant. Et surprenante : c’est déjà tout Wagner ! dans un certain nombre de thèmes et structures musicales repris jusque dans Parsifal, dans la forme (en trois actes avec une durée totale qui défie la patience), une construction dramatique qui en annonce d’autres (avec force récits narratifs et coups de théâtre appelés à se reproduire ultérieurement), des sujets en prémices (la rédemption, les personnages tout blancs ou tout noirs, une épreuve de concours du héros retrouvée dans Tannhäuser et les Maîtres chanteurs…). À croire que Wagner ne fera qu’y puiser ses idées par la suite (ce qu’on ne saurait dire du très bellinien Défense d’aimer ou du spontinien Rienzi, les opéras suivants…). Et puis, c’est autre chose : un constant plagiat – en moins inspiré – de Fidelio, d’Euryante, du Freischütz, de la Flûte enchantée surtout… L’intérêt pâlit donc à l’écoute, si ce n’est pour le jeu mêlé des repérages de réminiscences et effets annonciateurs. Peut-être faudrait-il y revenir, lors d’une réécoute, mais avouons que l’envie en fait défaut...
Pourtant, à en croire Marc Minkowski, l’ouvrage serait captivant. Nul doute que le chef d’orchestre exprime sincèrement sa conviction, à le voir et l’entendre dans la fosse se démener et insuffler une vie de chaque instant. Ce qui ferait dire que l’œuvre de ce Wagner de 20 ans serait ici servie au mieux : des chœurs et instrumentistes des Musiciens du Louvre survoltés et parfaitement en place, un plateau vocal de bon aloi et sans vociférations.

« Die Feien » au Châtelet.
Photo Marie-Noëlle Robert

Les deux rôles principaux (parmi une bonne douzaine !) bénéficient d’interprètes qui savent doser l’élan et la nuance : Christiane Libor, Ada bien projetée, mais avec quelques notes fausses ; William Joyner, Arindal avec les mêmes vertus et déficiences. Lina Tetruashvili (Lora), Laurent Alvaro (Morald) et Brad Cooper (Gunther) n’appellent, eux, aucune réserve, dans un chant déployé fermement et jamais pris en porte-à-faux.
Pour illustrer une trame d’après Gozzi particulièrement tarabiscotée, l’opposition du monde des ténèbres et celui de la lumière (pour simplifier, et en passant sur quelques invraisemblances), Emilio Sagi choisit opportunément le décorum d’une sorte de revue à grand spectacle. Bien vu ! Il y a donc profusion de costumes scintillants, de paillettes, de plumes, de couleurs vives, de fumées et de lumières irréelles. L’ensemble parfaitement réglé. C’est assez joli et assez kitsch. Et tout à fait dans l’esprit de l’œuvre.

Macbeth de splendeur
Le petit génie de la mise en scène lyrique a œuvré. Dmitri Tcherniakov (voir entretien dans ce numéro), qui nous avait été révélé dans Eugène Onéguine l’an passé dans ce même lieu, la Bastille, prend Macbeth à bras-le-corps. D’entrée, on ne sait quel monde inconnu on aborde : un plan vidéographié d’une bourgade façon traitement internet s’épaissit, plonge (en contre-plongée) sur une place, une villa luxueuse, une baie ouverte de cette villa en un plan magnifique. Auparavant des maisonnettes de ladite place sont apparues sous des nuages d’orage. Les images se succèdent rapidement, changeantes, entre le noir qui enserre le plateau, la fosse et la salle. Sommes-nous devant une scène ? Il semble que les repères s’effacent, entre la vision cinématographique et sa réalité figurée derrière un tulle immatériel. Une sorte de miracle de l’imagination faite théâtre. Les cheveux ébouriffés du chef d’orchestre émergent à l’avant-plan, comme la musique qui enfle et emporte. Un saisissement absolu. Puis peu à peu les choses prennent consistance, dans des visions similaires, répétées, quand on aurait cru au miracle d’un rêve sans fin. Les personnages aussi s’étoffent, dans leurs costumes d’aujourd’hui, et un réalisme acerbe où la folie devient celle des jours ordinaires. La foule des choristes et figurants mêlés (près de deux cents personnages sur scène !) est méticuleusement ciselée, jusqu’au moindre froncement de sourcil, et la vérité éclate. Au détriment de la surprise. Sachant qu’on ne peut indéfiniment prendre au dépourvu, surtout à la hauteur d’exception qui préside au début de soirée.

« Macbeth » à la Bastille, avec Dimitris Tiliakos (Macbeth) et Violeta Urmana (Lady Macbeth)
Crédit : Ruth Walz / Opéra national de Paris

Mais, côté musical, aucun fléchissement. Teodor Currentzis semble parcouru d’un feu démoniaque, et sa battue saisit l’opéra de Verdi comme un tremblement de terre. L’orchestre s’enflamme et le plateau vocal brûle. Violeta Urmana plante une Lady Macbeth hallucinée au chant constant, alors que Dimitris Tiliakos dégage un Macbeth d’un lyrisme intérieur, nuancé à travers ses affres. Ferrucio Furlanetto forme un Banco à l’ardeur souveraine et Stefano Secco un Macduff au timbre lisse. Le chœur même s’épanche sans entrave. Et l’ardeur parcourt ainsi fosse et plateau jusqu’à la presque toute fin. Jusqu’à – on ne sait pourquoi – une sonorisation désastreuse du (martelé) chœur final, qui perd alors tout impact. Une chute sur une fausse note, d’un spectacle pour le reste mémorable.

Autre Werther
Pour le Werther présenté à la Bastille (voir le précédent numéro de Scènes Magazine), Rolando Villazón succède à Ludovic Tézier dans le rôle-titre, et un ténor à un baryton. Offrant ainsi l’autre version, plus habituelle, de l’opéra de Massenet. Et tout change, du tout au tout. Il a été beaucoup trop dit que le fameux ténor franco-mexicain ne dispose plus des recours de naguère. Mais il lui en reste encore suffisamment : un phrasé sûr, une technique accomplie et une expression vocale incomparable. Même si font parfois défaut les aigus et l’endurance. L’œuvre en retrouve une vérité émotive que l’on croyait perdue, tant il est vrai aussi que la version pour ténor lui est plus favorable. Aux côtés du personnage central, la Charlotte de Susan Graham contribue alors mieux que jamais à un couple idéalement romantique. La battue même de Kent Nagano semble investie d’une nouvelle mission, creusant, fouillant la partition, pour en révéler les mille facettes, devant un orchestre délicatement survolté. Un complet renouvellement.

« Werther » à la Bastille, avec Susan Graham, mezzo-soprano (Charlotte) et Rolando Villazon, ténor (Werther).
Crédit : Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

Damnation d’exception
Au Théâtre Jean-Vilar de Suresnes, sur les bords de Seine dominant Paris, place est faite à la Damnation de Faust. Pour cette version de concert, comme le stipule cette “légende dramatique”, un plateau vocal de choix se retrouve miraculeusement réuni : l’un des meilleurs qui se puisse peut-être aujourd’hui, sans faire appel à des chanteurs internationaux (forcément inadaptés) ni aux gloires onéreuses du gosier (mais non pas toujours harmonieuses). On ne voit guère qui pourrait concurrencer Nicolas Courjal en Méphistophélès. Phrasé, projection, diction, art des nuances et technique conjugués, cette prise de rôle (!) constitue un coup de maître. Marie Gautrot n’avait chanté Marguerite qu’une seule fois auparavant, il y a peu et subrepticement à Paris avec un ensemble d’amateurs. Le legato allié à l’expression sont ceux d’une déjà, presque, grande parmi les grandes Marguerite. Retenons bien ces deux noms !
Luca Lombardo, qui a traîné le Faust de Berlioz sur différentes scènes, n’est plus exactement le ténor assuré de naguère – pour des notes de passage étranglées – mais demeure ferme et vigoureusement franc quand il faut. Et c’est un efficace Brander que Marc Souchet. Le Chœur Nicolas de Grigny, en provenance de Reims où le concert a d’abord été étrenné, s’acquitte honnêtement de sa tâche. Mais Jean-Luc Tingaud, à la tête de son Orchestre OstinatO et de supplétifs venus de l’Orchestre du Grand-Théâtre de Reims, imprime un élan qui soulève tout, les interprètes comme l’auditoire.

Jean-Luc Tingaud

Art lyrique actuel
La série Présence, dans le cadre de la saison des concerts de Radio France, se voue à défendre et faire connaître le répertoire d’aujourd’hui. Des concerts entièrement gratuits, qui sont autant de découvertes. Avec parfois des prises de risques, comme il est inhérent à l’aventure.
À l’auditorium de la maison de la Radio, se trouvent ainsi confrontées des pages de rock dit “progressif” des années 70, à quelques pièces actuelles héritières du même esprit. Transmises par l’ensemble de Société de Musique Contemporaine du Québec, avec l’appoint de la Maîtrise de Radio France, le groupe de percussions Sixtrum de Montréal et une ponctuation électroacoustique, sous les directions successives de Walter Boudreau et René Bosc, ces œuvres brèves passent de la bouillie (ou de la soupe, au choix) aux mets plus consistants. Dans la première catégorie se cantonnent les pièces rock susmentionnées et la création de Volt d’Alain Thibault, sortes de musiques de film sans épaisseur ; dans la seconde, se rangent The Dangerous kitchen de Frank Zappa, monodrame en délire à la manière d’Erwartung de Schoenberg, et surtout Frankenstein II, création française de H. K. Gruber (après celle offerte par l’Orchestre de Liverpool sous la direction de Rattle, rien moins !), subtil jeu musical à un personnage.
En baryton accompli, Simon Fournier campe dans cette dernière pièce un diseur irrésistible. Pour Zappa, la jeune soprano Ana Maria Labin allie éclat, justesse stylistique et présence scénique (et beauté plastique). Une chanteuse à suivre.

Concerts
Concert rare, dans un lieu qui l’est autant : le pianiste Stéphane Blet régale de cours d’interprétations au Invalides, dans le salon royal (le qualificatif n’est pas usurpé ! pour cette magnifique salle XVIIe siècle, peu ouverte au public). Les jeunes élèves, souvent japonais, étonnent par une technique transcendante. Mais c’est quand leur maître du clavier commente et se met lui-même à l’œuvre que tout s’éclaire : Chopin, Brahms, Prokofiev en ressortent lumineusement transmis.

Jérémie Rhorer
Photo Yannick Coupannec

À l’Opéra-Comique, la Capella della Pieta de’ Turchini chante Giramo et Strozzi, compositeurs napolitains du XVIIe siècle, Caldara, plus connu au siècle suivant comme le Vénitien de service à la cour de Vienne, et même Nebra (en bis) zarzuelero espagnol de la même époque. Des cantates enlevées avec verve par Maria Grazia Schiavo, Maria Ercolano et Giuseppe De Vittorio. La battue d’Antonio Florio à la tête de son ensemble, se fait moins diserte. Travers de ce chef qui est peut-être davantage un musicologue doublé d’un animateur, qu’un champion de la direction musicale.
On n’aurait garde d’omettre, dans ce même lieu, le lancement du Centre de musique romantique française (dont le siège est au Palazetto Bru Zane, à Venise, bizarrement). Cet intitulé un peu passe-partout cache un organisme voué à la recherche et la diffusion de la musique française comprise entre le fin du XVIIIe et le début du XXe siècle. Une mission louable, et une institution qui manquait, quand celles consacrées aux temps baroques font pléthore. Un concert dans cette même salle Favart, réunissant le Cercle de l’Harmonie dirigé par Jérémie Rhorer et Hervé Niquet, les pianistes Alain Planès et Alexandre Tharaud, les solistes de l’Orchestre national de France, l’Orchestre des Champs-Élysées mené par Arie van Beek, en a donné un avant-goût prometteur. Avec Cherubini, Hérold, Berlioz, Alkan, Chabrier, Debussy, Saint-Saëns et Bizet comme ambassadeurs.

Pierre-René Serna