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Scènes lyriques parisiennes
Paris, Opéra : Eternel “Falstaff“

Commentaires sur : Falstaff - Melancholia - The Fly - Porgy and Bess -
Louise - Don Carlo - Les Aveugles.

Article mis en ligne le septembre 2008
dernière modification le 2 janvier 2009

par Pierre-René SERNA

Un Falstaff immuable dans sa verve, plus italienne que shakespearienne, tel qu’est en somme le dernier opéra de Verdi, clôt la saison du Théâtre des Champs-Élysées.

La tradition est respectée, et il ne faut attendre nulle révolution de la mise en scène. Mario Martone règle le plateau, faisant succéder des situations campées de façon réaliste avec des personnages en costumes Renaissance, sur un praticable à deux niveaux se prêtant à l’agitation des intervenants.

« Falstaff » au Théâtre des Champs-Elysées
© Alvaro Yañez

Ce serait plutôt du côté de la distribution vocale que l’inédit est réservé, avec quelques prises de rôle spectaculaires. Anna Caterina Antonacci incarne ainsi sa première Alice Ford, juste héritage des rôles baroques et belcantistes (et berliozistes) qui ont fait sa réputation. L’acoustique du théâtre de l’avenue Montaigne convient à son phrasé distinct, à son jeu nuancé de timbres, désormais plus corsés. Elle retrouve Ludovic Tézier (compagnon, déjà, de sa mémorable Cassandre du Châtelet) pour un Ford planté franchement, sans des subtilités que le personnage ne nécessite guère. Amel Brahim-Djelloul, l’étoile montante du baroque français, fait une incursion dans une Nannetta pétulante de grâce juvénile à la tessiture fraîche. Marie-Nicole Lemieux assure, comme on s’y serait attendu, une Mrs Quickly sans faille, donnant réplique à la ferme Meg Page de Caitlin Hulcup. Quant à Alessandro Corbelli, ce n’est pas exactement une prise rôle puisqu’il avait déjà par deux fois pris la panse du ventru, mais une sorte de renouvellement du protagoniste principal : d’aspect plus finaud et roué que lourdaud, et d’un chant de baryton presque léger. Ingrédients qui, ajoutés à quelques touches d’émission difficile, présentent le versant fragile et douloureux du personnage. Sans caricature, et au final plus humain, plus profond. Dans la fosse l’Orchestre de Paris témoigne d’une belle virtuosité sous la direction maîtrisée d’Alain Altinoglu, un chef avec lequel la phalange parisienne semble vivre actuellement un parfait accord.

Mélancolies
L’Opéra de Paris prend le risque, comme il est de son devoir, de créations offertes aux nouveaux talents de la musique d’aujourd’hui. Melancholia au palais Garnier répond à ce cahier des charges, mais avec le savoir-faire méticuleux qui caractérise la direction artistique de la grande maison par Gerard Mortier. Le compositeur autrichien Georg Friedrich Hass s’est ici associé au romancier norvégien Jon Fosse, qui a tiré le livret de la première partie de son ouvrage éponyme.

« Melancholia » avec Melanie Walz (Helene) et Otto Katzameier (Lars)
Crédit : B. Uhlig/ Opéra national de Paris

C’est une fiction inspirée d’un fait réel : le séjour au milieu du XIXe siècle du peintre norvégien Lars Herterwig à Düsseldorf, où il s’éprend éperdument, mais en vain, de la nièce de son logeur et porte déjà les stigmates de sa maladie mentale. Nous sommes donc devant une sorte de monologue du personnage central où les autres protagonistes (Hélène, son amour désincarné, le couple embourgeoisé des logeurs, des étudiants cruels et une fille de mauvaise vie) figurent comme des ombres. Sur cette trame, Hass a construit une musique aux couleurs diaphanes, d’une immédiate séduction, sur laquelle s’apposent les timbres parcellaires d’un orches-tre réduit, les voix d’un petit chœur psalmodique et d’un chant soliste à l’ambitus restreint. Nul emportement donc, et peu de lyrisme. Le propos hallucinatoire ne s’y prêterait guère. La séduction tourne ainsi parfois à la monotonie : seule réserve à formuler à l’endroit d’un ouvrage fermement délicat, mais qui aurait gagné à être plus ramassé. La mise en scène de Stanislas Nordey s’inscrit dans cette optique, avec de belles images sous des éclairages crus, propres d’une vision intérieure et à l’encontre de tout spectaculaire que l’œuvre n’appelle pas.
Le baryton Otto Katzameier plante le peintre Lars avec des accents intermédiaires entre Pelléas et Golaud (tant il est vrai que l’opéra évoque irrésistiblement celui de Debussy) et une incarnation possédée ; Melanie Walz (Helene), Annette Elster (Kellnerin), Daniel Gloger (Alfred) et Johannes Schmidt (Herr Winckelmann) délivrent des voix assurées. L’ensemble vocal Nova et les instruments du Klangforum Wien se fondent dans un tout musical auquel la direction d’Emilio Pomarico donne la pleine articulation.

La mouche revient
Autre création mondiale, autre perspective artistique : le Châtelet présente The Fly. Il s’agit en l’espèce d’une coproduction entre le théâtre parisien, qui en offre la première, et l’Opéra de Los Angeles, faisant suite à une commande de Plácido Domingo (présidant, entre autres, aux destinées de l’Opéra californien). Domingo souhaitait réunir les auteurs de The Fly, le grand succès cinématographique d’Hollywood en 1986, pour une transposition en opéra. Sont ainsi associés le cinéaste David Cronenberg et le compositeur Howard Shore, pour la mise en scène et pour la musique ; de scénariste, David Henry Hwang devient pour sa part librettiste. L’opéra reprend, à peu de changements près, l’histoire qui a fait le triomphe de la pellicule. Rappelons-la, pour ceux qui y auraient échappé : un savant fou (évidemment) invente une machine infernale qui transporte choses et êtres d’une cabine aux boutons clignotants à une autre de même acabit ; le malheur veut (et l’intrigue aussi) que l’inventeur s’y essaye lui-même, mais en compagnie d’un passager clandestin, une mouche ; d’où sa transmutation (le livret préfère “ téléportation ”) en un hybride de mouche et d’humain ; et d’où un climat entre science-fiction et terreur. Sur les écrans des salles obscures, les effets spéciaux y faisaient paraît-il merveille.

« The Fly » au Châtelet
© Marie-Noëlle Robert

Et sur la scène du Châtelet il en est presque autant : en vrai professionnel, comme souvent les gens du spectacle aux États-Unis, Cronenberg règle tout au millimètre. Les marionnettes de la mouche monstrueuse et d’un babouin expérimental, sont plus vraies que nature ; les maquillages, costumes, poses et figurations, sont criants de vérité ; et les changements à vue défilent de façon lisse. Mieux que du théâtre – ou plutôt autrement : du cinématographe vivant. Reste le prétexte musical, car peut-être n’est-ce que cela : Shore s’essaye à l’art savant, avec un sprechgesang à la Berg et des pointes de polytonalité au premier acte, puis un désir de lyrisme qui verserait dans la mélodie facile et brève (comme dans certaines variétés… ou musiques de film, que d’aucuns appellent de la soupe) au second acte. C’est là où le bât blesse : ni franchement racoleuse, ni réellement inspirée, cette musique ne se destine à aucun public. Le mélomane n’y trouve pas son compte, et les entichés de l’auteur de bandes-son à succès (six millions de disques vendus pour celle du seul Seigneur des anneaux !) certainement pas non plus. Mais il n’est pas forcé de bouder un spectacle de divertissement parfaitement accompli. De ce point de vue, nul reproche. Aussi bons acteurs que chanteurs, Daniel Okulitch, Ruxandra Donose et David Curry sont absolument crédibles – en dépit, ou en raison, de l’absence de tout microphone : bon point pour le Châtelet !
Dans la fosse, Plácido Domingo (mais oui !) dirige attentivement (comme tout bon chef en première partie, mais avec un soupçon de fatigue par la suite) un Orchestre philharmonique de Radio France des plus appliqués.

Porgy and Bess intégral
En présentant Porgy and Bess, l’Opéra-Comique témoigne d’une rigueur plus habituelle aux œuvres traditionnelles du répertoire lyrique. Il s’agit en effet de la version originale de l’opéra, avec tous les récitatifs, telle qu’elle fut primitivement conçue par George Gershwin en 1935. Car si l’ouvrage est fameux, il doit sa popularité à une mouture expurgée, réduite aux seuls airs entre des dialogues parlés. Et, conséquemment, n’étaient véritablement connues que deux ou trois chansons rabâchées. Les représentations en 1985 au Metropolitan de New York ont marqué le retour à l’original. L’œuvre dure ainsi plus de trois heures, avec des hauts et des bas – il faut bien le dire. Car désormais, fort de cette lecture philologique, il devient possible de se faire une idée plus exacte de l’opéra. Et voilà qui précisément amène à s’interroger : que l’œuvre entende être un véritable opéra !…

« Porgy and Bess » à l’Opéra-Comique
© Elizabeth Carecchio

Gershwin, auteur de thèmes à succès mais à la technique musicale fruste (suppléée régulièrement par des musiciens au bagage chevronné), vise au sérieux. Il en résulte des moments sans fin meublés de récitatifs qui retiennent mal les leçons de Puccini. Le livret lui-même, excellent pourtant avec la confrontation de quatre personnages dramatiquement forts (un invalide, un homicide, un trafiquant et une prostituée), en devient pesant. On est loin du souffre d’un Kurt Weill ou de la vitalité des zarzuelas de Federico Chueca ! pour prendre deux compositeurs puisant pareillement leurs sujets dans les bas-fonds. Le meilleur réside dans les chansons à rythme de blues qui ont fait le tour du monde, dont les thèmes servent de fil conducteur. La prétention de fonder un modèle d’opéra jazz en reste là, frustrée.
On peut d’autant mieux s’en convaincre que la production de l’Opéra-Comique serait proche de l’idéal. Dans une distribution scrupuleusement afro-américaine, conformément aux désirs de Gershwin, tous sont parfaits de présence scénique et vocale. On relèvera le style maîtrisé d’Indira Mahajan (Bess), Angela Simpson (Serena), Bonita Hyman (Maria), Jermaine Smith (Sportin’Life) et de Kevin Short (Porgy), chanteurs de carrière internationale dans les Opéras de répertoire. Avec l’impeccable Chœur de l’Opéra d’Atlanta, le New World Symphony s’associe à l’America’s Orchestral Academy pour un ensemble franc d’attaques et subtil de nuances, sous la direction précise de Wayen Marshall. La mise en scène de Robyn Orlin, venue pour sa part d’Afrique du Sud (malgré sa blancheur), combine idées, images et mouvements en un juste équilibre entre cohérence et imagination. Un complet plaisir esthétique et sensuel… n’était la mince matière musicale.

Louise et Don Carlo
Louise, que la Bastille avait eu la bonne idée de ressusciter l’an passé, revient en ce même lieu. À la réécoute, on sent mieux dans l’opéra de Gustave Charpentier la trace d’une filiation : celle qui de Massenet à Bruneau (autre compositeur à redécouvrir) mène à Pelléas. La mise en scène d’André Engel garde sa saveur de réalisme social (socialiste ?) dans un Paris fin d’époque.

« Louise » à l’Opéra Bastille, avec Gregory Kunde (Julien) et Mireille Delunsch (Louise).
Crédit : C. Leiber/ Opéra national de Paris

Mireille Delunsch reprend le rôle-titre, avec sa beauté et sa fragilité scéniques, mais aussi ses élans vocaux : Louise incarnée. Alain Vernhes remplace José van Dam, avec une diction tout aussi claire mais un chant plus senti. Gregory Kunde est lui un Julien au chant garanti et un ténor de style, comme Luca Lombardo pour le triple personnage allégorique. Patrick Davin relève le défi de succéder à Sylvain Cambreling, sans faillir devant un orchestre coloré.
La production de Don Carlo par Graham Vick est pour sa part née en 1998 à la Bastille. Il y a peu à dire d’une mise en scène décorative assez usée, jolie parfois, conventionnelle le plus souvent, qui n’évite jamais les poncifs. James Morris est un Filippo vétéran, à l’égal de la carrière du chanteur, d’une vraie sensibilité ; Stefano Secco, un Carlo tout à trac ; Yvonne Naef, une Eboli emportée, parfois à l’excès ; Tamar Iveri, une Elisabetta ample mais peu phrasée ; Dmitri Hvorostovsky, un rude Rodrigo. Autant dire que le chant verdien n’est pas nécessairement à la fête. La direction musicale de Teodor Currentzis, quant à elle, ne manque pas de flamme. Un chef à suivre.

Le retour des Aveugles
Les Aveugles, opéra de chambre pour douze chanteurs et cinq musiciens dû au compositeur genevois Xavier Dayer, ont été créés en 2006 au Théâtre de Saint-Denis spécialement pour l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Cet ouvrage qui mêle savamment chant soliste et d’ensemble, revient à l’amphithéâtre de Bastille. L’occasion d’éprouver les nouvelles voix de l’Atelier, telles celles d’Elena Tsallagova, de Vladimir Kapshuk ou d’Hugo Rabec...
Entre autres, parmi des jeunes talents au métier déjà affirmé. La mise en scène légère de Marc Paquien garde son pouvoir évocateur et Guillaume Tourniaire dirige d’une battue claire. Il est seulement dommage que, passant de Saint-Denis à Bastille, les surtitres aient disparus : rendant pour partie incompréhensible cette allégorie de l’aveuglement des hommes, d’après Maeterlink, malgré la prosodie soignée du compositeur.

De concert
“ La muse en festival, extension du domaine de la note ” est le prolongement de “ La muse en circuit ”, centre de création musicale qui officie depuis plus de vingt ans dans toutes les manifestations dédiées à la musique contemporaine. Réparti sur une quinzaine de jours à Paris et sa région, le festival présente le syncrétisme des jeunes compositeurs émergeants. Au Centre culturel suisse, en plein cœur du Marais, Sebastian Rivas, Marco Suarez Cifuentes, David Hudry ou Stéphane Borrel tiennent compagnie au compositeur genevois de renom international, Michaël Jarrell, pour des créations ou des reprises d’œuvres récentes. Un panorama sur le vif des dernières tendances actuelles, transmis par des instrumentistes investis devant un public qui se bouscule.
Le Festival de Saint-Denis n’est lui plus à célébrer. En clôture, et clou du festival, Colin Davis s’attaque à son répertoire de prédilection, où il demeure toujours irremplaçable. Le Requiem de Berlioz emplit ainsi l’historique basilique de ses terreurs et ses douleurs. L’Orchestre national de France se révèle digne de la tâche, dans une couleur d’orgue et des frémissements d’outre-tombe. Le chœur maison, celui de Radio France, s’adjoint à celui de l’Académie Santa Cecilia de Rome pour une belle ampleur qui fait oublier quelques voix vieillies. Sir Colin peut être satisfait, lui dont l’exigence est à la hauteur de sa mission.

Pierre-René Serna