Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Sur les scènes lyriques parisiennes
Paris, Opéra : “Cyrano“ ou les retours

Vu et entendu : Cyrano de Bergerac, L’Affaire Makropoulos, Un Bal masqué, Le mariage secret, Le Roi malgré lui, Le Médecin malgré lui, Riders to the Sea, Altre Stelle, Le Martyre de St.Sébastien, Djamileh.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 13 juillet 2009

par Pierre-René SERNA

Au Châtelet, l’heure est aux retours : de Cyrano de Bergerac, créé à Paris
il y a plus de soixante-dix ans ; du metteur en scène Petrika Ionesco, absent des spectacles lyriques depuis bien deux décennies ; et – ce n’est pas le moindre – de Plácido Domingo, comme chanteur sur un plateau français après un trop long jeûne d’une quinzaine de saisons.

Le Cyrano d’Alfano revit ces dernières années, à Montpellier, au Covent Garden, au Met, à la Scala ou à Valence – grâce en particulier à l’entremise de Domingo. Mais Paris, qui l’avait créé en 1936 dans sa version française (originale), attendait encore. C’est désormais chose faite. Franco Alfano a surtout laissé son nom pour avoir achevé Turandot de Puccini – avec un certain savoir-faire, révélé seulement depuis peu (depuis la redécouverte de ses vraies intentions). C’est pourtant un compositeur lyrique à part entière, dont Cyrano de Bergerac constitue peut-être le plus beau fleuron. Le livret reprend la pièce de Rostand, quelque peu écourtée, sans faire l’impasse sur ses faiblesses et son côté mélo. La musique s’y plie, caractérisée, attachante et mélodique, vacillant entre Puccini (évidemment !) et Debussy (un dernier acte qui plagierait celui de Pelléas), avec en fins d’actes de belles envolées. Le contemporain et sulfureux Lulu est loin ; on penserait plutôt à Poulenc, voire à certaines zarzuelas de la même période. Un opéra séduisant, donc. De là à crier au chef-d’œuvre ! comme on a pu l’entendre de-ci de-là… il y a peut-être un pas franchi de trop.

Au Châtelet : « Cyrano de Bergerac » avec Nathalie Manfrino et Placido Domingo.
Crédit Marie-Noëlle Robert

Car on peut légitimement croire qu’au Châtelet le meilleur se trouve réuni pour une juste appréciation. Domingo est l’incarnation même du personnage central, émouvant parce que subtil et clair, saisissant car sa voix reste sans faille, barytonnante mais aux aigus techniquement bien lancés. Un miracle d’intelligence et de savoir conjugués, chez un chanteur sans âge. L’Orchestre symphonique de Navarre (quand on parlait de zarzuela…) est l’autre grand vainqueur, dans des coloris d’un raffinement emporté, sous la direction fiévreuse de Patrick Fournillier. Nathalie Manfrino campe une Roxane d’un lyrisme soutenu qui donne consistance à son personnage, et Saimir Pirgu possède quelques jolies notes filées que lui autorisent le rôle falot de Christian. Excellente participation des autres chanteurs et du Chœur du Châtelet. On retrouve dans la mise en scène le décorum surabondant qui avait fait naguère la réputation de Petrika Ionesco, avant sa disgrâce en raison des modes versatiles. Louable initiative du Châtelet ! Les scènes de foules, les costumes colorés, les capes et les épées, les fanions et bannières, s’accumulent pour aboutir à de jolies idées (les trois coups en prélude d’un “théâtre dans le théâtre” à la mode du XVIIe siècle) ou à une illustration à grand spectacle un peu embourbée (l’acte du siège d’Arras). Une profusion qui change agréablement d’un ascétisme souvent de rigueur dans d’autres lieux, mais qui en arrive à tourner sur elle-même. Il n’en reste pas moins que le Châtelet poursuit ainsi une fin de saison assez excitante, entre découvertes d’ouvrages méconnus et jeux scéniques décoiffants.

Makropoulos pour l’histoire
À Bastille, l’Affaire Makropoulos surgit tout autre. Bien plus que d’une reprise, c’est ici d’un aboutissement qu’il convient de parler. Dans l’espace passé de ces deux ans, à l’appui d’un travail encore plus creusé, la production de Krysztof Warlikowski atteint un summum de précision, de profondeur, de lecture à la fois fouillée et imaginative. Le plateau façon Hollywood années 30, luisant, beau et glaçant, devient le réceptacle des sentiments les plus forts et les plus fous. Parler de génie à l’adresse du metteur en scène ne relève pas de la simple hyperbole…

Bastille : « L’Affaire Makropoulos » avec Angela Denoke (Emilia Marty) et Charles Workman (Albert Gregor).
Crédit : Franck Ferville / Opéra national de Paris

Pareil aux effets de scène, l’orchestre scintille ou éclate, sous la direction méticuleuse de Tomas Hanus. Angela Denoke reprend le rôle principal avec une puissance et une ardeur inentamées, face à des partenaires revenus avec assurance sur leurs exploits d’il y a deux ans (Charles Workman ou David Kuebler, pour ne citer qu’eux). Gerard Mortier, qui quitte bientôt la grande boutique parisienne, a su trouver avec ce Janacek d’anthologie le rappel approprié et le geste de sa trace laissée.

Bal et Mariage
Autre reprise à Bastille, mais plus convenue : Un Bal masqué vaut surtout pour le Riccardo de Ramón Vargas, son phrasé d’une élégance incomparable. À ses côtés, Anna Christy (Oscar), Elena Manistina (Ulrica) et Deborah Voigt ne déparent pas, malgré quelques aigus arrachés pour cette dernière. La direction musicale de Renato Palumbo se révèle enflammée ce qu’il faut, pour ce Verdi qui monte de crêtes pour retomber en platitudes. La mise en scène de Gilbert Deflo en reste à une décoration assez plaisante à l’œil.
À la MC 93 de Bobigny, c’est au tour de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris de se mettre en scène. Le Mariage secret en forme le prétexte, dont six jeunes impétrants s’emparent avec vigueur. Les chanteuses (Claudia Galli, Andrea Hill, Maria Virginia Savastano) se montrant plus en verve que leurs homologues masculins (Paul Cremazy, Vladimir Kapshuk, Ugo Rabec).

Bastille : « Un Bal masqué », avec Ramon Vargas (Riccardo) et Elena Manistina (Ulrica)
Crédit : Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

La mise en scène de Marc Paquien est un autre exercice de style, qui suscite un jeu enlevé de tous les intervenants au cours de cette folle journée imaginée par Cimarosa. On est alors d’autant plus agacé, face à ce tic éculé (et quelque peu xénophobe), dès que des Italiens sont figurés sur une scène française, inévitablement comme des mafiosos à la gâchette facile. Passons… Côté fosse, Antony Hermus dirige avec allant un toujours excellent Orchestre-Atelier OstinatO. Un bon moment de lyrisme virevoltant.

Roi et Médecin malgré eux
L’Opéra-Comique poursuit glorieusement sa mission avec ce morceau de choix qu’est le Roi malgré lui. L’opéra-comique de Chabrier s’apparente à une sorte de chef-d’œuvre, qui sait allier des références indéniables, à Wagner (les Maîtres chanteurs) et à Berlioz (Benvenuto Cellini, Béatrice et Bénédict), dans une vivacité personnelle où l’intérêt musical ne fléchit pas. La production vient de l’Opéra de Lyon, qui prête aussi ses forces musicales. La mise en scène de Laurent Pelly ne fait pas forcément dans la dentelle, avec comique appuyé, intentions lourdes ou prétentieuses, et relecture obligée (par les soins d’une “dramaturge” attitrée qui touche les droits d’auteur d’une superfétatoire réécriture du livret). Cette fable, joyeuse mais historique, d’un éphémère roi français déplacé en Pologne, méritait mieux. Nonobstant, le jeu d’acteurs reste d’une parfaite précision. Le plateau vocal n’appelle, lui, guère de réserve : Jean-Sébastien Brou, Magali Léger, Franck Leguérinel, Sophie Marin-Degor s’acquittent avec panache et justesse stylistique de leurs rôles. Le Chœur de l’Opéra de Lyon s’affirme (un peu trop parfois, dans cette salle à l’acoustique si présente), comme l’Orchestre de la même maison, sous la baguette assurée de William Lacey.

Opéra-Comique : « Le Roi malgré lui ».
Crédit Elisabeth Carecchio

Malgré lui, l’est aussi le Médecin tel que l’ont vus Molière et Gounod. Le délicieux opéra-comique du compositeur parisien bénéficie d’un long travail préparatoire sous l’égide de l’Unité Scénique de Royaumont. Il s’agit donc d’un spectacle d’atelier, fournissant un tremplin à de jeunes chanteurs. La création de la production revient à la Maison de la Culture d’Amiens, avant une tournée qui mènera ce vivifiant Médecin malgré lui dans une dizaine de villes de France. Sandrine Anglade règle la mise en scène autour de quelques praticables, avec un jeu parlé ou chanté parfaitement mené, n’était une agitation vainement incessante. Les valeureux interprètes sont ainsi mis à rude épreuve ; ils s’expriment avec justesse et chantent autant, mais on craint pour leurs fraîches voix soumises à pareille endurance scénique. Olivier Naveau, Marie-Paule Bonnemasson, Olivier Hernandez ou Sevan Manoukian dispensent un art du chant déjà très affirmé. À Amiens, l’Orchestre de Picardie officie avec souplesse sous la battue ferme de Pascal Verrot.

Riders to the Sea
Vaughan Williams appartient à ces compositeurs britanniques, avec Delius ou Elgar, dont la musique n’a guère passé le Continent. C’était donc une occasion exceptionnelle que d’assister, au Théâtre de l’Athénée, à une production de Riders to the Sea. L’opéra date de 1937 et constitue peut-être l’ouvrage le plus célèbre du compositeur. On y sent une esthétique musicale qui hésite entre Debussy (l’arioso calqué sur la prosodie) et Berg (les harmonies orchestrales), mêlée de rappels folkloriques auxquels le musicien s’est longtemps imprégné. Le livret narre un sombre drame de pêcheurs dans les îles d’Aran. Christian Gangneron plante l’action sur un pan incliné entre des murs, quelques tulles et des lumières élaborées. L’effet est direct et immédiat, qui plonge au cœur des tourments des protagonistes.

Jacqueline Mayeur (la Mère), Patrice Verdelet (le Fils) et Elsa Lévy (la Fille) délivrent une présence vocale convaincante. Mais c’est à l’Orchestre OstinatO que revient le meilleur du chant – tant celui-ci semble confiné dans la fosse – délié et acerbe sous la baguette électrisante de Jean-Luc Tingaud.

Étoile et Martyre
Anna Caterina Antonacci est l’étoile solitaire d’Altre Stelle, spectacle conçu pour elle, et uniquement pour son chant et sa prestance. Après une tournée appelée à encore se poursuivre, la production fait escale au Théâtre des Champs-Élysées. L’idée est séduisante et son argument logique, réunissant Rameau, Gluck, Cherubini et Berlioz à travers des extraits lyriques et une filiation inscrite dans l’Histoire de la musique. Mais cette logique théorique butte sur une continuité qui n’arrive pas à prendre corps, s’apparentant au final à une série de pièces rapportées. La faute n’en revient pas à la diva, exaltante et investie comme toujours. Ni à l’Orchestre Les Siècles, parfaitement en place sous l’égide de son chef titulaire, François-Xavier Roth. Faut-il alors y voir l’effet de la mise en scène de Juliette Deschamps ? bien pensée apparemment avec son décor lisse rouge et noir, mais pesamment ébrouée, sans qu’un fil s’en dégage.

L’Orchestre national de France et Daniele Gatti
Photo RadioFrance / ChristopheAbramowitz

Dans ce même Théâtre des Champs-Élysées, le Martyre de Saint-Sébastien se retrouve, lui, dépourvu de sa représentation. On sait que la musique de scène de Debussy veut accompagner le drame théâtral de D’Annunzio. C’est la version de concert réduite (par Inghelbrecht, ce dont le programme de salle ne souffle mot) qui est ici proposée. Le peu de texte parlé du Saint se retrouve ainsi dans la bouche sonorisée d’Isabelle Huppert, débité sans relief ni ferveur. Oublions vite, pour mieux s’intéresser aux interprètes musicaux : une Sophie Marin-Degor à la voix aérienne (et naturelle, cette fois), un Chœur de Radio France soutenu et un Orchestre national de France délicat, sous une direction un rien lancinante de Daniele Gatti.

Djamileh-sur-Seine
Le festival de Bougival et des Coteaux de Seine s’attache depuis deux ans à honorer ses illustres et historiques hôtes musicaux : en l’espèce, Bizet et Pauline Viardot, dont les maisons de villégiature se reflètent toujours sur les rives du fleuve en aval de Paris. Des séjours évocateurs, entre bois et vallons, si près et pourtant si loin de la grande ville. Djamileh, l’opéra-comique sublime – il n’y a pas d’autre mot – de Bizet, échoit ainsi à la salle bétonnée du Théâtre de La Celle Saint-Cloud. L’acoustique n’y est pas si mauvaise. Mais disons que les meilleures intentions ne suffisent pas toujours.

Théâtre de La Celle Saint-Cloud : « Djamileh »

Yete Queiroz possède une projection qui s’accorde au rôle principal, devant deux partenaires un peu déficients. Comme le sont aussi les six instrumentistes de la formation réduite (quand on sait le chatoiement de l’orchestre original !), encore davantage le Chœur Elisabeth Brasseur (pourtant d’ancienne réputation) et une mise en scène faite de bric et de broc. Le projet était attirant, et sympathique, mais peut-être trop ambitieux pour une manifestation aux moyens limités.

Pierre-René Serna