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Sur les scènes lyriques parisiennes
Paris, opéra : Bel Canto

Vu et entendu : Normala SomnambuleWertherCenerentolaIdomeneoJulieKafka-FragmenteKing Arthur – et trois Gounod inédits.

Article mis en ligne le mars 2010
dernière modification le 26 mars 2010

par Pierre-René SERNA

Bellini est à la fête à Paris, avec Norma au Châtelet et la Somnambule à Bastille.

Norma comme neuve
Afin de présenter Norma, absente des scènes parisiennes depuis une bonne dizaine d’années, le Châtelet opte pour une manière inédite. L’intention est de revenir à l’opéra tel qu’il fut créé en 1831, en mettant à profit les acquis de la musicologie actuelle. Se découvrent ainsi trois pages inconnues : de larges strophes d’Adalgisa au final du premier acte, une nouvelle introduction instrumentale au second et une autre version du chœur “Guerra, guerra” dans le même acte. Dans cet esprit, il est fait appel à une formation d’époque, avec les instruments idoines et leur répartition (autant de contrebasses que de violoncelles), ainsi qu’à nombre de détails supposés originels, de chant, de récitatifs et de tempi. L’opéra de Bellini gagne incontestablement en cohérence, force et fluidité. Norma comme on ne l’avait encore jamais écoutée, plus proche que jamais d’un chef-d’œuvre.

Au Châtelet : « Norma »
Photo Marie-Noëlle Robert

L’autre face innovante réside dans la mise en scène. Mais c’est ici presque exactement la démarche inverse, puisque la conception vise à une lecture dépoussiérée. Bien que la poussière soit présente sur scène, dans le monde gris, sale et psychotique que réserve Peter Mussbach pour le peuple gaulois, mettant d’autant en relief les intervenants principaux : Norma avec sa robe scintillante sous une pelisse rose, comme une chanteuse de cabaret, Pollione tout doré du corps aux vêtements, et Oroveso également paré de rose. Les lumières jouent de cette dichotomie, avec la plèbe cantonnée dans la pénombre et les héros sous les projecteurs. S’ajoutent un globe monstrueux, doré tout pareil, et la statue d’un cheval blanc immaculé. Sans plus de décor, mais avec des effets impressionnants : l’invasion du globe sur la scène entre des fumées, l’incendie du cheval statufié… Foin donc d’une vision romantique ou historique ! Ce qui, apparemment, désoriente une partie du public, écartelé entre reconstitution (la musique) et actualisation forcenée (sur scène), et expliquerait certaines inconséquentes huées finales.
Car il semble bien que la distribution vocale soit aussi de nature à surprendre, sans correspondre toujours aux attentes de belcantistes enfermés dans leurs habitudes. Dans le rôle-titre, Lina Tetriani dispense un legato sans fin, un bel canto au sens propre du terme, qui confère à sa “vocalità” un aspect lisse d’instrument musical. Manquent nonobstant certains aigus et l’agilité des ornements, au grand dam d’aficionados à la (fausse) tradition, plus enclins à se laisser impressionner par la prouesse que la subtilité. Paulina Pfeiffer donne pour sa part la pleine mesure d’une Adalgisa ample et amplifiée (de ses strophes ainsi adjointes), constituant la juste réplique de Norma dans ses arias et duos, avec une technique et une projection toujours sûres. Nikolai Schukoff délivre un Pollione plus conventionnel, ténor de petit style et format. Wojtek Smilek, qui émet Oroveso dans un coin obscur du plateau sans l’incarner sur scène (Nicolas Testé, indisponible vocalement, le faisant à sa place), assume parfaitement son intervention de dernière minute. Dans la fosse, Jean-Christophe Spinosi dirige de tous ses nerfs, face à son ensemble Matheus et au Chœur du Châtelet auxquels fait parfois défaut la précision.

Somnambule éveillée
Bellini encore plus rare, la Somnambule s’empare de la Bastille. Une salle un peu démesurée pour cet ouvrage délicat, mais à la mesure de la présence d’une vedette tout public : Natalie Dessay dans le rôle-titre. La chanteuse, dont une annonce indiquait qu’elle souffrait d’une grippe, possède toujours la présence et l’entregent qu’on lui connaît. Les aigus ne sont plus ceux de naguère, mais l’incarnation vocale et scénique n’en souffre pas véritablement. À ses côtés, Javier Camarena déploie une vaillance, avec des notes et aigus en force, qui peut séduire et suppose une bonne domination du rôle d’Elvino. Petite mention pour Cornelia Oncioiu, issue il y a peu de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, qui témoigne pour Teresa d’un chant accompli. C’est ainsi, sans accroc majeur, avec la battue vigilante d’Evelino Pido, que la musique s’épanouit, même si d’aucuns, purs fervents de bel canto, peuvent rester sur leur faim.

A la Bastille : « La Somnambule » avec Natalie Dessay (Amina) et Javier Camarena (Elvino)
Crédit : Opéra national de Paris/ Julien Benhamou

Marco Arturo Marelli signe une production déjà étrennée à Vienne et à Covent Garden. Le décor unique, celui d’un hall de palace de station suisse, s’adapte lui à Bastille, quand bien on s’interroge toujours sur ce tic de metteur en scène s’obstinant à camper dans les années 20 tout et son contraire, ici une histoire théoriquement pastorale sur fond d’alpages pittoresques. Et justement, vouloir gommer les traits surannés du livret revient à souligner ses faiblesses. Dès lors, il s’avère difficile, avec des personnages réalistes et une intrigue déroulée telle que, de ne pas sourire aux invraisemblances d’une héroïne vaquant les bras au vent par la nuit enneigée. Quand un peu de rêverie, précisément, ou de féerie, pouvait sauver un opéra il est vrai malaisé à représenter sur scène…

Werther accompli
Un nouveau Werther succède à la Bastille à celui offert il y a peu en ce lieu (voir Scènes Magazine d’avril 2009 et de mai 2009). Les inconditionnels de Massenet s’en réjouiront. Mais le réel motif semble être la venue très attendue de Jonas Kaufmann, pour le rôle-titre, et de Michel Plasson, à la baguette, chef qui fut durant trente ans titulaire de l’Orchestre du Capitole de Toulouse (d’où provient le directeur actuel de l’Opéra de Paris, Nicolas Joel) et qui a fait de l’opéra de Massenet son œuvre fétiche – depuis les temps glorieux d’Alfredo Kraus. De fait, l’ombre de Kraus plane sur la Bastille. Kaufmann semble s’inspirer du grand ténor en chaque détail, des notes de passage au raffinement du phrasé, sans la franchise qu’on lui connaît plus habituellement. À l’égal de Villazón, six mois plus tôt en ce même lieu, ténor de style pourtant totalement autre. Comme si Kraus avait marqué ce rôle pour toujours il y a quarante ans… Il n’y a alors pas à espérer un renouveau en ce terrain, comme on l’aurait cru de la part d’un chanteur à la personnalité affirmée tel que Kaufmann.

A la Bastille : « Werther », avec Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, Ludovic Tézier (Albert) et Anne-Catherine Gillet (Sophie).
Crédit : Opéra national de Paris/ Elisa Haberer

Sophie Koch, étoile montante parmi les mezzos, se conforme pareillement à la tradition dans Charlotte, avec un lyrisme qui ne faillit pas, sauf en toute fin de ce rôle éprouvant. Anne-Catherine Gillet, autre nouvelle valeur du chant français, livre une Sophie légère et fluide, et Ludovic Tézier affirme un Albert clair et franc (comme il y a six mois, ici même). Plasson ne déçoit pas, rehaussant les mille couleurs orchestrales de la partition. Avec une telle restitution musicale, de premier ordre, dans la fusion du chant et des instruments, la mise en scène offre un cadre adapté. Benoît Jacquot reprend sa production de Covent Garden en 2004, d’esprit décoratif : le magnifique salon de palais sous des lumières automnales, au troisième acte, constitue une belle image, propice aux affres intérieures des personnages. Il n’y a donc pas ici non plus, dans ces décors et costumes à la manière d’un XIXe siècle stylisé, à chercher une révolution – que cet opéra probablement ne réclame pas – sinon un ensemble efficace. Le principal, tout compte fait…

Cendrillon sans haillons
Le Théâtre des Champs-Élysées propose à nouveau Cenerentola, dans sa production déjà donnée en 2003 et 2004. Irina Brook n’a qu’à peine revu sa copie, si ce n’est pour forcer sur des gags passe-partout (qui pourront toujours resservir ailleurs…), devant un public ravi de se croire au Boulevard. Tant il semble toujours plus facile de traiter par la dérision que le sérieux… C’est parfois bien réglé, et d’autres fois laissé à l’abandon (comme ces choristes qui ne savent comment occuper leurs bras). Reste la musique, fort heureusement. Rossini, le seul, génial et abondant, trouve sa revanche. Vivica Genaux (l’héroïne si malmenée, par le livret et la metteuse en scène) chante dans le masque, certes, mais avec quelle technique, quel legato ! Antonino Siragusa (Ramiro), Stéphane Degout (Dandini), Ildebrando D’Arcangelo (Alidoro) ou Pietro Spagnoli (Magnifico) lui tiennent une fière compagnie. Michael Güttler, à la tête des percutants instruments d’époque du Concerto Köln, emporte tout ce beau monde dans une folie comme seul Rossini savait la mener. On relèvera, en passant par les promenoirs du théâtre, l’attrayante exposition des photographies en forme de portraits d’artistes de Pietro Spagnoli, qui ajoute ce talent à celui de son chant.

Retour d’Idomeneo
Idoménée aussi revient. À Garnier, en l’espèce, mais après différentes mésaventures. De la production étrennée en 2006 par Luc Bondy (qui semble s’être abstenu du voyage), ne reste quasiment que le décorum. Un joli cadre, soit. Villazón et Netrebko annoncés en début de saison ayant renoncé, Charles Workman et Isabel Bayrakdarian pourvoient à Idomeneo et Ilia, avec moins de moyens peut-être mais sans réellement déchoir. Vesselina Kasarova, reliquat de la distribution fastueuse primitivement promise, dispense, elle, une Idamante de haut vol.

A Garnier : « Idomeneo » avec Charles Workman (Idomeneo), Isabel Bayrakdarian (Illia) et Vesselina Kasarova (Idamante)
Crédit : Opéra national de Paris / Franck Ferville

Philippe Hui, pour sa part, remplace au pied levé Emmanuelle Haïm, avec une battue soutenue. On ne saura donc pas comment la chef d’orchestre baroqueuse, dont on goûte les qualités, aurait conçu ce Mozart, étant donné que les vétilleux musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Paris ont fait obstacle à sa venue.

Julie en sa cuisine
Au Théâtre de l’Athénée, c’est Julie, telle que vue par Philippe Boesmans et Luc Bondy (ici, librettiste), qui s’installe pour quelques représentations. Le public envahit le petit théâtre, ce qui prouverait que l’opéra contemporain ne lui est pas si rétif. L’œuvre avait été créée en 2005 à la Monnaie de Bruxelles et cette reprise, comme celle de tous les opéras de Boesmans, atteste la catégorie du compositeur : le seul dont le répertoire lyrique se maintient à l’affiche et conséquemment sans doute le plus important auteur actuel d’opéras. Car on ne saurait dénier à Julie un réel attrait musical, hérité de Berg et de Britten, qui ne prend pas les oreilles à rebrousse-poil. Mais aussi un savoir-faire, combiné d’une dramaturgie efficace. Le livret en langue allemande de Bondy, vieux complice du compositeur, s’inspire de Mademoiselle Julie de Strindberg. Le contexte social, qui oppose une jeune aristocrate à son valet (rêvant de vivre leurs amours sulfureuses sous les orangers et le soleil suisses  !… tels qu’on les imagine en Belgique ou à Malmö), y est toutefois moins appuyé, pour verser du côté de l’Amant de Lady Chatterley. Une sorte de vérisme actuel.

Au théâtre de l’Athénée : « Julie »
Photo Gérard Bezard-La République du Centre

Pour l’illustrer, Matthew Jocelyn choisit – évidemment – le réalisme : et l’on se retrouve ainsi dans une cuisine avec tous ses effets domestiques, mais retranscrite avec une précision cruelle des gestes et des situations qui prend aux tripes. Admirable travail scénique ! Cet opéra de chambre, ou de cuisine, ne lâche ainsi plus le spectateur durant l’heure dépassée de son déroulement acerbe. Car les interprètes allient à leur jeu acéré une vérité prenante des accents musicaux.
Carolina Bruck-Santos (Julie), Alexander Knop (Jean) et Agnieszka Slawinska (Kristin) distillent un phrasé constamment lyrique (que l’écriture de Boesmans, il est vrai, favorise). Les dix-neuf instrumentistes de l’Ensemble Musiques Nouvelles se font orchestre démultiplié sous la battue claire de Jean-Paul Dessy. (Reprise du spectacle le 27 avril à l’Espace Malraux de Chambéry, et le 11 mai à La Rampe
d’Échirolles.)

Kafka en scène
Autre ouvrage contemporain, mais lui daté de 1985, Kafka-Fragmente est représenté au Théâtre de Gennevilliers. György Kurtag n’avait pas prévu d’images pour cette œuvre, la plus étendue (un peu plus d’une heure) chez un compositeur adepte de la miniature. Il s’agit, comme l’intitulé l’indique, de séquences brèves d’après Kafka, au nombre de quarante, qui font dialoguer une soprano et un violon. Antoine Gindt réussit la gageure d’une mise en scène subtilement évocatrice, avec juste un écran discret, des éclairages choisis, sept mimes, une chaise et un rideau.
Carolin Widmann s’acquitte avec brio d’une partie de violon virtuose, et Salome Kammer s’attaque à une intervention vocale, difficile certes, mais qui aurait gagné à plus de justesse. Schoenberg disait : “Ma musique n’est pas moderne, elle est mal jouée”…

A Gennevilliers : « Kafka-Fragmente »
© Pascal Victor / ArtComArt

Purcell de concert
King Arthur fait le plein à Pleyel. Et le public réserve un triomphe à Christophe Rousset, à ses Talens lyriques et au plateau vocal. Les uns et les autres ne déméritent pas, il est vrai. Mais davantage pour les qualités d’ensemble qu’individuelles. Puisque les voix de Judith Van Wanroij, Céline Scheen, Pascal Bertin, Emiliano Gonzalez-Toro ou Magnus Staveland, s’avèrent bien placées mais grêles. Et que la sonorité générale se révèle plus précise qu’enflammée. À croire que Purcell se doit d’être compassé.

Gounod inédit
Dans le cadre des “Inédits de la BnF”, un concert à l’auditorium de la Grande Bibliothèque offre à découvrir trois Gounod demeurés jusque-là dans les cartons : l’ouverture de Georges Dandin, opéra inachevé, les deux premiers mouvements d’une Troisième Symphonie, elle aussi restée en suspens, et la Communion des Saints, cantate d’après Mistral. C’est à Gérard Condé (auteur d’un Charles Gounod récemment paru chez Fayard) que l’on doit d’avoir pu remettre la main sur des partitions qui n’avaient jamais été exécutées, ou, pour la dernière, n’avait été jouée qu’une seule et unique fois avant de disparaître.
L’effort est récompensé, car il s’agit de pièces qui dépassent l’anecdote, comme cette Communion qui réussit l’improbable synthèse entre le Berlioz de l’Enfance du Christ et le Wagner de Parsifal, pour porter au mieux l’inspiration d’un beau musicien dont aucune page ne paraît indifférente. Le démontrerait encore l’extrait de Faust, “Marguerite au rouet”, donné également lors de ce concert, moins bien connu que d’autres passages de cet opéra et pourtant d’une magnifique sensibilité. Tant il semblerait que chez Gounod tout soit inédit, y compris au détour d’ouvrages plus célébrés. La soprano Susanne Bungaard, dans les extraits de Faust et la cantate précitée, s’épanche avec musicalité. L’Orchestre-Atelier OstinatO, constitué de jeunes Prix du Conservatoire, s’affirme homogène, délié, plein et présent, sous l’autorité éclairée de son chef titulaire, l’entreprenant Jean-Luc Tingaud.

Pierre-René Serna