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Grand Palais, Galeries nationales
Paris : Odilon Redon, prince du rêve

Grand Palais : Odilon Redon, prince du rêve

Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 3 avril 2011

par Régine KOPP

Prince du rêve, quel artiste ne rêverait pas d’un tel qualificatif ! Thadée Natanson l’inventa pour Odilon Redon (1840-1916) dans La Revue Blanche, à l’occasion de la première exposition personnelle de l’artiste, en 1894, chez Durand-Ruel, celle qui éveillera l’attention d’une critique plus large et la reconnaissance de jeunes artistes.

De l’ombre à la lumière
Un artiste, qui n’aura été ni maudit, ni impressionniste, insensible cependant aux beautés de la vie moderne où les impressionnistes puisaient justement leurs sujets, mais tourné vers le psychisme et le monde intérieur, aux tonalités sombres qui progressivement glisseront vers l’exubérance de la couleur. Un artiste méconnu du grand public, que cette magnifique rétrospective (la dernière date de 1956 à l’Orangerie) permettra de redécouvrir, en prenant la mesure de son immense talent et à laquelle l’intelligente et subtile scénographie imaginée par Hubert Le Gall contribue amplement.
C’est un parcours chronologique que le commissaire Rodolphe Rapetti a choisi pour présenter l’évolution stylistique de l’artiste, des noirs aux couleurs, réunissant 170 œuvres, réparties sur deux étages, le premier consacré au noir et blanc des fusains, aux eaux-fortes et lithographies, à l’étage du bas c’est le monde coloré des huiles et des pastels, celui des bouquets de fleurs, du décor de Domecy, ou des sujets bibliques et mythologiques.

Évolution stylistique
La première salle accueille le visiteur avec trois dessins des débuts du peintre, La Vieillesse (1865), Trois troncs d’arbres (1865), Cinq études de femmes nues (1864/65), où se lit déjà tout le talent de l’artiste, qui décida alors de devenir peintre dans les années qui suivirent le romantisme, non sans avoir hésité entre l’architecture et l’écriture. Mais c’est en 1879, au moment de la publication de son premier album lithographique, Dans le rêve, qui marque le début de sa carrière de lithographe et son engagement sur la voie de ce qui allait devenir le symbolisme, que l’artiste se fait connaître, multipliant les suites lithographiques. C’est le grand mérite de cette exposition de présenter dans leur intégralité dix des douze albums lithographiques. Odilon Redon y explore un monde troublant sorti de son imagination et nourri de lectures de Baudelaire, de Poe ou des théories de Darwin, créant des images macabres où évoluent des êtres difformes, des monstres, des figures hybrides, voire même des figures de mystique ou de martyre. Des thèmes qui reviennent de manière obsessionnelle, comme la sphère ou l’œil, l’eau originelle, la vie microscopique, l’ange déchu, le soleil noir, qu’il traite comme un surréaliste avant l’heure. Que ce soit L’œil, comme un ballon bizarre se dirige vers l’infini dans l’album A Edgar Poe (1882), l’Oeil-ballon (1878), Le Cœur révélateur (1883), l’Araignée souriante (1881) mais ô combien terrifiante, toutes ces œuvres et bien d’autres rappellent celles des Surréalistes. « Il crée un frisson nouveau », écrit avec raison Emile Henequin en 1882, impressionné par l’univers onirique et fantastique de l’ensemble A Edgar Poe.

Passage à la couleur
La série Les Origines (1883) traite de l’origine de la vie, du chaos à l’apparition de l’homme, avec des sujets influencés par la botanique, génétiquement modifiée par l’artiste, aimerait-on ajouter. Il faut prendre son temps pour contempler toutes ces séries exposées au premier étage : La Nuit (1886), Hommage à Goya (1885), Tentation de Saint-Antoine (1888), A Gustave Flaubert (1889). Des images d’une étrange inquiétude, au fusain, à l’encre, au pastel noir, au crayon lithographique, dans lesquelles l’artiste fera progressivement couler de la couleur, un passage à la couleur marqué par Yeux clos (1890). A partir de 1900, la veine noire se tarira et la couleur prendra le dessus, devenant de plus en plus intense. Une rupture célébrée à l’étage inférieur dans la rotonde tout d’abord, où ses bouquets de fleurs, à la fois intimistes et d’une étrange exubérance lui apporteront un immense succès. C’est aussi l’époque où il crée pour des collectionneurs, des décors de grands formats, influencés par le japonisme, mais surtout fait jaillir la couleur et la lumière, en privilégiant le monde végétal et floral.

Apothéose
Le décor conçu pour la salle à manger du château de Domecy et son propriétaire le baron de Domecy, un des principaux collectionneurs de l’artiste, a été exceptionnellement reconstitué à l’échelle pour l’exposition et a de quoi faire rêver le visiteur. Loin de chercher à rendre la sensation d’espace, c’est sur les accords de couleurs que se concentrent ces œuvres, tendant vers l’abstraction. A l’abbaye de Fontfroide, il crée pour la bibliothèque d’un autre collectionneur et propriétaire des lieux, Gustave Fayet, des panneaux qui subliment ses dons de coloriste subtil, mais ce décor n’a pu être transporté dans l’exposition. Il exécutera également des paravents et des fauteuils, dominés par le motif floral et qui complètent sa contribution aux arts décoratifs. L’artiste s’essaiera à quelques portraits, mais la puissance du coloriste s’exprimera bien plus dans ses derniers tableaux aux sujets mythologiques, La Naissance de Vénus (1912), Pégase et le serpent (1907), Le Cyclope (1914), Le Char d’Apollon (1910), Le Char du Soleil (1910), ceux-là même qui forment une apothéose éclatante du parcours.

Régine Kopp

Jusqu’au 20 juin 2011
Renseignements : www.rmn.fr