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Sur les scènes parisiennes
Paris : Neumeier et Cunningham

Coup d’œil sur les chorégraphies de Neumeier et Cunningham.

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 26 février 2011

par Stéphanie NEGRE

En novembre, les scènes parisiennes accueillaient John Neumeier et le Ballet de Hambourg, avec Parzival, ainsi que la Merce Cunningham Dance Company, en tournée mondiale.

A l’Opéra de Paris

Ballet de Hambourg : Parzival, Épisodes et Écho
Invité par l’Opéra de Paris, le Ballet de Hambourg présente, du 12 au 16 novembre 2010, Parzival, de son directeur, John Neumeier. Inspiré des récits médiévaux de Chrétien de Troyes et de Wolfram von Eschenbach, ce ballet créé en 2006 évoque le parcours spirituel d’un chevalier, de sa vie d’homme de guerre, dans la première partie Épisodes, à sa prise de conscience morale, dans la seconde, Écho.
Peut-on vivre éternellement avec pour quotidien, la guerre, et unique idéal, conquérir ? L’œuvre de John Neumeier ne répond pas à cette question. Elle propose seulement de plonger dans la psychologie d’un homme épris d’aventures qui vécut longtemps ainsi. Après avoir abandonné sa mère et tuer un homme pour s’approprier sa monture et son armure, Parzival se rend à la cour du roi Arthur où il devient l’un de ses plus valeureux guerriers. Découvrant une première fois l’amour avec une noble demoiselle puis l’apparition christique du roi pécheur, il s’en détourne volontairement. Pourtant, le héros des champs de bataille finit par ressentir une grande solitude morale. Au contact d’un ermite, rencontré dans la forêt, il prend soudain conscience de ses crimes. Ne pouvant revenir en arrière et les effacer, il décide alors de consacrer le reste de ses jours à sa rédemption et à diffuser le message d’amour du Christ.

Edvin Revazov et Kiran West dans « Parzival ».
Photo Holder Badekow

La chorégraphie d’essence néo-classique est extrêmement évocatrice. Quand la mère de Parzival se laisse mourir en apprenant le départ de son fils, son époux, chevalier mort au combat quand elle était enceinte, vient la retrouver pour une dernière étreinte. Délire et réalité se confondent… Une bataille se livre sous nos yeux et les hommes dont le père de Parzival, tombent les uns après les autres. Comment ne pas penser aux grandes batailles où la mort fauchait les vies par milliers et à la douleur de ceux qui perdent un être cher au nom de causes qui leur échappent ? La prise de conscience de Parzival est particulièrement bouleversante. Une nuit d’hiver, il trouve un homme nu, grelottant dans le froid, qui le supplie de ne pas l’abandonner. Touché, il l’enveloppe de sa chemise pour le réconforter. Reconnaissant l’homme qu’il assassina au tout début, il tente désespérément de le retenir en vie, comme s’il pouvait revenir en arrière. En vain. L’horreur de ses actes, il devra les assumer jusqu’au restant de ses jours.
Les scènes sont rarement narratives mais renvoient plutôt à la psychologie et aux émotions des personnages. Pour se détacher de l’aspect épique des romans de la Table ronde, John Neumeier emprunte peu d’extraits à l’opéra éponyme de Richard Wagner. Il préfère choisir des œuvres d’Arvo Pärt et de John Adams, plus contemporaines mais plus en harmonie avec le souffle humaniste qui se dégage de l’œuvre.
Force du destin, soif du pouvoir, goût de l’aventure, amour humain, amour divin, les valeurs développées dans Parzival sont les fondements des grandes épopées de l’Europe médiévale. Elles peuvent sembler décalées dans notre monde policé. Pourtant, je pense qu’elles sont viscéralement liées à la construction humaine et que dans notre société, elles s’expriment de manière certes moins sanglante mais tout aussi violente. John Neumeier, incroyable analyste de l’âme humaine, nous renvoie la face noire de l’homme à côté du message d’amour universel du Christ. Cependant, alors que les auteurs du Moyen-âge inscrivaient leur récit dans une dimension strictement chrétienne, John Neumeier, auteur contemporain, nuance les références religieuses, donnant ainsi à l’affrontement du bien et du mal, une dimension universelle.

Au Théâtre de la Ville

Merce Cunningham Dance Company : Pond Way, Second Hand et Antic Meet
Quelques temps avant son décès en juillet 2009, Merce Cunningham établit son testament artistique autour de deux grands axes : la constitution de dossiers digitaux, les « dance capsules », pour la transmission de ses chorégraphies et une tournée mondiale de deux ans puis la dissolution pour sa compagnie. Dans le cadre de cette tournée d’adieux, le Théâtre de la Ville accueille la Merce Cunningham dance company du 3 au 13 novembre 2010.
Le premier programme nous fait remonter quarante ans de création de Merce Cunningham avec Pond Way, œuvre de 1998, Second Hand, de 1970 et Antic Meet de 1958. Pond Way nous plonge dans un univers aquatique et onirique. Avec pour seul décor une toile de Roy Lichtenstein, Landscape with boat - une forêt de points noirs cachant un petit bateau -, des créatures singulières évoluent sous nos yeux. Leur démarche chaloupée rappelle celle d’échassiers se déplaçant dans un marécage. Ils traversent la scène, se rassemblent puis se dispersent, créant des ensembles sans cesse renouvelés. Les accords de Brian Eno rappellent le bruit des gouttes d’eau qui tombent, les lumières chaudes de Charles Atlas enveloppent les danseurs. L’ambiance est sensuelle et incite au relâchement, à la rêverie.

Lisa Boudreau et Jeannie Steele dans « Pond Way ».
Photo Carol Pratt

Second Hand est l’un des premiers ballets de Merce Cunningham mettant en pratique l’un de ses principes artistiques fondamentaux, l’enchainement des séquences chorégraphiques tirées au hasard. Il débute par le solo d’un danseur bientôt rejoint par une danseuse. Attiré l’un par l’autre sur cette grande scène vide, ils entament un duo. Puis le hasard des scènes les fait se séparer. Resté seul, l’homme est rejoint par un groupe de danseurs avec qui il poursuit son chemin. Quand la danseuse, désormais intégrée au groupe, revient, leur attirance mutuelle va de nouveaux se manifester, nous faisant comprendre que, séparés un temps, ils ne se sont jamais réellement quittés. La composition au piano de John Cage inspirée du phrasé musical d’Erik Satie et les costumes acidulés de Jasper Johns donnent une tonicité continue à l’œuvre, loin de toute mélancolie ou romantisme. Ce rythme, c’est la vie qui passe avec les gens que l’on rencontre et… que l’on quitte. Comme dans Second Hand, le hasard nous met en présence d’individus ou nous en séparent. Quelle est notre marge d’action par rapport à lui ? Comment dans ce contexte se vit une attirance ? Second Hand en place les multiples facettes - attirance exprimée et vécue, attirance rémanente qui nous fait reconnaître l’élu au milieu de la foule ou après des années d’absence –, avec le hasard, au cœur du destin.
Antic Meet est une succession de scènes burlesques qui s’inspirent des actes du quotidien. Un homme poursuit une femme avec un bouquet de fleurs, des personnages se chamaillent. Les danseurs portant des lunettes noirs, de la fourrure, l’un d’entre eux se débat dans un tricot à quatre bras tandis qu’un autre a une chaise attachée à lui. Les costumes extravagants sont issus de l’imaginaire de Robert Rauschenberg et la musique est un brouhaha savamment construit par John Cage. Avec Antic Meet, Merce Cunningham ne craint pas de confronter son art à une des facettes du monde, l’absurdité.

Stéphanie Nègre