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Centre Pompidou
Paris : Mondrian / De Stijl

Centre Pompidou : Le maître de l’abstraction et ses utopies

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 23 mars 2011

par Régine KOPP

En programmant cette rétrospective consacrée à Piet Mondrian (1872-1944) l’un des grands noms de la peinture abstraite, le Centre Pompidou répare non seulement une lacune, puisque la dernière exposition remonte à 1969, au musée de l’Orangerie mais propose aussi une nouvelle approche, en montrant la filiation entre cet artiste et le mouvement d’avant-garde hollandais De Stijl, né au début des années 1900 et dont le principal chef de file était Theo Van Doesburg.

Un projet ambitieux certes mais avant tout passionnant, construit sur un parcours labyrinthique, un véritable marathon pour le visiteur, contraint de traverser 22 salles, avant de retrouver la sortie. Un visiteur, récompensé toutefois, car les salles qui se suivent ne se ressemblent pas et permettent de comprendre le cheminement si original qui mène Piet Mondrian de la tradition hollandaise, figurative à l’abstraction la plus radicale, défendant une création basée sur une exigence morale et philosophique, pour aboutir sur un projet de vie et de société aspirant à l’harmonie universelle. On ne saurait que trop conseiller cette exposition à tous ceux qui se montrent insensibles voire hermétiques à ce nouveau langage pictural de l’abstraction géométrique.

Clef
C’est en effet dans les premières salles, celles qui vont des années 1908 à 1911, date à laquelle Mondrian part pour Paris, puis celles de l’influence cubiste, que se cache la clef pour comprendre les œuvres de « la nouvelle plastique abstraite ». Jusqu’en 1908, Mondrian réalise des tableaux d’influence naturaliste mais sa peinture évolue ensuite vers le fauvisme, avec des couleurs fortes comme le montrent des œuvres telles que Dévotion (1908), Le Nuage rouge (1907/08) ou Paysage de dunes (1911). C’est aussi à partir de 1908 que Mondrian commence à s’intéresser à la théosophie dont Métamorphose (1908) représente l’emblème par excellence, illustrant le cycle de la mort et de la renaissance. Le motif de l’arbre est aussi un motif de prédilection de l’artiste, dont témoignent plusieurs toiles admirables dans des camaïeux de bleu et de beige mais aussi de dessins au crayon noir ou au fusain, qui composent tout un mur.
Son œuvre charnière, Nature morte au pot de gingembre (1911/12) est caractéristique de cette période où il expérimente le cubisme analytique, avec des formes et un fond confondus dans un même traitement en facettes cloisonnées. Ses compositions de 1913 prennent souvent des formes ovales, reprises du cubisme, où le trait domine et où il utilise une gamme de couleurs réduite à des gris et ocres, privilégiant ainsi la structure et le rythme. Sur les cartels, les titres d’ailleurs disparaissent au profit du terme générique de composition, auquel il ajoute une numérotation. « Je construis des lignes et des combinaisons de couleurs sur des surfaces planes, afin d’exprimer avec la plus grande conscience la beauté générale », la ligne directrice est donc clairement définie par l’artiste. De même, dans la salle où il peint des sujets se référant à l’océan, le langage pictural est simplifié, débarrassé de couleurs et de repères figuratifs.

Mondrian et la vie parisienne
Mais la couleur ne disparaît pas pour autant et à partir des années vingt, ses recherches se poursuivent dans ses compositions resserrées sur des plans de couleurs primaires (rouge, bleu et jaune) s’opposant à des plans de non-couleurs(gris, noir et blanc), tandis que des lignes horizontales sont confrontées à des lignes verticales. « Tendre vers une langue plastique directement universelle et rationnelle » était l’objectif de Mondrian, désireux de pousser plus loin l’expérience des cubistes, qui selon lui « refusaient les conséquences de leur propre révolution plastique  ». A mi-parcours, toute une salle d’archives et de photographies retracent les liens de Mondrian et de la vie parisienne, mentionnant les expositions consacrées à son œuvre, dont celle légendaire (2-25 mai 1921) chez Léonce Rosenberg à Paris, intitulée Les maîtres du cubisme mais aussi la Hollande, l’Allemagne et les États-Unis rendront hommage à sa peinture.
A partir de 1930, l’artiste entame une nouvelle étape, les lignes repoussent de plus en plus les couleurs et il renforce l’autonomie et la puissance de la couleur pure. Composition dans le losange avec quatre lignes jaunes (1933) préfigure l’art minimaliste des années soixante. Pour mieux visualiser cette esthétique nouvelle, née de la peinture néoplastique, l’atelier parisien de l’artiste au 26 rue du Départ a été reconstitué, appliquant à la lettre sa théorie d’ « une construction d’une infinité de plans en couleurs et non couleurs, s’accordant avec des meubles et objets qui ne seront rien en eux-mêmes mais joueront comme éléments constitutifs du tout ». Un intérieur certes intéressant pour comprendre l’art total dont rêvait Mondrian mais inconfortable et froid où l’on n’aimerait guère passer une nuit ! A partir de 1932, Mondrian va même jusqu’à utiliser la double ligne, la couleur ne jouant plus qu’un rôle de contrepoint. Des compositions qui délivrent une harmonie rythmique, presque musicale. New York City ,1942, figure en conclusion du parcours comme un « véritable allegro solaire ».

Le mouvement De Stijl
Depuis l’exposition fondatrice de 1923 à la galerie L’Effort Moderne, le mouvement De Stjil, parmi les plus importants des avant-gardes historiques, n’avait jamais fait l’objet d’une rétrospective. Les six dernières salles retracent l’histoire de ce courant, créé d’abord autour d’une revue animé par Theo Van Doesburg, qui réunit de 1917 à 1931 les œuvres et les projets des artistes partageant cette esthétique, où l’abstraction s’impose comme un authentique espace d’expérimentation. Lui-même s’attachant aux nouvelles théories de l’espace-temps et de la quatrième dimension. Il collabore avec des architectes comme Mies van der Rohe ou Cornelius van Eesteren.
De nombreux projets sont présentés sous forme de dessins, de gouaches, de photographies, de maquettes, allant de l’université d’Amsterdam, à des cinémas en passant par des résidences de femmes célibataires ou des cités-jardins. Le Café de l’Aubette à Strasbourg que Theo Van Doesburg réalise avec Hans Arp et Sophie Taueber, est à ce titre exemplaire d’une intervention sur l’espace public, mêlant toutes les disciplines de la création, où l’art et la vie marchent de paire, selon le précepte que «  l’homme vraiment moderne doit écarter la subjectivité individuelle pour atteindre à la pure représentation de l’esprit humain ». Cette dernière section, qui s’adressera peut-être plus à des amateurs d’architecture ou de design, complète cependant avec subtilité la présentation monographique consacrée à Mondrian. I Une exposition événement non pas au sens imposé par le marketing mais bien par sa contribution à montrer l’abstraction dans notre culture visuelle.

Régine Kopp

Jusqu’au 21 mars 2011