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Musée Jacquemart-André
Paris : Martial et Gustave Caillebotte

Dans l’intimité des frères Caillebotte

Article mis en ligne le 2 mai 2011
dernière modification le 2 juin 2013

par Régine KOPP

A l’heure d’une féroce concurrence entre les musées, qui mesurent le succès de leurs expositions au nombre d’entrées, la programmation d’un événement autour des impressionnistes est presque toujours un atout supplémentaire. Dans ses expositions temporaires, le musée Jacquemart-André aime offrir à son public une approche directe de l’œuvre d’un artiste. Le musée a donc misé sur un sujet impressionniste, en choisissant de célébrer le centième anniversaire de la mort de Martial Caillebotte, le frère de Gustave, en collaboration avec les descendants de la famille, qui possède toutes les archives. Car, si l’on connaît le peintre Gustave (1848-1894), avec son talent et son rôle de mécène auprès de ses amis impressionnistes, le nom de son frère Martial (1853-1910) est plus confidentiel.

Lui aussi avait une veine artistique, compositeur de musique et ami des grands noms de son temps, Fauré, Chausson, Debussy mais surtout photographe. Un art qu’il exerce à partir de 1891, privilégiant les sujets qu’affectionnaient tant les impressionnistes, et surtout son frère Gustave, les vues de Paris, les scènes d’intérieur, les vues de paysages, de jardins, les moyens de transport, les bateaux à voile. Martial semble d’ailleurs s’inspirer de l’œuvre de son frère, pour se lancer dans son activité de photographe. C’est ainsi qu’est née l’idée pour le commissaire de l’exposition Serge Lemoine, ancien directeur du musée d’Orsay et passionné de photographie, de rapprocher les talents artistiques des deux frères. Mettre en regard des tableaux de Gustave avec des photographies de son frère Martial, pour montrer qu’au-delà des points communs, il y a la même inspiration, le même goût pour les sujets choisis. Cinquante toiles, pour la plupart des prêts exceptionnels de collections privées, dialoguent avec près de cent trente clichés, des tirages modernes, réalisés à partir des originaux. Et étrangement ce n’est pas le peintre qui dicte les thèmes des différentes salles du parcours, c’est le photographe qui les impose. Il n’échappe évidemment pas au visiteur que le fait que les deux frères partagent les mêmes passions, pour l’horticulture, le yachting ou les joies familiales et qu’ils soient des témoins privilégiés non seulement des transformations urbaines du Paris de cette époque mais aussi des nouveaux moyens de transports, que tout cela les rapproche.

Dès la première salle, intitulée Paris en perspectives, le dialogue fonctionne à merveille. Les deux frères habitent le quartier du boulevard Haussmann et observent depuis leur balcon, les rues et les passants, que Martial fixent sur la pellicule, avec plusieurs portraits au balcon et que Gustave peint dans des vues plongeantes : Le Boulevard vu d’en haut (1880), Un refuge, boulevard Haussmann (1880), des œuvres, où il innove par le thème retenu et le cadrage de la composition avec une plongée presque à la verticale. Ils s’intéressent aussi aux petits métiers, témoins ces Peintres en bâtiment ou le cliché de Martial montrant La descente d’un réverbère. Martial porte également une attention particulière aux monuments emblématiques de Paris, ou des symboles de la vie moderne comme la Tour Eiffel, l’Opéra Garnier, la passerelle des Arts.

Gustave et Martial sont des frères très unis, qui prennent plaisir à partager les activités familiales, auxquelles sont consacrées deux salles. Aux toiles de Gustave, La leçon de piano (1881), Le Déjeuner (1876), Intérieur, femme à la fenêtre (1880) répondent les photographies de Martial : la vie quotidienne chez les Caillebotte, les enfants de Martial et le demi-frère l’Abbé Alfred Caillebotte. Comme tous leurs contemporains impressionnistes, ils découvrent les joies de la vie en plein air dans des propriétés en bordure de Paris, Yerres d’abord puis au Petit Gennevilliers, acquises grâce à une importante fortune héritée de leur père mort en 1874. Alors que Monet aime le foisonnement et la luxuriance de son jardin, Gustave cultive des parterres nets, qu’il peint ensuite, comme ce Jardin potager, Yerres (1877), où l’harmonie colorée vient casser la symétrie de l’ensemble, et que Martial photographiera à son tour. Capucines, marguerites, chrysanthèmes, tournesols, orchidées, toutes ces fleurs trouvent une expression artistique chez les deux frères et enchanteront tous les amateurs de jardins.
La modernisation des transports, qui entraîne aussi des changements radicaux des paysages au cœur ou à proximité de Paris, fascine les frères Caillebotte. Le Pont de l’Europe (1876) reproduit l’imposante structure métallique au-dessus de la gare Saint-Lazare en une scène peinte comme à travers un objectif photographique. Martial en fait de même dans sa vue prise du pont d’Argenteuil ou de Villeneuve St Georges vu du pont, où il joue avec les effets de perspective.

Les compositions consacrées aux voies ferrées leur permettent d’accentuer la profondeur du champ pour mieux restituer le mouvement et la vitesse des trains.
Le nom de Caillebotte est aussi associé à l’ingénierie nautique. Non seulement Gustave participe aux régates mais il conçoit ses propres bateaux, dessinant des plans et fabricant des maquettes. Le nautisme est à l’époque l’apanage d’une élite restreinte, à laquelle appartenaient les deux frères sans aucun souci d’argent. Une activité qui inspire la production picturale de Gustave, combinant ainsi les effets aquatiques et l’essor de la vie moderne. Dans Voilier sur la Seine à Argenteuil (1893) ou Bateau à voile sur la Seine (1893), le peintre joue avec le blanc des voiles qui se reflète dans le bleu de l’eau. C’est aussi une chance d’avoir pu réunir les trois toiles (Pêche à la ligne, Baigneurs au bord de l’Yerres, Les Périssoires, 1878), formant un triptyque présenté à la quatrième exposition impressionniste de 1879 puis dispersées dans des collections différentes. Quant à Martial, il photographie les bords de Seine, le bassin d’Argenteuil, le chantier naval de Gustave, poursuivant son voyage jusqu’au bord de mer, dans des images saisissantes. C’est bien à une découverte du talent de Martial que nous convie cette exposition, et que le dialogue avec son frère le peintre rend encore plus savoureuse. Mais l’exposition peut aussi se comprendre comme une belle promenade dans le Paris d’hier, qui est encore celui d’aujourd’hui.

Régine Kopp