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Musée d’Orsay
Paris : Manet et sa quête artistique
Article mis en ligne le 1er juin 2011
dernière modification le 2 juin 2013

par Régine KOPP

On comprend que le musée d’Orsay, qui possède un ensemble d’œuvres cultes d’Edouard Manet (1832-1883), pour ne citer que L’Olympia et Le Déjeuner sur l’herbe, ait programmé une grande exposition, consacrée à ce peintre. Inventeur du Moderne s’intitule l’exposition, qui développe ainsi son rapport à la modernité, un thème qui sera au centre des préoccupations des peintres impressionnistes.

Presque trente ans après la rétrospective exceptionnelle et exemplaire, organisée par Françoise Cachin et Charles S. Moffett, au Grand Palais, le commissaire Stéphane Guégan souhaitait jeter un autre regard sur l’œuvre de cet artiste, entre tradition et révolution, un artiste qui plus qu’aucun autre a suscité des propos tout aussi élogieux qu’haineux. Le parcours chronologique et thématique, hélas trop labyrinthique, réunissant environ deux cents œuvres, venues des quatre coins du monde, se construit autour de neuf questions, montrant un peintre en évolution constante, qui veut faire vivre la peinture d’histoire, en la renouvelant en profondeur et impose des sujets modernes, traités en bousculant les conventions picturales de son temps. « Moderne il l’est, précise le commissaire, par sa façon de fixer la vie présente grandeur nature , de rajeunir l’arsenal des vieux maîtres et d’exploiter les ressources d’une époque où la circulation et le marché des images se redéfinissent en profondeur.

Manet portraitiste
En ouverture, c’est le tableau de Fantin-Latour, L’Hommage à Delacroix (1864), qui sert de point de départ, puisqu’on y voit Manet entre Champfleury et Baudelaire, l’homme de Courbet d’un côté et le champion de Delacroix de l’autre. L’occasion de montrer les multiples liens que Manet a entretenus avec le mouvement romantique, dans la littérature mais aussi la peinture. Après avoir échoué à Navale, le jeune Manet suit l’enseignement de Thomas Couture, entre dans son atelier en 1850, se montrant sensible à son art de portraitiste, une confrontation de toute une série de portraits des deux artistes compose cette première section. Le Jeune garçon à l’épée (1861) si émouvant est aussi tendrement évoqué que le seront les garçons représentés dans Le Fifre (1866) ou Les Bulles de savon (1867).
La rencontre avec Baudelaire en 1860, quatre ans après avoir quitté l’atelier du maître, se révèle tout aussi importante pour Manet. L’écrivain défend l’artiste, qui « mêle au prosaïsme neuf de ses sujets l’instantanéité de la photographie et la profondeur de l’ancienne peinture », et célèbre ce « peintre de la vie moderne ». Une formule que le poète destinait toutefois à un autre artiste, Constantin Guys. Baudelaire et Manet sont liés par un même imaginaire, ce que cette nouvelle section illustre par des œuvres dessinées et manuscrites du poète mais on y retrouvera surtout les œuvres peintes de Manet, magnifiant les femmes, les danseuses, les femmes damnées : La Maîtresse de Baudelaire (1862), Lola de Valence (1862), Portrait de Victorine Meurent (1862), La Négresse (1862/63), La Chanteuse des rues (1862) et bien sûr l’Olympia (1863) et Le Déjeuner sur l’herbe (1863). Deux œuvres qui provoqueront un vrai scandale tant leur puissance expressive choque, car le monde bourgeois, auquel appartient aussi Manet, ne veut pas se voir avec cette vérité-là, telle que l’exprime l’artiste. Il y aussi la question de la peinture religieuse, qui est posée dans une section, où des œuvres comme Le Christ aux anges (1864), Un Moine en prière (1865), Le Christ insulté par les soldats (1865), nous montrent que, bien qu’anticlérical, l’artiste n’est pas irrespectueux, mais cherche à réinventer l’art sacré.
C’est l’été 1865, après l’échec de ses envois au Salon que Manet se rend en Espagne. La découverte des maîtres du Siècle d’or, Greco, Goya et surtout Vélasquez le bouleverse. Il va livrer quelques toiles sublimes, d’une tension dramatique et d’une sobriété étonnantes, d’une palette qui ne l’est pas moins avec sa richesse des bruns hispaniques s’opposant aux blancs. “Du Prado à l’Alma“ est la section, qui regroupe les œuvres de cette période espagnole comme cette icône de la mort, qu’est Le Toréro mort (1864), prêtée par la National Gallery de Washington mais aussi celles peintes à son retour, quand il fréquente le café Guerbois et qu’il exposera dans un pavillon, qu’il fait construire près du pont de l’Alma. A défaut de composer sagement, Manet fragmente, téléscope et réactive la perception, au point que ses scènes de turf en acquièrent un nerf sans précédent, comme Courses à Longchamp dans une version à l’huile de 1866, aquarellée de 1867 ou Femmes aux courses (1866). D’autres moments du parcours tentent d’éclairer son rapport à la peinture féminine, avec une série de portraits saisissants de Berthe Morisot, sa belle-sœur artiste, fortement cernés de noir.

Libération chromatique
Il y aussi la question de l’impressionnisme qui est évoquée et cette libération chromatique et formelle, qui s’est fait jour dès les années 1860 mais que Manet va adapter à ses visées, partageant avec Monet les mêmes sujets, celui des bateaux (Bateaux en mer. Soleil couchant,1869/73), de la plage (Sur la Plage, 1873), des loisirs (La Partie de croquet, 1873) des gares (Le chemin de fer, la gare Saint-Lazare, 1873/74). La section “Less is more“ pose la question des natures mortes, dont il fit un grand nombre, puisqu’elles se vendaient mieux que ses tableaux de figures. Mais plus que la virtuosité décorative, c’est le dépouillement et l’éclat de fraîcheur en pleine pâte, qui leur donnent la plénitude, comme cette Asperge (1880) ou ce Citron (1880). Peintre de l’actualité sociale et politique, c’est en peintre d’histoire, que Manet le républicain s’inspire des événements de la guerre franco-prussienne ou de la Commune. L’Exécution de Maximilien (1867), La Bataille du S.S. Kearsarge et du C.S.S. Alabama (1864) ou les deux versions de L’Evasion de Rochefort (1881) nous plongent dans le mystère de sa peinture. Sa vie durant, Manet a cherché à être reconnu par le grand public. Un succès, qui ne viendra qu’un an après sa mort, lors d’une exposition à l’école des Beaux-Arts. Pour sa défense, il ajoutait : j’ai fait ce que j’ai vu. Comme toute vérité n’est pas bonne à dire, toute vérité n’est pas bonne à être peinte, dans cette société de la fin du XIX° siècle.

Régine Kopp

Jusqu’au 3 juillet 2011
Réservation préférable, pour ne pas faire la queue (fermé le lundi !)
www.musee-orsay.fr