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Musée du Louvre, Paris
Paris, Louvre : Mantegna, passeur généreux

Le peintre padouan Andrea Mantegna est à l’honneur au Musée du Louvre.

Article mis en ligne le novembre 2008
dernière modification le 9 janvier 2009

par Julien LAMBERT

Le Musée du Louvre consacre une rétrospective d’une rare complétude au peintre padouan Andrea Mantegna. L’incessant dialogue qu’elle illustre avec grands et petits maîtres renaissants invite à réviser les clichés relatifs à l’aspérité ou à la mégalomanie de ce « passeur » d’influences fondamental. Même si la comparaison ne profite pas toujours à l’artiste consacré…

Pour le visiteur coutumier du Louvre un brin trop influencé par ses affects, Andrea Mantegna est le signataire de grandes compositions aux perspectives folles, où s’assoient des personnages aux faciès de roc aisément rebutants.
Toujours aux antipodes du sensationnalisme des galeries privées, le Musée a pourtant su exploiter la richesse des collections françaises, pour jalonner un parcours chronologique complet du peintre renaissant, en représentant toutes ses étapes essentielles, par d’exceptionnelles réunions d’œuvres ou des tangentes astucieuses. Une belle copie des fresques initiales de la Chapelle Ovetari, ou un seul mais le plus exemplaire des Triomphes de César, complètent ainsi la recomposition de la prédelle du fameux Retable de San Zeno, dispersé entre Paris et Tours. L’intégralité des œuvres du cabinet d’Isabelle d’Este, redisposées dans leur face-à-face d’origine, confère une dimension intime valorisante à ces allégories, anecdotiques dans l’immensité de la Galerie des Italiens.

Sources et influences
L’austérité de Mantegna ne tombe alors plus du ciel. Elle trouve son sens dans l’explicitation de ses origines sculpturales, les sources de Mantegna étant aussi abondamment illustrées que ses répercussions sur d’autres artistes. La spéciosité de Cosme Tura jouxte ainsi les Histoires en relief de Donatello et les délicatesses de Bellini, dans une impressionnante coupe faite en transversale dans la Renaissance italienne, attestant du rôle de passeur tenu par l’artiste padouan. Sans oublier nombre d’artistes secondaires, illuminés par les ressemblances formelles, qu’explicitent des cartels peut-être parfois exagérément spécialisés au goût du profane.
Mieux : la légendaire rudesse mantegnesque, mise en perspective d’influences aussi diverses, s’avère faire d’étonnants allers-retours dans la production du maître, pour laisser régulièrement la place à des esthétiques plus séduisantes. Le dialogue entretenu avec l’œuvre de son beau-frère Giovanni Bellini dote la Sainte Justine de Mantegna d’une grâce et d’une légèreté qu’illuminent des tons clairs typiquement vénitiens. On s’étonne plus encore de retrouver les fameuses calcifications lunaires de Mantegna dans un cahier de dessins français méconnu de Jacopo Bellini. De nombreuses œuvres graphiques témoignent de la fabrique de modèles diffusés par Mantegna aux quatre coins de la peinture européenne.

Délicatesses insoupçonnées
Les compositions gigantesques de la longue période de service à la Famille Gonzague de Mantoue, magnificientes et foisonnantes de détails, trouvent un écho bienvenu dans des travaux plus réduits et raffinés. Ainsi du Christ soutenu par deux anges de Copenhague, dont le linceul d’une texture hallucinante comme le corps diaphane excusent les visages simiesques des anges, nécessaires dans l’équilibre formel de l’ensemble.
La présence de telles œuvres incite à plonger dans la profondeur des perspectives titanesques pour mieux y découvrir de semblables délicatesses. Les gueules trop franches et patibulaires des bourreaux de Saint Sébastien trouvent ainsi une antithèse surprenante dans la candeur des apôtres au Jardin des oliviers de la National Gallery, aux lèvres tendrement entrouvertes dans un sommeil d’enfants.

Comparaison altruiste
Un tel parcours laisse songeur. Très tôt affirmée dans son style, décisive dans son apport aux grands courants renaissants, l’œuvre de Mantegna semble à la fois immuable et polymorphe. Elle paraît atteindre son apogée dans les années 1480 avec des œuvres plus synthétiques et des reliefs mieux contenus, à l’image de trois Saintes Familles éloquemment juxtaposées. Pour décliner ensuite dans la sophistication des allégories, un peu ridicules face à l’harmonie renaissante de Lorenzo Costa dans le même studiolo d’Isabelle d’Este. On est même un peu gêné de retrouver avec plaisir la légèreté prébaroque de Corrège en fin d’exposition, à l’idée que même des œuvres moins illustres, comme la Nativité d’Aigueperse par Benedetto del Ghirlandaio, bénéficient peut-être plus de la comparaison que l’artillerie lourde de Mantegna. Mais la complexité de la réflexion et la diversité du parcours ne valent-elles pas mieux que d’inutiles hiérarchies ?

Julien Lambert

Exposition jusqu’au 5 janvier, tlj de 9h à 18h, sauf mardi.