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Centre Pompidou
Paris : L’été indien à Paris
Article mis en ligne le 1er juillet 2011
dernière modification le 5 janvier 2014

par Régine KOPP

Depuis les expositions Paris/New York, Paris/Berlin, Paris/Moscou, devenues des références légendaires, aucune autre n’a été consacrée à ce genre de dialogue des cultures. A l’heure de la mondialisation de la création artistique et des scènes émergentes, le Centre Pompidou a eu l’idée de proposer à une cinquantaine d’artistes indiens et français de présenter des œuvres (dont 70 spécialement produites pour la manifestation), qui parlent de l’Inde aujourd’hui.

Centre Pompidou : Paris –Dehli -Bombay
Une exposition orchestrée par Sophie Duplaix, du Centre Pompidou, et Fabrice Bousteau, sur le mode ludique mais aussi pédagogique, puisque l’exposition s’organise autour de thématiques. La politique, la religion, le foyer, l’identité ou l’artisanat sont autant de thèmes évoqués au cœur de l’exposition dans un grand espace circulaire, au centre duquel rayonne une sculpture monumentale de tête de femme de Ravinder Reddy (né en 1956), à mi-chemin entre icône pop et divinités traditionnelles.
A l’entrée du parcours, c’est l’artiste française Orlan qui attire l’œil du visiteur avec une œuvre lumineuse, réalisée en sequins comme pour les panneaux publicitaires en Inde, composée à partir d’une hybridation des drapeaux français et indiens. On passe ensuite devant un immense mur de déchets informatiques de Krishnaraj Chonat (né 1973), œuvre destinée à faire prendre conscience des questions environnementales, auquel répondra en fin de parcours un mur plus poétique, jaune orangé, dont émane une odeur de santal. Ce qui rend le parcours intéressant, c’est que les œuvres des artistes indiens et français sont regroupées par affinités, traitant d’une Inde réelle mais aussi d’une Inde rêvée, auxquelles le visiteur peut accéder par plusieurs chemins. Au cœur des préoccupations de la plupart des artistes indiens surgit la question politique, traitée avec une belle et forte sensibilité par Shilpa Gupta dans Half Widows (2006), une vidéo projetée au sol mettant en scène l’artiste jouant à la marelle et montrant des craquelures, références aux tensions de cette région du monde. On découvrira aussi l’œuvre de Sunil Gawde, Virtually Untouchable (2007), de magnifiques guirlandes de fleurs rouges qui pointent du doigt la violence politique, puisqu’elles sont réalisées à partir de lames de rasoir peintes, référence directe à l’assassinat de Rajiv Gandhi en 1991, de Mahatma Ghandi en 1948 et d’Indira Ghandi en 1984.
Quant au Français Alain Declercq, son œuvre Borders/Pakistan (2010), traitant de la frontière sensible séparant l’Inde du Pakistan, montre sur trois panneaux de mélaminé noir les impacts de balles, qui ne laisse aucun doute sur la violence du conflit. L’urbanisation croissante de l’Inde est un sujet qui mobilise également nom-bre d’artistes ; il suffit de longer l’œuvre impressionnante de Hema Upadhyay, Think left, think right (2010), qui prend la forme d’un couloir reproduisant à la verticale et en miniature le plus grand bidonville d’Asie situé à Bombay, pour le comprendre. Subodh Gupta, dont la carrière a pris une dimension internationale, a choisi de travailler sur le thème du foyer en réalisant pour l’exposition une installation, Ali Baba (2011), un magasin rempli de vaisselle en inox, avec une connotation moins prosaïque et plus féerique si l’on pense au conte des Mille et une Nuits. Ce thème du foyer a par ailleurs incité des artistes à traiter le problème du couple ou de la sexualité comme le montrent les peintures de Thukral et Tagra, Put it on again (2011). Ils se référent à des temples indiens et à leurs sculptures érotiques, mettant en scène des couples dans un décor bourgeois de chambre à coucher, dont les ébats sont cachés par une couverture. La sexualité constitue encore un sujet tabou en Inde et, par leur art, ces artistes veulent sensibiliser les jeunes, leur disant de ne pas avoir honte de leur corps.
De même les sujets de transsexualité ou d’homosexualité, s’ils sont rarement débattus ouvertement, sont abordés par de nombreux artistes : les photos de Pushpamala N. traitent de l’émancipation des femmes, celles de Tejal Shah, intitulées Hijra Fantasy explorent les désirs des hijras, communauté du troisième sexe en Inde, à laquelle s’est aussi intéressé le film de Kader Attia, projeté sur trois écrans et où se croisent les regards intimes de trois transsexuelles (Française, Algérienne et Indienne). L’artiste Bharti Kher, née à Londres mais qui vit et travaille à New Dehli revisite le temps de l’exposition la Galerie des Glaces de Versailles, en utilisant des miroirs anciens, brisés à coups de marteau, faisant ainsi apparaître sur la surface un jeu de distorsions puis y applique des centaines de bindis, ces petites marques rondes qui évoquent le troisième œil.
Les artistes s’inspirent très souvent de l’artisanat pour nourrir leur œuvre. Ainsi en est-il de Sakshi Gupta, qui conçoit un tapis richement orné de pièces d’automobiles, Freedom is everything (2007). Quant à Sheela Gowda, son œuvre Gallant Hearts (1996), des guirlandes de bouses de vache en forme de cœurs, enduites de pigments, est sa manière à elle de dénoncer la violence infligée aux femmes dans la société indienne, en détournant des matériaux de quotidien. L’installation de Leandro Erlich, Le regard (2011) qui reconstitue une chambre bourgeoise parisienne, nous plonge simultanément à travers deux fenêtres dans l’univers de Paris et de Bombay, faisant du spectateur un voyeur.
Si l’exposition évoque les couleurs, les odeurs de l’Inde, les sons entendus dans un village de verrier ont inspiré Jean-Michel Othoniel, qui a réalisé une sculpture-instrument d’une grande et magique délicatesse, alors que le collectif Soundwalk accompagne le visiteur durant toute la montée des escalators avec des chants anciens des moines tibétains. Il nous est difficile d’être exhaustif et aucun de ces quarante-sept artistes ne nous laissent indifférent, tant ils expriment avec force et poésie les réalités et les rêves de ce continent, acteur économique majeur et plus grande démocratie au monde.
Régine Kopp

Jusqu’au 19 septembre 2011
www.centrepompidou.fr