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Comédie Française
Paris : “L’Avare “

Coup de théâtre au Français, avec la mise à la retraite forcée de Catherine Hiégel, qui triomphe avec sa mise en scène de L’Avare.

Article mis en ligne le février 2010
dernière modification le 22 février 2010

par Régine KOPP

On ne saurait parler de la nouvelle mise en scène de L’Avare à la Comédie Française, sans évoquer le coup de théâtre qui touche Catherine Hiégel, la doyenne
de la maison, quarante ans de métier, comédienne remarquable mais aussi metteur en scène talentueuse, qui a monté Le Misanthrope, Les Femmes savantes, Georges Dandin et triomphe en ce moment avec sa nouvelle mise en scène de L’Avare.
En effet, le 6 décembre, la doyenne de la troupe s’est vue signifier sa mise à la retraite forcée !

Sa faute aurait été de cultiver trop de proximité avec l’administrateur, et le fameux comité réunissant six membres de la troupe, élus chaque année par leurs pairs, a frappé fort, en prononçant sa disgrâce. Avec cette éviction de la Comédie Française de Catherine Hiégel, c’est une fois de plus l’institution qui est pointée du doigt. Car, même si elle est très privilégiée par rapport à d’autres institutions théâtrales, elle est dirigée selon un particularisme très français qui mélange monarchie, républicanisme et autogestion. La doyenne quittera donc la maison à la fin de la saison mais en attendant, sa nouvelle mise en scène de Molière régale le public et ses fans pourront encore la retrouver en tant que comédienne dans Les Oiseaux d’Aristophane et Mystère bouffe de Dario Fo.

Eternels auteurs, éphémères metteurs en scène
Pour cette nouvelle interprétation d’Harpagon, Catherine Hiégel s’appuie sur de jeunes et pétillants comédiens, avec un poids lourd pour le rôle-titre, puisque c’est Denis Podalydès qui apporte une vision originale du personnage. « Partir de ce grand artiste qu’est Podalydès, de sa folie », c’est ce qui intéressant, dit la metteuse en scène. Il tranche de par sa jeunesse et bien que la pièce le présente comme veuf d’âge mûr, l’idée n’est pas de nous montrer un vieillard souffreteux : « Partir de l’âge n’est pas très intéressant », dit-elle. Et d’ajouter « Harpagon court, rit, danse. Il fête son argent ! ».

Catherine Hiégel
© DR

Harpagon est un obsessionnel, qui se laisse dévorer par un désir paroxystique de posséder l’argent mais se montre bien incapable d’en jouir. Il lui sacrifie tout, ses enfants et ses domestiques, sa maison, sa réputation et sa santé. Christian Gasc, qui a conçu les costumes, inspirés par la peinture flamande du XVII° siècle, a imaginé pour Harpagon un costume noir étriqué à l’extrême, qui le fait ressembler à un insecte, qui gesticule, bondit, virevolte. Podalydès donne au personnage la nervosité et l’agilité d’un arlequin, qui court dans tous les sens, montant et descendant l’escalier monumental qui est au centre du dispositif scénique, un entresol d’un hôtel particulier XVII° siècle. L’idée de l’escalier, placé au centre du plateau, permet des mouvements dramatiques variés et organise parfaitement l’action, car en haut de l’escalier, une porte donne sur les appartements, en bas sur les cuisines et l’extérieur. Côté jardin, une grande fenêtre fermée par des barreaux intérieurs crée une image d’enfermement, d’animal en cage, qui nous rappelle combien l’argent peut rendre fou et que cette passion maladive vous emprisonne.
Catherine Hiégel analyse avec précision cette cupidité d’Harpagon et ses conséquences, dont la moindre n’est pas celle qui contraint les enfants à mentir, pour arriver à leurs fins. Faut-lui lui reprocher d’avoir trop construit le personnage d’Harpagon autour d’une dimension plus comique que tragique et d’avoir escamoté la part de folie et de névrose ? Laissons le spectateur libre d’en juger.
Si remarquable et inventif que soit le jeu de Denis Podalydès, on ne saurait oublier le reste de la distribution, exceptionnelle et talentueuse, qui l’entoure : les jeunes amoureux, Cléante (Benjamin Jungers), Valère (Stéphane Varupenne), Elise (Suliane Brahim), Marianne (Marie-Sophie Ferdane), mais aussi l’excellent La Flèche (Pierre Louis-Calixte) et surtout Dominique Constanza qui ne joue pas Frosine en coquette mais en manipulatrice ingénieuse, au-dessus de la mêlée.
Dans notre monde régi par la frénésie financière, cette œuvre, jouée délibérément dans le goût de l’époque, explose d’actualité et Catherine Hiégel est persuadée qu’elle est « idéale pour déclencher un rire libérateur, sur l’amoralité de l’argent ».

Régine Kopp

Salle Richelieu jusqu’au 21 février (loc. 01 44 58 15 15)