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Chronique des concerts parisiens No. 224
Paris : Honneur aux Doyens

En mai, hommage à Pierre Boulez.

Article mis en ligne le juillet 2010
dernière modification le 20 août 2010

par Christophe IMPERIALI

L’événement médiatique des salles de concert parisiennes, ce mois de mai, a sans doute été ce double concert d’hommage à Pierre Boulez, à l’occasion de ses 85 ans. Pendant deux longues soirées, la salle Pleyel a accueilli les forces cumulées de l’Orchestre de Paris et de l’Ensemble Intercontemporain pour retracer le parcours musical de cette icône vivante de la modernité musicale.

Sous le titre « un certain parcours », le programme se déclinait en quatre temps : un premier concert était consacré aux œuvres de la première moitié du XXe siècle affectionnées par Boulez. Dans une alternance de parties orchestrales dirigées par le maestro et de parties chambristes dispensées, de part et d’autre du plateau, par les excellents solistes de l’Ensemble Intercontemporain, cette première partie de « parcours » était à la fois attendue par ceux qui connaissent les prédilections de Boulez, et un peu déroutante par le caractère de collage hétérogène qui résultait d’une succession de mouvements isolés, parfois même partiels. Et puis, après une pause, ceux qui ne s’étaient pas enfuis par crainte de manquer le dernier RER pouvaient assister à un « essai de portrait » de Pierre Boulez. Celui-ci s’entretenait, sur la scène, avec Jean-Pierre Derrien, dans les interstices d’un portrait facétieusement concocté par quelques musiciens de l’Orchestre de Paris.

Ensemble Intercontemporain

Cela, c’était le 27 mai – et le lendemain, rebelote pour la suite du « parcours » : les deux ensembles instrumentaux alternaient à nouveau, mais avec moins de souplesse, et les longs temps d’attente nécessaires à préparer le plateau pour chaque nouveau morceau a mis la patience du public à rude épreuve. Après une partie consacrée à la génération des « trente glorieuses », c’est-à-dire surtout aux compositeurs gravitant autour de l’école de Darmstadt, ce concert-marathon de plus de trois heures s’achevait par trois pièces contemporaines, sous l’intitulé « et maintenant ? » – une question qui, pour être franc, n’était peut-être pas qu’une question rhétorique, tant il est vrai qu’on pouvait, en sortant de là, se demander à quoi pouvait bien mener la course effrénée des avant-gardes... Non que la qualité soit absente des pièces égrenées, mais il n’en reste pas moins qu’on peut ne pas être du même avis que Boulez lorsqu’il affirmait, au micro de Jean-Pierre Derrien, que les seuls compositeurs qu’il admire sont ceux qui ont transformé l’histoire de la musique. L’histoire ne vit-elle vraiment que de révolutions successives ?

Staatskapelle de Dresde

Par exemple, le Rosenkavalier de Richard Strauss est-il inadmissible, pour avoir été composée en 1910, marquant un grand pas « en arrière » par rapport aux audaces iconoclastes de Salome ou d’Elektra ?
Voilà en tous cas une question qui ne s’est pas posée lors du concert dirigé par Georges Prêtre, à la tête de la somptueuse Staatskapelle de Dresde, au Théâtre des Champs-Elysées le 17 mai. La première partie permettait d’entendre successivement une « danse des sept voiles » de Salome étonnamment décantée, puis des extraits symphoniques du Rosenkavalier, et le sublime trio final de cet opéra, fort bien chanté par Genia Kühmeier (Sophie), Anne Schwanewilms (la Maréchale) et Bernarda Fink (Octavian). Du haut de ses quatre-vingt six ans, Georges Prêtre dirigeait tout cela par cœur, regagnant la coulisse d’un pas alerte, sous les applaudissement nourris d’un public qui lui est tout acquis. Mais indubitablement, c’est aussi l’orchestre que le public applaudissait, et il y avait de quoi ! Quelle merveille que les timbres fruités et savoureux des vents, que la généreuse ampleur des cordes, que la chair ferme et moelleuse des timbales ! Assurément, la Staatskapelle de Dresde fait partie des plus beaux orchestres que l’on puisse entendre, et il est admirable qu’il conserve une identité sonore si forte à une heure où les ensembles de niveau international ont tendance à perdre leurs spécificités.

Anne Schwanewilms

Cet instrument merveilleux a produit quelques moments inoubliables dans la seconde partie du concert : une Symphonie Eroïca de Beethoven impressionnante d’équilibre, de justesse de ton et de richesse de couleurs. La marche funèbre, en particulier, était un pur moment de grâce, non par une lecture particulière, mais par la simple évidence d’une musique qui coule naturellement des archets les plus musicaux qui soient. Si cet orchestre passe dans vos parages, ou vous dans les siens, n’hésitez pas à aller lui prêter l’oreille !

Christophe Imperiali