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Théâtre de la Madeleine
Paris : “Fin de partie“ de Becket
Article mis en ligne le 1er juin 2011
dernière modification le 8 décembre 2014

par Régine KOPP

Créée en 1957, quatre ans après En attendant Godot, la pièce de Samuel Beckett (1906-1989) est devenue un grand classique et a été interprétée par plusieurs générations de grands acteurs français, de Georges Blin à Michel Bouquet, en passant par Pierre Dux, qui a d’ailleurs fait entrer En attendant Godot au répertoire de la Comédie Française.

Un jeu cruel et drôle sur la condition humaine
C’est aujourd’hui Alain Françon, metteur en scène inspiré et sensible, défenseur du répertoire contemporain, qui monte pour la première fois cette œuvre forte, très désespérée mais pleine d’humour, en s’appuyant sur un quatuor d’acteurs qui ont roulé leur bosse et possèdent par conséquent le métier pour incarner ces personnages, qu’il faut jouer sans psychologie.
Au lever de rideau règne un long silence et le spectateur découvre ce refuge, une pièce, entourée de murs hauts, aux tonalités grises (pouvant évoquer l’univers des œuvres d’Anselm Kiefer), ayant seulement deux lucarnes – l’une avec vue sur la terre, l’autre en face donnant sur la mer – et une porte s’ouvrant sur la cuisine. Il y a aussi au milieu de la pièce, la chaise roulante (et non un fauteuil) dans laquelle est cloué Hamm (Serge Merlin), aveugle et paralysé, recouvert d’un drap blanc, et à l’avant de la scène deux poubelles, où sont enfermés ses parents Nagg et Nell (Michel Robin et Isabelle Sadoyan) devenus culs-de-jatte, à la suite d’un accident, et qui apparaissent par intermittence.

Subtil mélange
C’est dans ce décor, voulu très précisément par Beckett, que va se jouer ce jeu cruel et tragique mais aussi comique, un mélange subtil qui est l’essence même du théâtre de Beckett. Après d’interminables minutes de silence, entre alors Clov (Jean-Quentin Châtelain), l’échine courbée et se déhanchant, aux allures presqu’animal, qui va enlever le drap recouvrant Hamm. « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. Les grains s’ajoutent aux grains, un à un et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas », dit Clov, dans sa première réplique, alors que la pièce n’a pas encore commencé. Mais, comme le dira Clov un peu plus tard au cours de la pièce, « la fin est dans le commencement et cependant on continue ». La partie de ping-pong verbal peut donc commencer entre Hamm le maître, et Clov son domestique, ne s’achevant qu’à la fin de la pièce, lorsque Clov, qui passe son temps à annoncer son départ, se retrouve prêt à partir, valise à la main mais restera figé, incapable de quitter sa condition.

Attendre la mort
Pour le comédien interprétant Hamm, qui ne peut se lever de sa chaise roulante et qui n’a que sa voix et ses mains pour faire vivre son personnage, c’est bien sûr un rôle difficile, qui demande des ressources gestuelles et vocales exceptionnelles. Serge Merlin semble s’en accommoder sans trop de mal, se montrant surtout dominateur et autoritaire dans ses rapports avec Clov, car il n’y a aucune place pour la tendresse, toute tentative d’être parfois plus attachant avec Clov, échouant lamentablement. Avec ses parents, merveilleux Michel Robin et Isabelle Sadoyan, en petites choses dont la vie se retire petit à petit et qui peuvent encore trouver l’occasion de rire, Hamm entretient des rapports de haine, les traitant de fornicateur et leur reprochant d’être né. Au milieu de tous ces personnages condamnés à attendre la mort, il y Clov qui peut bouger mais doit obéir aux injonctions de son maître, histoire de le divertir et d’oublier la fin tragique. Mais Clov, tel que le joue avec une stupéfiante virtuosité Jean-Quentin Châtelain, divertit aussi le spectateur. Que ce soit la scène où il cherche à attraper la puce qui s’est glissée dans son pantalon, dont il fait un numéro clownesque de haut vol, où la scène des va-et-vient d’une fenêtre à l’autre, où il monte et descend sans cesse de l’escabeau, à la manière d’un clown qui rate ses coups, l’acteur déclenche les rires du public ; des lazzis auxquels tenait beaucoup l’auteur.
Jean-Quentin Châtelain utilise également son accent suisse –à moins que ce ne soit involontaire ! - ce qui amuse le public parisien mais convient aussi parfaitement à son personnage en lui donnant une dimension ironique supplémentaire. « Cessons de jouer », dit Hamm qui n’a plus rien à espérer, puisque mêm la boîte de calmants est vide. Il est temps que le jeu se termine et que le spectateur puisse quitter ce huis clos infernal, non sans méditer encore longtemps sur cette fable métaphysique, et à laquelle la mise en scène d’Alain Françon apporte une nouvelle jeunesse.

Régine Kopp

Jusqu’au 17 juillet 2011
www.theatremadeleine.com/fnac.com