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A la Cinémathèque française - Paris
Paris : Exposition Kubrick

Hommage à un cinéaste d’exception

Article mis en ligne le 2 mai 2011
dernière modification le 2 juin 2013

par Frank DAYEN

C’est l’expo du moment. On ne queute pas devant la rétrospective d’Odilon Redon au Grand Palais, ni devant l’expo Cranach au Luxembourg, du Mirò sculpteur chez Maillol ou devant le voyage d’Hugo Pratt. Non, c’est décidément devant la Cinémathèque française qu’à Paris les visiteurs se pressent.

Attirés par les images des films de Stanley Kubrick, espérant percer les intentions du maître dans ses projections fantasmatiques d’A Clockwork Orange, de 2001, a Space Odyssey ou de The Shining, les fans curieux peuvent découvrir le parcours cinématographique de l’auteur décédé en 1999, juste après avoir bouclé Eyes wide shut, mais avant d’avoir pu réaliser la grand œuvre de sa vie, Napoleon. Par ici la visite guidée.

Le parcours de l’expo suit, chronologiquement, la production kubrickienne et l’audio-guide est d’un bon soutien pour replacer ses films dans leur contexte bio-historiques, politiques ou culturels.
Ainsi est-il effectivement intéressant de rappeler que sa première œuvre de fiction, The Day of the fight a été réalisée avec trois bouts de ficelle, et comporte déjà le style caractéristique du cinéma kubrickien (un aspect froid et une précision documentaires, l’obsession du meilleur cadre, la parti-pris d’une variation signifiante des prises de vue et du cadrage, un don du suspense et de la prise à parti des spectateurs…).
Plus anecdotique, l’information muséographique selon laquelle Paths of Glory (1957) ont été censurés en Suisse – comme dans d’autres pays - sous prétexte qu’ils critiquaient l’armée. Un comble pour un pays neutre !

Filmographie scandaleuse
L’expo met aussi en évidence les réactions à la sortie de Dr Strangelove, or how I came to love the bomb (1963) : de la lettre de félicitations du réalisateur Joseph Losey à celle, fâchée, d’un gradé de l’armée, en passant par cette autre d’un historien de l’art, qui a justement repéré – il est le seul, selon la lettre de réponse de Kubrick – la "structure sexuelle" de son film. A propos du Dr Strangelove, il ne faut pas rater les photos, par Weegee, de la bataille générale de tartes à la crème dans la salle des opérations militaires, seuls témoignages désopilants d’une scène finalement coupée au montage. Kubrick redoutait que les spectateurs prennent le film pour une simple farce.
Enième polémique kubrickienne, celle, anticipée, soulevée par son adaptation du roman de Nabokov Lolita (1962). Au lieu de la morale (les lettres censeures d’associations religieuses), le visiteur du musée préférera l’art et se jettera donc sur la loupe permettant d’apprécier les minuscules clichés en couleur de l’actrice Sue Lyon – tout juste 16 ans à l’époque – pris par Bert Stern, d’une puissance sensuelle rare.
Enfin, l’expo n’oublie pas que le violent Clockwork Orange, film-culte des ados d’aujourd’hui, a remporté un succès public dès sa sortie en 1972, ni que Kubrick, dont la famille a fait l’objet de lettres anonymes menaçantes, a pris lui-même la décision de retirer son film des salles britanniques jusqu’en 2000. En outre, le visiteur ne manquera pas cette reproduction d’une planche du magazine BD "MAD" intitulée A Clockwork Lemon, parodiant le film en tenant compte des critiques que l’œuvre, justement, critique.

L’œil Kubrick, entre optique et scientifique
Côté technique, l’expo n’est pas avare en explications, surtout à propos de 2001 (la centrifugeuse, le slit-scan, la projection frontale et le fameux Zeiss F0,7, objectif photographique que la NASA a prêté à Kubrick pour mettre en lumière Barry Lyndon à la bougie).
Autres objets cultes en vitrines : un mon
olithe et une maquette du vaisseau de 2001 suspendus, les décors (recréés) du Korova Milk Bar des vilains droogies, la maquette du labyrinthe de Shining et la machine qui servit à écrire indéfiniment All work and no play make Jack a dull boy, ainsi qu’une vingtaine de masques d’Eyes Wide Shut… Surtout, le visiteur fétichiste s’étonnera devant la masse ahurissante de documents collectés par Kubrick sur Napoléon, son époque, ses modes et les batailles de cette période.
Seul bémol de cette expo très complète, il manque le dyptique photographique qui a fait engager Kubrick au début de sa carrière par le magazine Look : celle d’un singe dans un zoo qui regarde un visiteur, apposée à celle d’un homme qui regarde le singe. Ç’aurait été la mise en abyme parfaite d’une expo consacrée à Kubrick. Heureusement que ne manque pas son autre cliché le plus célèbre, celui qui montre la mine dépitée d’un kiosquier sur la manchette d’un journal titrant la mort de Roosevelt.
Enfin, malgré toute cette profusion d’explications généreusement dispensées par l’exposition, le mystère Kubrick reste entier sur le propos de ses films. Ouf !

Frank Dayen

Exposition Stanley Kubrick à la Cinémathèque française, Rue de Bercy, du 23 mars au 31 juillet ; www.cinematheque.fr

Rétrospective amputée


A côté de l’exposition consacrée au grand maître, la Cinémathèque organise conférences et projections à son sujet. Nous regrettons pour notre part que le premier long-métrage de Kubrick (Fear and Desire) ne soit toujours pas montré. La Cinémathèque, comme Berlin, Rome et Zurich, qui avaient accueilli la même exposition, a décidé de respecter les vœux de son auteur, qui renia cette œuvre trop présomptueuse à son goût. Si l’on devait respecter ces vœux d’artistes, que connaîtrions-nous de Kafka ? "On peut violer l’histoire, à condition de lui donner de beaux bébés", disait un négrier célèbre.