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Sur les scènes parisiennes
Paris : Comédie Française, “Le Mariage de Figaro“ & Théâtre Marigny, “La vie devant soi“
Article mis en ligne le décembre 2007
dernière modification le 6 décembre 2007

par Régine KOPP

Pièce novatrice renouvelant l’art dramatique, Le Mariage de Figaro de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais est aujourd’hui presque plus connu dans sa version lyrique que dramatique. Il s’agit cependant de la plus célèbre pièce de l’auteur, écrite en 1781 mais frappée par la
censure, et qui ne sera représentée qu’en 1784.

En effet, il suffit d’entendre Figaro à l’acte V fustiger cette société de nobles, pour comprendre l’interdiction du roi Louis XVI de faire jouer la pièce : « Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier, qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus ! » Beaumarchais s’étonnait toutefois de la polémique déclenchée par cette comédie, conçue comme une suite à la vie de Figaro, qui avait apparu en 1775 dans Le Barbier de Séville. Voilà les même réunis, trois ans plus tard, pour le mariage de Figaro, valet du comte Almaviva, et de Suzanne, camériste de Rosine devenue comtesse. Dans une comédie sentimentale, imprégnée d’une atmosphère chatoyante et sensuelle, où les désirs les plus fous se donnent libre cours. Mais cette comédie est aussi une pièce politique qui aborde les questions sociales, notamment celles de la condition féminine et des rapports dominants et dominés.

Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, avec Anne Kessler, Laurent Stocker et Michel Vuillermoz. Photo Cosimo Mirco Magliocca

Une folle journée pour un mariage heureux
Telle est la lecture faite par le metteur en scène Christophe Rauck qui y voit la modernité de la pièce. Ce qui le séduit « c’est cette fresque qui entremêle plusieurs histoires et dépeint un groupe social… Beaumarchais nous interroge autant sur les relations sociales que sur les rapports les plus intimes, les relations de couple notamment. Ce qui est dit à travers la langue qu’utilise Beaumarchais est autrement plus profond qu’un étendard politique… ».
Pour mener à bien son projet, il s’est entouré d’une équipe efficace : Aurélie Thomas à la scénographie, Marion Legrand aux costumes et Arthur Besson à la musique. L’idée essentielle étant de créer un espace intemporel et non d’inscrire ce mariage dans le XVIII° siècle, évoqué seulement de manière suggestive. « J’ai voulu proposer au public un voyage à travers différents lieux et époques. Le décor reste très ouvert. Il doit permettre aux acteurs de trouver des appuis qui les aident à circuler librement sur le plateau et qui s’intègrent naturellement à leur jeu ». Christophe Rauck est un ancien comédien du Théâtre du Soleil et sa démarche artistique est nourrie de ce compagnonnage. Il insuffle à cette folle journée un vent de liberté, un rythme, une vivacité qu’il transmet au jeu des comédiens. Ce qui a fait dire à certains esprits chagrins qu’il ne garde que l’intrigue vaudevillesque, au détriment de la critique sociale et politique. Mais c’est justement la subtilité de son travail, tout en souplesse et ingéniosité, de ne pas avoir imposé une signification particulière mais de les montrer toutes. Malgré quelques gags de metteur en scène un peu trop faciles voir saugrenus, et même si les comédiens sont en costumes du XIX° siècle, le spectacle qui prend la forme d’un théâtre d’images ne perd rien de sa virulence ni de sa force. Dans cette folle journée où s’entrecroisent les situations et s’entremêlent les sentiments, tout s’enchaîne pourtant avec virtuosité. L’engagement d’une troupe débordant d’énergie et de fraîcheur fait le reste. Que ce soit Laurent Stocker en Figaro qu’il joue en diablotin roué et insolent, ou Michel Vuillermoz qui nous donne un comte plus humain qu’autoritaire, Elsa Lepoivre en comtesse pleine de grâce et d’élégance mais aussi Anne Kessler qui apporte beaucoup de malice et d’agileté à Suzanne, ils créent tous un spectacle plein de légèreté et d’intelligence.

Théâtre Marigny : La vie devant soi
On se souvient de la supercherie géniale qui avait valu à son auteur Emile Ajar, alias Romain Gary, le prix Goncourt en 1975. Le livre a fait le tour du monde et un film en a été tiré avec succès en 1978 avec Simone Signoret. C’est dire le pari difficile d’écrire une version scénique à partir de ce livre bouleversant et drôle. L’auteur de cette adaptation s’appelle Xavier Jaillard qui nous livre une petite merveille scénique, subtile et intelligente, fidèle à l’histoire du livre. Une histoire d’amour filial entre madame Rosa, une vieille juive, ancienne prostituée, rescapée des camps et Momo, un jeune arabe abandonné chez elle. Ils partagent leurs joies et leurs peurs, « avec les mots simples de pauvres gens, le bon sens, le cœur gros de ceux qui ne peuvent pas s’abriter derrière le faux semblant de la culture.. ». Deux autres personnages interviendront : le Dr Katz et le père de Momo.
La mise en scène, signée avec beaucoup de retenue par Didier Long, évite l’écueil majeur qui aurait été de tomber dans le pathos. Le mérite en revient aussi aux deux rôles titres, confiés à des comédiens exceptionnels, lauréats de nombreux prix et récompenses. Myriam Boyer en Madame Rosa est débordante d’humanité, déchirante dans sa souffrance et rayonnante dans sa présence. Aymen Saïdi qui incarne Momo est plein de ressources, vrai et touchant. Plus la santé de Madame Rosa se détériore, plus les liens entre elle et Momo se renforcent et plus ces deux comédiens deviennent attachants. Aux décors habilement conçus, car ils permettent des changements de lieux sans interrompre le déroulement de l’action, s’ajoutent de belles lumières et une musique aux accents nostalgiques. Voilà un spectacle qui non seulement fera aimer le théâtre à toutes les générations confondues, mais est surtout une leçon de tolérance, qui vaut mieux que tous les discours politiques.

Régine Kopp