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Sur les scènes parisiennes
Paris : Chronique des concerts No. 230

Certains musiciens récoltent des louanges, mais d’autres réservent quelques déceptions...

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 5 mars 2011

par David VERDIER

Le concert a ceci de particulier qu’il réalise chaque soir - et de façon différente - l’éternelle équation entre confirmations, découvertes et déceptions.

Daniele Gatti fait partie de ces chefs capables tout à la fois de modifier le son d’un orchestre et pousser les instrumentistes à donner le meilleur d’eux-mêmes, y compris dans des partitions aussi périlleuses que la 6e symphonie de Gustav Mahler. A mi-parcours de son intégrale, le milanais possède tous les atouts pour réussir son pari. Les lignes musicales sont portées à incandescence, sans lyrisme superflu mais avec une tension toujours renouvelée. Ce Mahler-là est un des meilleurs entendu à ce jour, surtout à l’aune de la déferlante plus ou moins heureuse qui touche la plupart des salles cette année. Ajoutons à ces louanges la qualité des Rückertlieder donnés en ouverture par un Matthias Goerne, pourtant annoncé souffrant.

Daniele Gatti

Univers lointains
Pour se convaincre de la qualité du travail de Daniele Gatti, il suffisait de changer de salle pour "subir" l’improbable Vladimir Jurowski à la tête du non moins improbable Orchestra of the Age of the Enlightment dans un Totenfeier et des Lieder eines fahrenden Gesellen, tout juste sauvés du naufrage par la mezzo Sarah Connolly. Des œuvres aussi singulières que les préludes (celui de Parsifal et le poème symphonique éponyme de Franz Liszt) se prêtent difficilement à des instruments montés en boyaux et des vents d’une justesse aléatoire. Le même Jurowski eut tout de même l’occasion de se distinguer avec un tout autre effectif, celui de la Staatskapelle de Dresde, dans une 4e symphonie de Chostakovitch à fleur de nerfs mais sans couleurs. En première partie, le spectacle était assuré par le violoniste Sergej Krylov qui réussit l’exploit de transformer l’inusable concerto de Tchaikovski en un inédit et kitchissime Tiel Eulenspiegel… à oublier rapidement.

Beaucoup plus inspiré, et toujours au Théâtre des Champs-Elysées, Youri Temirkanov proposait un programme "grand style", en compagnie de l’orchestre Philharmonique de Saint-Peterbourg et le pianiste Nelson Freire pour deux soirées Brahms-Schumann. L’orchestre offre un Brahms "à l’ancienne", assez tendu dans sa carrure rythmique et peu assuré côté cuivres. Les quelques approximations du concerto de Schumann auraient pu faire rapidement basculer la première soirée, mais les deux protagonistes finirent par trouver un terrain d’entente. Les choses étaient beaucoup mieux assurées le lendemain pour un 2e de Brahms tout en sensualité et nostalgie. Les bis de Nelson Freire, (respectivement opus 118 n°2 et 117 n°2) résonnèrent longtemps à notre oreille – échos prometteurs d’un futur enregistrement ?

Youri Temirkanov
© Sasha Gusov

On attendait beaucoup du deuxième passage d’Andris Nelsons sur une scène parisienne. A la tête de son City of Birmingham Symphony Orchestra, il offrit un programme construit autour d’une variation tripartite de la figure du héros : romantique (Egmont), politique (Chostakovitch) et "anti-héros" (Strauss). La battue est très énergique, d’une énergie plastique, des appuis très toniques, jouant sur le rebond legato des archets – c’est clair, roboratif mais jamais analytique. Quel saisissant contraste avec le bis donné par Christian Thielemann avec les Wiener Philharmoniker en novembre dernier !… Le jeu démonstratif et très sonore de Gautier Capuçon peine à se fondre avec l’orchestre dans le Chostakovitch. Les péroraisons très "slaves" expriment un lyrisme appuyé qui écrase certains détails dans l’arrière-fond orchestral. En deuxième partie, Andris Nelsons balaie cette mièvrerie d’un revers de main, en laissant éclater Une Vie de Héros dans laquelle les pupitres de vents piaillent délicieusement, sous les fracas implacables de la caisse claire et la pyrotechnie des cymbales. La conclusion est superbe, subtilement déployée sur un tapis de notes tenues, avec des diaprures de timbres inouïes. La marque de ce jeune chef, c’est cette approche finalement plus picturale et hédoniste que cérébrale et métaphysique.

Des nuages dans ce ciel si bleu ? Il sont venus à plusieurs reprises, à commencer par le peu inspiré Zubin Mehta à la tête de l’Orchestre du Mai musical florentin. Une Shéhérazade de Rimski Korsakov engluée dans son sucre féérique et une 1ère de Brahms cherchant vainement l’effet et la massification granitique des lignes… Marc Albrecht ensuite, dans un programme Brahms/Schoenberg pourtant prometteur. Le double concerto de Brahms n’eut qu’un mérite, celui de révéler au public le talent de la jeune Marie-Elisabeth Hecker. Celui de Carolin Widmann n’est plus à démontrer, même si Brahms ne semble pas lui convenir avec le même succès que le répertoire contemporain. Dans un tout autre registre, le pianiste Arcadi Volodos proposa un bien morne récital romantique Schumann-Schubert-Chopin, loin de la veine lisztienne qui lui réussit si bien. Le choix d’un tempo précautionneux combiné à une couleur de clavier très uniforme donna l’impression que l’écriture musicale se réduisait à un robinet de notes.

Rien d’ennuyeux en revanche dans le Beethoven de Bernard Haitink, salle Pleyel, pour une série de concerts à la tête du Chamber Orchestra of Europe. Il semblerait même que le contact avec la jeune phalange vivifie l’inspiration du chef néerlandais dans des œuvres qu’il ne cesse de revisiter. L’ouverture de Fidelio bénéficie du soutien des cors naturels et peu importent, çà et là, quelques dérapages. La musique se régénère à la lumière d’une somptueuse agogique. La cinquième vole de victoire en victoire, tandis que l’Eroica arrache le public son fauteuil, debout comme un seul homme à la fin du concert dans une suite ininterrompue d’applaudissements.

Susanna Mälkki

Succès garanti également pour le Sacre du Printemps interprété par les jeunes musiciens du conservatoire de Paris menés d’une main de maître par Susanna Mälkki. Certes, elle tire l’œuvre davantage vers l’orchestre que vers la chorégraphie. On imagine mal en effet, la troupe de Maurice Béjart, ou plus récemment Pina Bausch, répondant à la puissance de l’élément orchestral déployée ce soir-là dans la grande salle de la cité de la musique. Loin de déplaire, cette interprétation propose un paganisme moins soucieux d’amoralité que d’effet esthétique. Une forme de barbarie contrôlée, donc – une interprétation nettement plus virtuose que viscérale. Un concert à marquer d’une pierre blanche grâce également à la pièce du compositeur allemand Enno Poppe "Markt", variation de modes de jeu jouant sur l’émergence d’éléments ductiles et chatoyants. On goûte au passage ces irisations de la trompette bouchée et l’exotique mélopée en quarts de tons du violon solo. Ces amalgames vibrionnants de microstructures harmoniquement très riches et complexes sollicite l’intellect et permet une écoute en continu par un jeu subtil d’apparition-disparition.

David Verdier