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Sur les scènes parisiennes
Paris : Chronique des concerts No. 228

Evénement à Paris en octobre.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 24 janvier 2011

par David VERDIER

Ce mois d’octobre restera durablement dans les mémoires grâce à la prestation de Claudio Abbado à la tête de "son" orchestre de Lucerne qui fixa sur la scène de la salle Pleyel un niveau d’interprétation jamais atteint à Paris depuis plusieurs années.

Paysages sonores
Rarement orchestre n’aura sonné avec plus de cohésion. On reste admiratif devant la synchronisation parfaite des archets, l’engagement physique des interprètes à produire un son riche et chatoyant. Que pèsent ces légers signes de faiblesse au détour de l’andante comodo ? Ces décalages dans un rondo-burleske par ailleurs porté à incandescence ? La battue est, certes, plus intuitive que purement intellectuelle. Le chef italien nous offre un inoubliable Adagio final qui porte la musique au seuil d’un impressionnant corridor de trois minutes de silence. Il nous semble que les secondes sont des siècles avant qu’au premier bravo, la salle n’éclate en applaudissements ininterrompus, comme pour se libérer du choc qu’elle vient de subir.

Claudio Abbado
© Kasskara / DG

Restons sur les cimes avec le premier volet de l’intégrale Beethoven donnée par le quatuor Artemis dans la série des concerts du dimanche matin au Théâtre des Champs Elysées. Ce jeune ensemble demeure au sommet de son art malgré plusieurs changements d’effectif. Les tempi sont d’une variété et d’un à-propos confondant, ne donnant jamais dans la sensiblerie mais réussissant à faire redécouvrir des pages que l’on pensait connaître par cœur. L’héritage baroque est présent en filigrane, notamment dans les coups d’archets et la façon qu’a le premier violon de "diriger" les attaques. L’adagio de l’opus 132 est littéralement bouleversant, au-delà de toute comparaison avec une quelconque version enregistrée de cette œuvre.

Succédant à Daniele Gatti dans un programme Schumann à la tête du National de France, Kurt Masur proposait un programme Schumann avenue Montaigne, avec un Daniel Müller-Schott assez décevant dans le concerto pour violoncelle. Le jeune soliste alterne attaques en glissandi et raideurs de vibrato, sans jamais convaincre réellement. Le geste du chef se limite désormais à des intentions, certes louables, mais plus vraiment suivies d’une réalisation musicale par l’orchestre. Le travail de Gatti se retrouve inconsciemment dans l’interprétation (au fond, qui pourrait s’en plaindre ?).

Remplaçant au pied levé un Mikko Franck souffrant, ce fut le jeune lauréat du concours de direction d’orchestre de Besançon, Kazuki Yamada que découvrit le public de la salle Pleyel à la direction de l’orchestre de Paris. La première partie proposait un beau Debussy (Petite Suite), malgré la triste version pour orchestre d’Henri Büsser ainsi que le concerto pour la main gauche de Ravel marqué par une interprétation étrangement heurtée et extérieure de Jean-Frédéric Neuburger. Pour conclure, une quatrième de Tchaïkovski très brillante, ne reculant jamais devant une battue frénétique et enlevée.

Pierre-Laurent Aimard
Photo Peter Fischli

On se prendrait à regretter la décision d’Alfred Brendel de se retirer de la scène tant ses talents de poète nous plongent dans la circonspection la plus totale, à moins d’apprécier un certain surréalisme suranné et vieillot. Les poèmes étaient entrelacés de courtes études de Ligeti qui donnent l’occasion à Pierre Laurent Aimard d’apparaître en improbable mime improvisateur. Dissipant nos doutes, ce fut quelques jours plus tard un Liszt d’une gravité magnifique (Les Années de Pèlerinage) qu’il offrit dans un programme très habilement conçu à la manière d’un voyage imaginaire dans des paysages aussi variés que le catalogue d’oiseaux de Messiaen ou la rare Nénie de Bartok .

Excellent surprise également, celle de découvrir les talents de direction du violoniste Thomas Zehetmair à la tête de l’ensemble orchestral de Paris. Son Haydn (symphonie N°99) nous transporte par la vitalité des tempi ; dans le 21e concerto de Mozart K467, le geste affirmé dessine une interprétation de haut vol, accompagnant un Jonathan Bliss en état de grâce.
Mozart toujours et Philippe Herreweghe dirigeant au théâtre des Champs Elysées un très attendu et très prosaïque Requiem… en première partie, la 40e symphonie avait donné le ton : tempo resserré, chant court et chef pressé d’en finir. L’effectif très réduit de l’orchestre des Champs Elysées participe certainement à cette impression de sècheresse généralisée. On peut dire de ce Requiem qu’il n’a pas à rougir d’une quelconque défaillance du quatuor vocal. En revanche, l’ensemble est conduit d’une traite, au ras des notes. Seule récompense : de cette grisaille émerge un Collegium Vocale de Gand admirable de bout en bout.

Daniele Gatti

Autre Requiem, celui de Verdi sous la direction de Daniele Gatti, au Châtelet… Partout ici transpire la théâtralité, jusque dans la baguette fouettant des solistes qui n’en demandaient pas tant pour exprimer leur atavisme pour le jeu scénique (hors norme, la performance d’abattage et de présence scénique de Krassimira Stoyanova).
Plus serein et apaisé, le concert Brahms-Schumann donné par John Elliot Gardiner à Pleyel. On retrouve Thomas Zehetmair aux côtés de Christian Poltéra dans le double concerto de Brahms. Gardiner ne sacrifie pas à la solennité de la pièce mais très vite, le duel des solistes tourne à l’avantage du violoniste, tant le jeu de Poltéra sonne comme effacé et incolore. La 3e symphonie et l’ouverture Manfred sonnent avec une liberté de ton et une couleur orchestrale remarquables, sans les habituelles contraintes liées au jeu sur instruments anciens. Le chef anglais a la bonne idée de proposer en bis l’adagio du trop rare concerto pour violon de Schumann, donnant l’occasion aux deux solistes de la première partie de dialoguer au sommet.

Andris Nelsons

Un bonheur en demi-teinte pour finir : Le premier concert du talentueux chef letton Andris Nelsons avec l’orchestre de Paris, grande salle de la cité de la musique. Le coup de foudre avec les musiciens est palpable ; il peut se permettre un tempo d’une lenteur un rien statique dans des "Métamorphoses" de Richard Strauss dégageant pour le coup une nostalgie inouïe, mordorée. Le concerto K 466 de Mozart est – hélas – défiguré par les minauderies de la jeune Mihaela Ursuleasa, tournant le dos (au sens propre et figuré) à un orchestre pourtant excellent. Retour à Richard Strauss avec un Also sprach zarathustra impressionnant de volume et de clarté, quoique gêné aux entournures par l’acoustique sous-dimensionnée de la salle.

David Verdier