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Paris : Chronique danse No. 231

A propos des ballets Caligula et Femme surnaturelle.

Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 18 avril 2011

par Stéphanie NEGRE

Créé en 2005, Caligula était repris sur la scène du Palais Garnier, par le danseur étoile Nicolas Le Riche. Au Théâtre national de Chaillot, la compagnie new-yorkaise Big Dance Theater proposait Femme surnaturelle, une création librement inspirée d’Alceste d’Euripide.

A l’Opéra de Paris, Caligula


Couronné à 25 ans, assassiné à 29, Caligula laisse dans l’histoire le souvenir d’un despote au règne jalonné de crimes. Lecteur de La vie des 12 Césars de Suétone, le danseur étoile Nicolas Le Riche choisit d’explorer, pour son premier grand ballet, une autre facette de la personnalité de cet empereur romain, celle d’un être à la raison chancelante, fuyant ses responsabilités en se réfugiant dans son amour pour l’art. Créé en 2005, Caligula est repris sur la scène du Palais Garnier du 31 janvier au 24 février 2011.

Au Palais Garnier : « Caligula »
Photo Laurent Philippe

Le ballet est organisé en une suite de scènes présentant chacune un épisode de la vie publique ou privée de l’empereur. Si Nicolas Le Riche n’a pas choisi un mode strictement narratif, chaque scène a pour origine un extrait de la biographie de Suétone. On suit donc les errances mentales d’un homme qui concentre tous les pouvoirs, celui de faire régner la terreur, de se perdre en orgies, de se rêver amant de la lune ou de déifier son cheval ! Entre chaque acte, un interlude met en scène l’apparition de Mnester, mime célèbre adulé par Caligula, tout de blanc vêtu et entouré de trois comparses. La chorégraphie est d’inspiration néo-classique, très précise et raffinée. Les Quatre saisons de Vivaldi collent à merveille aux quatre ans de règne de Caligula. Démarré comme un printemps, avec l’espoir suscité par l’accession au pouvoir d’un monarque jeune et beau, il s’achève en un hiver de terreur psychologique et de violence physique. Lorsque Caligula est assassiné, son esprit n’est plus dans le réel depuis longtemps. La scène de l’assassinat clôt magnifiquement le ballet : frappé à mort par les conspirateurs, l’empereur continue son chemin comme si de rien n’était puis s’effondre avec une expression d’incompréhension. Stéphane Bullion campe avec naturel un mélange d’autorité et d’angoisse, de force et de malaise. Le souverain qu’il interprète n’est pas dans la cruauté gratuite mais dans une sorte d’urgence démente et fascinante. Ses duos avec la lune, dansée par Clairemarie Osta irréelle de grâce, dégagent une émotion étrange et dérangeante. Pourtant, malgré cette interprétation bouleversante, le ballet peine à trouver un rythme d’ensemble.
Est-ce le principe des scènes qui se suivent sans lien direct, donnant un contexte sans conférer la fluidité de la narration ? Est-ce le principe des interludes et l’interprétation fade de Mnester par Nicolas Paul qui créent de véritables ruptures et cassent le rythme de l’œuvre ? Ou bien la réalité historique du héros, si peu attachante, qui fait qu’en dépit de tout le talent de son interprète, on peine à adhérer à l’œuvre.

Au Théâtre national de Chaillot, Femme surnaturelle


Fondé par Annie-B Parson et Paul Lazar, la compagnie new-yorkaise Big Dance Theater mélange depuis vingt ans le théâtre et la danse dans des pièces inspirées d’œuvres de la littérature classique. Dans le cadre du festival Anticodes 11, le Théâtre national de Chaillot accueille, du 3 au 5 mars 2011, Femme surnaturelle, sa dernière création librement inspirée d’Alceste d’Euripide.
Symbole de la femme capable de se sacrifier par amour, Alceste demande à la Mort venue chercher son époux, le roi Admète, de l’emporter à sa place. Après des adieux déchirants, la pièce montre la douleur du roi et ses interrogations sur le sens de la vie quand on a perdu l’être aimé. La fin de la tragédie est inattendue et heureuse car Hercule, touché par la douleur d’Admète, va chercher Alceste au royaume des morts et la ramène parmi les vivants.

Au Théâtre de Chaillot : « Femme surnaturelle »
Photo Christine Rogala

Femme surnaturelle mêle danse et théâtre dans un spectacle parsemé de références au théâtre antique, au cinéma muet ou aux grands ballets du répertoire. En même temps qu’ils jouent, les six acteurs participent à la mise en place des dispositifs scéniques dans un espace en forme de grand cercle qui rappelle la forme de l’arène. Les costumes baroques d’Oana Botez et la musique électronique de David Lang contribuent à déconnecter le spectacle de toutes références historiques mais lui donnent une identité forte, sérieuse et fantasque à la fois, qui renforce le sentiment de cohérence d’ensemble. Les scènes de ballet, chorégraphiées par Annie B Parson sont loin d’être anecdotiques et se substituent au chœur du théâtre antique. Interprétées avec crédibilité par des artistes qui sont avant tout des comédiens, elles sont là pour exprimer un sentiment partagé par les personnages ou pour marquer leur regroupement autour du roi. L’ensemble fonctionne bien. Femme surnaturelle est une œuvre avec une véritable identité artistique qui loin d’être écrasée par l’aspect austère et monumental de la tragédie grecque en propose une adaptation intéressante avec un souffle contemporain.

Stéphanie Nègre