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Centre Pompidou, Paris
Paris, Centre Pompidou : Jacques Villéglé

Jacques Villéglé, célèbre décolleur, est à l’affiche à Beaubourg.

Article mis en ligne le novembre 2008
dernière modification le 9 janvier 2009

par Julien LAMBERT

L’obstination de Jacques Villeglé à décrocher des affiches lacérées durant plus de cinquante ans peut toucher, séduire, lasser. Sur la base de l’exposition consacrée à l’artiste au Centre Pompidou, elle invite surtout à une réflexion sur les potentialités esthétiques et théoriques d’une telle démarche…

Opportuniste ou convaincu ? Le cas Villeglé pose une énigme. Les premières vitrines de l’exposition que le Centre Pompidou consacre à l’artiste jusqu’au 5 janvier, sous-titrée La Comédie urbaine, le montrent nourri, comme tous les plasticiens parisiens de son temps, par les expériences des futuristes, de Miró, Léger ou dada. C’était dans les années 1940.
Les traces de telles influences se laissent pourtant mal discerner. La presque totalité de l’exposition est en effet constituée d’œuvres toutes réalisées selon le même procédé. Durant sa carrière entière, couverte jusqu’aux années 2000, Villeglé aura décroché des affiches lacérées par les passants, superposées, imbriquées en une masse compacte qui dessine aléatoirement d’étranges compositions.
Les articles de presse de l’époque laissent entendre combien juteux s’est très vite avérée la trouvaille, en vogue jusque dans les meilleures familles princières ; les textes critiques tentent en revanche d’expliciter les motivations esthétiques et idéologiques inhérentes à la démarche, tandis que le découpage thématique de l’exposition distingue différentes périodes et tendances. Histoire de mettre de l’ordre dans une production plutôt compacte et déstructurée, par la force des choses.

Potentialités suggestives
Or la différenciation de l’image et des lettres lacérées a-t-elle un sens, étant donné le fait que les amas d’affiches laissent généralement deviner à la fois des bribes d’images et d’écrits et que la lettre même, défigurée et mêlée à d’autres, devient elle-même image ?
L’apparition d’affiches politiques autour de 1968 prend en revanche un sens plus distinct : la véhémence des revendications et des slogans s’avère bien dérisoire une fois ceux-ci dépecés et scellés dans un cadre.
Car même si le choix de certaines productions parmi le foisonnement urbain implique l’intervention de l’artiste, Villeglé lui-même souligne son souci de garder une confiance presque aveugle dans le travail aléatoire des mains anonymes. En cela ses affiches lacérées peuvent revendiquer une véritable abstraction, au contraire des ready made contemporains, qu’il accuse de représenter encore l’objet même qu’ils propulsent dans le champ artistique.
Chez Villeglé aucune figuration volontaire, mais bien l’illustration suggestive et mélancolique non seulement de la sauvagerie urbaine, mais aussi de l’écoulement du temps, qui à chaque nouvelle production fugitive de l’humain efface l’instant passé. Le mérite du flâneur décolleur consiste donc à figer un moment de cet écoulement, instantané à lui seul représentatif du mouvement entier dans lequel il s’inscrit.

Esthétique ou ethnographie ?
Désorienté, peut-être aussi lassé en fin de parcours, le visiteur ne peut que tenter de se raccrocher à certaines certitudes, même fortuites. Il essaie de distinguer différents types d’effets : dessin d’une composition d’ensemble par de plus amples lacérations, répétition de codes, qui rappellent l’abstraction musicale de Kandinsky, ou à l’inverse déstructuration totale. Il cherche encore, penchant on ne peut plus humain, à hiérarchiser la production en termes de qualité. Certaines compositions sont plus réussies que d’autres, mais pourquoi ? Des associations de motifs peuvent, par exemple, former des contrastes amusants ou ironiques. Une moto surgit fièrement d’un nuage de publicités, un mannequin joue à cache-cache derrière une affiche politique, une ballerine en extase devant une bouteille est assaillie par une vague, un sourire émaillé rongé par l’accumulation épidémique du papier.
La beauté et l’émotion sont bien sûr au rendez-vous, mais à quel point dépendent-elles, aux yeux du spectateur contemporain, des qualités strictement formelles de l’œuvre, et non du plaisir nostalgique de retrouver une iconographie commerciale désuète ? L’historique de la communication murale, des slogans et des techniques (intervention de la bombe à aérosol) qui émarge du parcours chronologique en fait une étude ethnographique autant qu’artistique. Il n’est pas interdit non plus de sourire à l’idée que les murs des capitales d’aujourd’hui, palais de verre aux publicités plus soignées que des icônes, n’offrent plus le même terreau à l’affichiste opportuniste, peut-être émigré en province pour cette raison aussi…

Julien Lambert

Exposition jusqu’au 5 janvier,
tlj sauf mardi de 11h à 21h.