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Galeries nationales du Grand Palais
Paris : Andy Warhol

L’exposition du Grand Palais révèle un Andy Warhol habile et raffiné.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 8 juillet 2009

par Julien LAMBERT

Focalisée sur le portrait, l’exposition du Grand Palais propose heureusement plus qu’un exercice d’identification de stars pour visiteurs du dimanche. Elle révèle un Andy Warhol habile et raffiné, apte à combiner les facultés de la photographie et de la peinture pour magnifier l’architecture et les radiations d’un visage humain.

Warhol, histrion ou esthète ?
Ses détracteurs auraient tôt fait d’énumérer les raisons d’une mode Andy Warhol aujourd’hui toujours aussi vivace, si ce n’est plus que de son vivant : images choc, esthétique pop passe-partout, absence de message et de profondeur au profit d’une superficialité reposante, etc.
L’exposition du Grand Palais, évidemment prise d’assaut par le public parisien, surfe intelligemment sur ces caractéristiques, sans s’y perdre. Elle esquive en effet les boîtes de soupe et les crash tests pour leur préférer un cadre générique strict, le portrait. Et bien que les gueules de stars profitent à l’audimat d’une telle exposition, les indécrottables Marilyn et consorts s’y trouvent noyés dans une impressionnante galerie de frimousses plus ou moins célèbres. Fasciné par son propre visage sur lequel il a plaqué ses états d’esprits éphémères, de l’ironie cabotine aux angoisses les plus morbides, Warhol a en effet aussi pratiqué le portrait de manière plus utilitaire, recevant des commandes de toute la haute société américaine à partir de 1972.

Au-delà du clinquant
Les commissaires se hâtent bien sûr d’asséner les poncifs les plus évidents : narcissisme d’une société qui s’est créé ses icônes contemporaines, comédie humaine du show-business, etc. Pourtant, la systématique du portrait d’une part, à partir de polaroïds sérigraphiés puis retravaillés, d’autre part l’anonymat d’une bonne frange des modèles pour le spectateur européen, invitent à se pencher sur les propriétés formelles et plus strictement esthétiques d’un tel œuvre.
Ainsi, même agacé par les reproductions multiples et histrioniques des premières salles (les trente-six photomatons d’Ethel Scull évoquent primordialement une adolescente qui s’amuse sur fond sixties), le visiteur ne peut que s’émerveiller de l’homogénéité, de l’équilibre et de la tempérance esthétique qui caractérisent la grande salle de portraits de demi-célébrités des années ’70.

Ces diptyques proposent une définition composite d’un être, en cultivant l’envoûtement sans grotesque excessif. Les variations entre les deux plans – contraste maximal de couleurs, passage de la sobriété aux bigarrures pour la Baronne Von Thyssen, changement minimal de tonalité rouge pour Stéphanie Mayer – allient le goût à l’efficacité pour rendre au visage sa vie secrète et une force d’interpellation certaine. Les chromos guimauve cèdent le pas à un expressionnisme qui rappelle étrangement les portraits de Jawlensky. On s’autorise à voir dans la simplification des formes et des valeurs une relecture hiéroglyphique des contours et des traits, et non plus l’exaltation bédéistique d’idoles vulgaires.
L’expérience permet même une approche neuve des portraits de stars hollywoodiennes, qui reviennent bien vite jalonner le parcours. Car ainsi « éduqué » préalablement, le visiteur s’étonne moins de reconnaître Bardot ou Brando dans l’objectif de Warhol, que d’opposer l’esthétique classique de l’une au style garbage de l’autre : indéniablement, le portraitiste a trouvé le mode propre à chaque personnalité. Ainsi du faciès pétillant et irisé de Clint Eastwood. On se rassure de trouver plus de magnétisme à Pat Hearn, marchande d’art new-yorkaise dont Warhol superpose le profil grec sur un buste superbe aux tétons dressés, qu’au triple Elvis archiconnu de 1963. L’art l’emporte enfin sur la mode, même si certaines originalités techniques laissent songeur, comme la décoloration à l’urine d’un Jean-Michel Basquiat cuivré…

Chronique people
En vertu d’une réévaluation aussi précieuse et agréablement surprenante de l’œuvre de Warhol, il est à regretter que la muséographie n’encourage pas cette approche. À l’étage, les salles s’enchaînent au gré d’un classement strict des modèles par catégorie sociale. Une approche thématique forcément réductrice, puisque l’artiste n’adapte pas son style de manière signifiante au cercle des personnalités représentées. Et démontre par là même son incapacité à véhiculer un message autre que celui de la satire et de la vanité, cher aux critiques paresseux. Car en se restreignant au projet du « portrait de société », les commissaires n’ont fait que se montrer fidèles à l’esprit de Warhol lui-même, heureux de clamer qu’il a « toujours été un artiste commercial ». L’esthète ne pourra donc que se lasser, à la longue, de parcourir une chronique people répétitive, les papiers peints aux motifs de vaches marquant à point nommé le passage du cap de satiété.
Quelques bonnes surprises ponctuent néanmoins les dernières salles. Lénine fait oublier les Mao androgynes, superbe dans son irradiation rouge d’idole polynésienne. Sarah Bernhardt a les courbes d’un Matisse. Les années ’80 permettent quant à elles de faire un pont avec les autres aspects de la carrière de l’artiste, les chaises électriques et autres Cènes revisitées s’inscrivant dans un retour in extremis du mystique après des années d’inanité pop. Non, ni les inconditionnels de Marilyn rosâtres ni les détracteurs de Warhol n’auront changé de camp, ils n’auront pas modifié leur point de vue, mais ils l’auront heureusement diversifié.

Julien Lambert

Exposition « Le grand Monde d’Andy Warhol », Galeries nationales du Grand Palais, Champs Elysées. Jusqu’au 13 juillet, tlj sauf mardi de 10h à 22h.