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Sur les scènes lyriques
Opéra à Paris : Sahel et dentelles

Vu et entendu : Bintou Wéré, un Opéra du Sahel - Le vingtième anniversaire du Centre de musique baroque de Versailles - Hommage à Pierre Jourdan à Compiègne - Vaux en musique - Sibelius à Pleyel.

Article mis en ligne le décembre 2007
dernière modification le 16 décembre 2007

par Pierre-René SERNA

L’Afrique et sa musique sont rarement associés à l’art lyrique. C’est désormais chose faite avec Bintou Wéré, un Opéra du Sahel présenté au Châtelet.

Le projet est assez ancien, lancé par différentes personnalités du monde artistique et politique, dont Robert Wilson, le prince Claus des Pays-Bas ou le Ghanéen Kwabena Nketia. Le résultat combine le livret de Kously Lamko et Wasis Diop, dans les quatre langues du Sahel, et une musique de Zé Manel Fortes.

“Bintou Wéré, un Opéra du Sahel“ au Châtelet. Crédit : Marie-Noëlle Robert

Le premier narre une sorte d’errance, qui conduit un groupe de Sahéliens aux confins de l’Europe, fuyant la misère quotidienne, pour finalement retrouver les fondements d’eux-mêmes et renoncer à un avenir chimérique. Un thème éternel (qui n’est pas sans rappeler celui du récent Monkey Journey dans ce même Châtelet), sous toutes les contrées et sous toutes les latitudes. La seconde prend son inspiration dans les mélopées traditionnelles du Sahel, mêlées aux instruments propres à ce répertoire, dans une structure (parties déclamées, airs, ensembles, chœurs) qui est celle de l’opéra de toujours. Les chanteurs (sonorisés, comme il devient tristement de coutume au Châtelet) sont excellents, voix fermes et parfaitement projetées, en particulier la soprano Djénéba Koné dans le rôle central de Bintou Wéré et la basse Ibrahima Loucard dans celui de Diallo. La troupe des danseurs exécute avec allant se virevoltes. Et la mise en scène de Jean-Pierre Leurs joue subtilement de quelques praticables et des lumières.
Un spectacle attachant, dans sa réalisation comme son objectif. Si ce n’est qu’au Châtelet ce genre de productions, qui confinent à la variété, se succèdent un peu trop.

Versailles en dentelles
Pour marquer son vingtième anniversaire, le Centre de musique baroque de Versailles explose de concerts, répartis sur quatre fins de semaine, dédiées aux règnes dominant la musique baroque française. Le temps de Louis XV fête Rameau, bien entendu, mais aussi Mondonville et Campra, en compagnie d’inconnus de ce temps, à redécouvrir… ou à laisser dans l’oubli.
Et aux plus grands interprètes de ce répertoire se confrontent les jeunes loups. Disons d’emblée que les seconds l’emportent largement, et contre tout attente. Et c’est peut-être l’élément frappant de ces journées, la révélation de musiciens qui assurent une relève magnifique. Au premier chef, l’ensemble les Nouveaux Caractères, et son jeune mentor, par ailleurs claveciniste hors pair, Sébastien d’Hérin. Panache, fluidité, souffle, conviction, mais aussi précision, attaques, nuances, rigueur stylistique : tout se conjugue pour une restitution enthousiasmante. Et ce d’autant que l’œuvre présentée, Égine, de François Colin de Blamont (1690-1760 - qui connaît ?) ne déparerait pas au milieu des Rameau les plus inspirés. On goûte presque autant l’ensemble Ausonia, de Frédérick Hass et Mira Glodeanu, dans des extraits de Rameau ardemment servis, notamment par l’idéal haute-contre de Mathias Vidal ; ou le Parnasse français de Louis Castelain, pour des Campra et Mondonville captivants sous les chants de Robert Getchell, Romain Champion et Marc Mauillon. Pour le reste, hormis l’English Concert sous la direction fervente d’Olivier Schneebeli, la déception est de la partie, et parmi des ensembles les plus renommés. La Simphonie du Marais de Hugo Reyne, les Talens lyriques de Christophe Rousset ou le Concert spirituel d’Hervé Niquet pataugent dans la routine. Versailles, ou la victoire des talents émergeants sur les décombres des valeurs consacrées ?

le vingtième anniversaire du Centre de musique baroque de Versailles. Photo : JPBaltel/CMBV

Boieldieu à Compiègne
Le Théâtre impérial de Compiègne rend hommage à Pierre Jourdan, disparu en août dernier, et qui fut depuis vingt ans l’âme et l’ardeur de ce magnifique lieu consacré par lui à la redécouverte du répertoire du XIXe siècle français. L’équivalent de ce qu’est Versailles pour le baroque, les soutiens des pouvoirs publics en moins. Et c’est ainsi que cette soirée commémorative, dédiée à deux opéras-comiques de Boieldieu, Jean de Paris et Ma tante Aurore, se retrouve réduite à une simple version de concert, les subsides ayant fait défaut au dernier moment. Les artistes participant à ce projet conçu par Jourdan ont tenu à faire don de leur cachet. Honneur leur soit rendu !
Les deux petites pièces sont charmantes, sans qu’il faille y rechercher la veine inspirée d’un Rossini. Un bon moment de théâtre et de musique, mais presque aussitôt oublié. Tous les intervenants sont nonobstant convaincants, dans le jeu dépourvu d’appoint scénique ou dans le chant. Carl Ghazarossian, Sébastien Lemoine et Armando Noguera sont des solistes, découverts ici à Compiègne, dont le talent est désormais rayonnant. Ghyslaine Raphanel apporte l’appoint de sa voix mature. Et l’Orchestre Albéric Magnard, jeune formation elle aussi consacrée par le lieu, pétille aux ordres juvéniles et assurés de Gaspard Brécourt (digne élève de Jean Fournet). Pierre Jourdan peut être fier de la tâche accomplie, qui lui survivra n’en doutons pas.

Vaux en musique
Vaux-le-Vicomte est, avec Versailles et Compiègne, l’un des lieux les plus enchanteurs de la région parisienne. Le palais construit par Fouquet garde son aura, son élégant château en forme de caprice, ses jardins dessinés par Le Nôtre en coups de théâtre, dans une atmosphère que les touristes méconnaissent. C’est tout le plaisir de Vaux, que d’y vaquer quasiment seul, sans perturbation importune, pour s’imprégner d’un temps lointain, fait d’art et de faste. Le propriétaire de l’endroit (qui reste privé), souhaite lui redonner une saveur musicale. Initiative individuelle, ici aussi sans encouragements publics.
Les Jalousies Musicales de Vaux-le-Vicomte se résument donc, depuis l’an passé, à un ou deux concerts, que le Lachrimae Consort de Philippe Foulon porte à bout de bras. Cet ensemble unique est seul à renouer avec la tradition des instruments d’amour, à double rangée de cordes, violes ou violoncelles all’inglese, qui ont eu court depuis le XVIIe siècle en France et en Italie jusqu’au début du XIXe siècle (Berlioz et Meyerbeer seront parmi leurs derniers défenseurs). Ce procédé permet un enrichissement des vibrations sonores et par-là de la dynamique. Vivaldi ou Michel Corrette (1707-1795) ont écrit pour eux. Ils sont célébrés lors de cet unique concert automnal, dans la merveilleuse salle ovale du château. Un moment rare, par des interprètes dont la ferveur l’est autant.

Sibelius à Pleyel
Sibelius vivrait-il enfin une juste reconnaissance ? On voudrait le croire, à constater à Pleyel la foule se pressant et son écoute attentive. L’Orchestre philharmonique de Los Angeles y donne l’intégrale des symphonies, en quatre concerts, sous la battue d’Esa-Pekka Salonen. Une phalange d’exception (les cordes ! l’unité !) et un chef inspiré, pour une musique des profondeurs. Mais peut-être y manque-t-il, précisément, cette ardeur souterraine, qui fasse que l’arc de la Septième par exemple, se tende dès les premières mesures pour éclater au final en apothéose (comme chez Ashkenazy ou Davis), et sans laquelle Sibelius n’est pas tout à fait. Mahler n’est plus lui à défendre. Mais Jean-Claude Casadesus et son Orchestre de Lille, le font au mieux, en ce même Pleyel. La Quatrième retentit fouillée comme rarement, à travers ses couleurs infiniment mêlées.

Pierre-René Serna