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A Paris
Opéra à Paris 195 : Quand “Louise“ reluit

Aperçu : “Louise“ - La Passion selon Saint-Jean“ - Ariodante“ - Amèlia al ballo“ & “Le Téléphone“.

Article mis en ligne le mai 2007
dernière modification le 2 octobre 2007

par Pierre-René SERNA

Poursuivant son parcours de l’opéra français, la saison de l’Opéra de Paris fait place à Louise, maillon manquant du réalisme lyrique qui de Carmen et Traviata conduit à Janacek et Berg.

Il est courant de présenter l’opéra de Gustave Charpentier comme un pendant français du vérisme italien. Mais si l’époque et l’esthétique concordent (la Bohème est deux ans antérieure), les moyens diffèrent : la vérité des sentiments, la simplicité de personnages et d’un langage de tous les jours, la veine pittoresque (parisienne, en l’espèce, à l’égal de Bohème), se prolongent de relents sociaux ou allégoriques que l’on ne relève guère chez Puccini ou Mascagni. Il faut davantage y voir l’héritage d’Alfred Bruneau (1857-1934), et ses opéras naturalistes empruntés à Zola. Musicalement, on songe à une mixture de Wagner (Tristan, les Maîtres chanteurs) et de Massenet (Manon), revendiquée du reste par de constantes citations. Autant d’ingrédients qui en feront le succès au début du XXe siècle et verra Louise, juste après Carmen, être l’un des opéras les plus populaires, défendu par des personnalités aussi internationales que Mahler ou Richard Strauss. Sa gloire a passé, mais l’œuvre se maintient toujours de-ci de-là, comme à Toulouse il y a peu ou à la Monnaie quinze ans plus tôt (alors que Bruneau l’inspirateur attend encore sa réhabilitation).
Sylvain Cambreling, qui officiait déjà à Bruxelles, est l’artisan principal de cette remise à l’ordre du jour à Bastille, n’en doutons pas. La soirée lui doit son élan, ce souffle maintenu à travers les couleurs creusées de l’orchestre, cette dynamique où le drame rebondit sans temps mort. Il le fallait bien ! pour s’intéresser à cette bluette, où une petite couturière amoureuse d’un poète sans le sou s’oppose aux principes moralisateurs de ses parents. Dans le genre réaliste, et pour s’en tenir à la libération des mœurs, la Lady Macbeth de Chostakovitch va plus loin, et plus crûment. Mais tel que, avec les composants réunis pour l’occasion, on y croit. André Engel signe une mise en scène directement descriptive dont il a le secret, décalant de peu l’action, ici dans les années 30. On est donc sur les toits de Paris, dans une gare de métropolitain ou dans un logis petit-bourgeois, avec les personnages à l’avenant. Quelques coquetteries, comme le public échappé de la bouche de métro sur des pas de menuet, donnent la petite note distanciée. Séduisant. Le plateau vocal l’est tout autant, même s’il convient de nuancer : Mireille Delunsch, Louise dont les belles envolées achoppent parfois dans la nef ingrate de Bastille (et qui rappelle que l’œuvre ressortit au répertoire de l’Opéra-Comique) ; Jeanne Henschel, Mère au chant assuré et au français qui l’est moins ; José Van Dam, Père aux vertus exactement contraires ; Paul Groves, Julien qui, lui, les combine toutes ; et Luca Lombardo, ténor d’exception qui se joue du multiple rôle allégorique du livret.

La Passion de Wilson
Robert Wilson, c’est toujours une aventure où le charme opère. La gestique hiératique reste la même, comme les éclairages savamment dosés et comme la nudité du décor peuplée de rares éléments symboliques et personnages hors d’âge. Mais le résultat demeure aussi, confondant. Pour la Passion selon Saint-Jean au Châtelet, c’est le Christ qui parle, et le sentiment biblique qui émane. Nul besoin alors de distinguer : le Concert d’Astrée, chœur et orchestre sous la direction soutenue d’Emmanuelle Haïm, enveloppe un Bach éternel d’une immanence qui dissipe vite quelques premiers flottements ; Andreas Scholl, Pavol Breslik ou Luca Pisaroni constituent un juste et irradiant appoint vocal ; et Lucinda Childs émaille de ses petits pas une chorégraphie toute d’évanescence hyperbolique.

Ariodante en blanc
Le Théâtre des Champs-Élysées s’est fait une bannière de Haendel. Voici le tour d’Ariodante, un opéra transitoire (1735) dans la carrière londonienne du compositeur. Écrit dans un style rigoureusement seria, avec son alternance régulière d’arias da capo, sans toujours l’inspiration géniale qui préside à Alcina ou Rinaldo, le résultat est parfois pesant. Est-ce dû à la direction sans nerf de Christophe Rousset ? On a connu ce chef, qui n’a plus à démontrer ses qualités, plus vigoureux et mieux inspiré. Nonobstant, les instrumentistes des Talens lyriques délivrent de beaux coloris et la distribution vocale est de tout premier ordre. Angelika Kirchschlager (Ariodante), Vivica Genaux (Polinesso), Danielle De Niese (Ginevra) et Jaël Azzaretti (Dalinda) forment un étincelant bouquet de chant féminin, parmi les meilleurs qu’on puisse actuellement réunir pour ce répertoire. La mise en scène de Lukas Hemleb, aidée par l’imaginative chorégraphie d’Andrew George, se présente pour sa part comme un écrin de murs immaculés qui se meuvent au gré des situations, pour mieux enserrer les mouvements de personnages parfaitement crédibles. Limpide et sans bavure. Mais rien n’y fait, et ne vient combler l’ennui des trois heures de l’opéra intégral.

Amèlia al ballo © Marc Vanappelghem
“Amèlia al ballo“ à l’Opéra-Comique, avec Brigitte Hool

Irrésistible Amelia
En provenance de l’Opéra de Lausanne, la soirée Menotti (vue en novembre sur les bords du Léman) conjugue à l’Opéra-Comique quasiment tous les attraits. C’est la découverte d’un véritable petit chef-d’œuvre, Amelia al ballo, associé à une sorte de classique du compositeur disparu le 2 février dernier, le Téléphone. Deux pages d’une verve imparable et d’une musicalité sans faille. Les jeunes chanteurs de l’EnVol, la petite troupe de Lausanne au complet, font merveille, chacun dans leur rôle. On notera tout particulièrement Katia Velletaz, Benoît Capt, Davide Cicchetti et surtout Brigitte Hool, qui campe crânement une Amelia d’un abattage sans pareil et d’un chant parfaitement assumé. Une soprano qui devrait bientôt triompher sur toutes les scènes lyriques. Éric Vigier plante tout ce beau monde dans une mise en scène dont la verve rend justice à celle des œuvres et de leurs interprètes. Bruno Ferrandis mène l’Ensemble orchestral de Paris avec doigté, comme il sied pour cette musique subtilement spirituelle.

Concerts
L’atelier lyrique de l’Opéra de Paris confirme plus que jamais sa mission et les hautes aptitudes de ses participants. Le concert d’opéra français donné à l’Opéra-Comique l’atteste, avec les voix sûres de Letitia Singleton, Vincent Delhourne, Marie-Adeline Henry, Igor Gnidii, Elisa Cenni ou Elena Tsallagova. Mais c’est injuste ! car il faudrait les citer tous.
L’orchestre de jeunes (Premiers prix de Conservatoire, s’il vous plaît !) OstinatO, n’est pas en reste de professionnalisme sous la baguette éclatante de Jean-Luc Tingaud.
Autre concert sous l’égide de l’Opéra, à Garnier dans la série la Passion du Chant selon l’entreprenant Pierre-Laurent Aimard. On peut rester dubitatif quant à savoir si le palais Garnier est un lieu propice à la musique de chambre, mais Ravel ou Ives sonnent voluptueusement par la voix de Susan Graham et sous le piano du maître de céans.
Programme d’œuvres parisiennes pour Valery Gergiev et son London symphony Orchestra : Stravinsky et Debussy se livrent à Pleyel comme rarement, lisses ou emportés, mais nickelés comme une Rolls.

Pierre-René Serna