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Opéra à Paris 193 : "Pietra" miraculeuse

Vu et entendu : La Pietra del Paragone – Journal d’un disparu & Le Château de Barbe-Bleue – Les Contes d’Hoffmann – Meistersinger – El Cimarron.

Article mis en ligne le mars 2007
dernière modification le 2 octobre 2007

par Pierre-René SERNA

La Pietra del Paragone appartient aux bien peu fréquents opéras de jeunesse de Rossini. On pourrait ainsi croire à une ébauche mal taillée. Que nenni ! À vingt ans, le musicien de Pésaro livre d’emblée son complet génie.

De cet opéra d’une science et d’une inspiration stupéfiantes, on connaît certaines pages replacées telles que dans des œuvres ultérieures, comme le Barbier de Séville d’où provient l’orage. Mais pour le reste, ce Melodramma giocoso était demeuré ignoré du répertoire. Une récente partition critique – suivie de représentations à Pesaro et en Suède – a donné le signal d’une nouvelle carrière que confirme la dernière production du Châtelet. La réussite est ici complète, redevable en outre à la reconstitution méticuleuse d’un orchestre italien du début du XIXe siècle, instruments d’époque inclus (dont huit contrebasses, parmi une trentaine de pupitres, qui donnent un relief saisissant aux crescendos). S’ajoute une distribution vocale irréprochable de style et de technique, avec Jennifer Holloway (Aspasia), Laura Giordano (Fulvia), François Lis (Asdrubale) ou Joan Martín-Royo (Macrobio). Sonia Prina (Clarice) monte encore d’un cran, contralto de voix profonde et coloratoure ébouriffée qui n’est pas sans rappeler Horne au temps de sa gloire ; de même que José Manuel Zapata (Giocondo), qui domine une émission large tout jouant des nuances. Un ténor à suivre.
Dans la fosse, Jean-Christophe Spinosi conduit son Ensemble Matheus et le Chœur du Théâtre Regio de Parme (qui coproduit) avec une vigueur irrésistible dans des couleurs éminemment rossiniennes. La mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorrin offre des vertus non moins estimables. Vêtus à la façon de nos jours, d’où les bleus sont exclus, les personnages de la gentille fable occupent une scène vide uniformément teintée d’azur ; simultanément, des écrans en partie haute insèrent leurs mouvements en direct dans des décors fictifs (filmés de petites maquettes, visibles sur les côtés de la scène). Une lecture au deuxième ou troisième degré, à la fois réjouissante et surprenante, et en complet accord avec l’imbroglio du livret. Mais si Martín-Royo et Prina restent en toute circonstance des bêtes de scène, des directives plus précises n’auraient pas nui à notre sympathique Zapata qui ne sait quoi faire de ses bras, ainsi lâché sans aucun praticable auquel se raccrocher. On aurait aussi aimé sur la fin une touche différente, douloureuse dans le cas du rôle incarné par ce dernier, qui ouvre une autre perspective à ce par trop constant divertissement.

Quand Janacek rime avec Bartok
La Fura dels Baus, la célèbre troupe théâtrale iconoclaste, verse désormais régulièrement dans l’opéra. Avec un certain succès. Sa dernière réalisation est pour l’Opéra de Paris (en coproduction avec le Liceo de Barcelone, d’où est issue la Fura), combinant Journal d’un disparu et le Château de Barbe-Bleue. On y retrouve les composantes scéniques habituelles à Alex Ollé, Carlos Padrissa, Jaume Plensa et Valentina Carrasco, ces tulles tombées des cintres, ces connotations ouvertement sexuelles, mais avec une indéniable adéquation. Les deux œuvres lyriques partagent un même espace nu sous une pénombre presque totale, qui focalise d’autant des raies de lumière crue sur les deux uniques personnages (de chaque œuvre) aux mouvements bien réglés. Le second opéra ajoute ses projections vidéo (encore !) qui démultiplient des images du palais Garnier, où se tient la soirée. Une sorte de rêve ou de cauchemar. Et dans un cas comme l’autre, avec une profondeur noire qui va à l’essence même du livret. La partie musicale fait pareillement des choix, sachant que l’œuvre de Janacek est originellement pour voix et piano. Le chef Gustav Kuhn a réalisé une orchestration assez wagnérisante, bien étrangère au style du compositeur tchèque, mais qui par la suite rencontre sa logique : quand l’opéra de Bartok, relié sans rupture, offre des couleurs instrumentales similaires. Kuhn, qui dirige avec intensité un orchestre rutilant, a tenu du reste à préciser dans le programme de salle que sa transcription n’était que pour ce cadre spécifique. S’affirme ainsi l’unité du spectacle, également justifiée, en dehors de la conjonction de pièces contemporaines, par une trame sœur : celle d’un amour impossible entre deux êtres. Michael König (l’Homme chez Janacek) possède une voix ferme, Hannah Esther Minutillo (la Femme du même ouvrage) une projection sûre, Willard White (Barbe-Bleue) un timbre franc que ne met guère en péril le peu de lyrisme de Bartok, et Béatrice Uria-Monzon (Judith) conjugue presque toutes les vertus : une technique vocale éprouvée, actuellement à son zénith, pleine dans tous les registres, alliée à une présence scénique confondante.

Villazon est Hoffmann
Rolando Villazon incarne sans partage le héros des Contes d’Hoffmann : chantant à pleine voix ce rôle éprouvant, avec ce timbre clair et cet élan vif qui lui appartiennent, donnant sans compter une présence scénique agitée sur la vaste scène de Bastille. C’est le grand triomphateur de cette reprise, dans l’intelligente et décorative mise en scène de Robert Carsen vue en 2000. À ses côtés, Patricia Petibon ne dépare pas, Olympia électrique (au voltage parfois juste) ; comme Annette Dasch et Nancy Fabiola Herrera, Antonia et Giulietta épanouies ; et comme Ekaterina Gubanova, Muse/Nicklause assurée ; ou Franck Ferrari, le quadruple personnage, tout de noirceur, d’Offenbach. L’orchestre distille un joli coloris sous la battue assez mécanique de Marc Piollet.

Maîtres zingueurs
Frank Castorf et la Volksbühne de Berlin débarquent à Chaillot avec Meistersinger. On annonçait une vision décapante, un démolissage en règle, pour ce raccourci des Maîtres Chanteurs de Nuremberg mêlé à la pièce communiste d’Ernst Toller, Masse Mensch (1919). Ce serait plutôt Wagner chez les Pieds nickelés revus par Marx (Groucho) : une mise en scène au délire impeccablement réglé, aux provocations convenues, assez rafraîchissante au bout du compte. La musique, d’où les interminables récitatifs sont exclus, est vaillamment lancée par le personnel de la Volksbühne (aussi appliqué que tout chœur amateur), Sophie Rois (Eva aphone mais bien jouée), quatre chanteurs professionnels (dont Christoph Homberger, Walther tout à fait crédible) et six excellents instrumentistes, sous la sage et sérieuse direction musicale de Christoph Keller. Le public n’a pas l’air choqué. Il n’y a pas de quoi.

Cimarron
El Cimarron est une pièce de théâtre musical que Henze a créée en 1970. Le titre, intraduisible, venu de Cuba et qui désigne un esclave noir s’étant lui-même affranchi, résume à lui seul la trame d’une œuvre qui n’a pas pris de ride musicale. La toujours imaginative Péniche Opéra ne manque pas cette recréation, respectant le texte musical (pour flûte, guitare et percussions, entourant un soliste) sur un livret traduit en français. Le baryton Paul-Alexandre Dubois fait merveille, acteur consommé et chanteur sans faille, dans une proximité que Mireille Larroche sertit d’une mise en scène immédiatement transmissible, avec cette simplicité efficace dont elle a le secret.

Kullervo de Sibelius, la Betulia liberata de Mozart, la Quatrième de Schumann et la Sixième de Mahler : autant de chefs-d’œuvre. Ils sont ardemment servis par l’Orchestre national (à Radio France), le Concentus musicus Wien et l’Orchestre de Paris (à Pleyel), sous les baguettes pareillement expertes d’Eivind Gullberg Jensen, Nikolaus Harnoncourt, Marek Janowski et Christoph Eschenbach.

Pierre-René Serna