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A Paris
Opéra à Paris 192 : “Idoménée“

Vu et entendu : Idoménée, Candide, Rosenkavalier, Fra Diavolo, Le Combat de Tancrèdre et Clorinde, Into the Little Hill, Paul et Virginie.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 2 octobre 2007

par Pierre-René SERNA

Créé en décembre 2005 à la Scala, “Idomeneo“ clôt l’année Mozart à Garnier. Il s’agit en l’espèce, quelque peu précédée d’une réputation sulfureuse, d’une production signée Luc Bondy. On y retrouve son efficace travail
théâtral, intensément pensé et réglé.

La scène représente une berge devant la mer, à une époque plus ou moins actuelle, quasiment sans décor. Tout se concentre sur le mouvement de la foule soulevé d’une houle sans cesse agitée par la tempête (puisqu’ainsi le dit le livret), sous des nuages sombres ou de fulgurants éclairs d’orage : une sorte de tsunami qui laisse le drame à l’état cru. D’une telle catastrophe résultent aussi au second acte divers détritus sur le sol et des sacs poubelles en fond de scène, qui font frémir une partie du public et donnent un léger parfum provocant. Tout le nécessaire à un complet succès ! Et en vérité, il est difficile de rester insensible à la force et la cohérence de la proposition scénique. La brusquerie est également de circonstance de la part de Thomas Hengelbrock, qui mène orchestre et solistes de manière abrupte, mais avec une densité et une épaisseur allant s’affirmant. Joyce DiDonato (Idamante) confirme son excellente forme actuelle, véritable triomphatrice de la soirée, voix pleine et technique sûre. À ses côtés, Camilla Tilling (Ilia) offre une légèreté idoine alors que Mireille Delunsch (Elettra) domine un large phrasé dans son périlleux aria final. Charles Workman, remplaçant de dernière minute d’un Ramon Vargas souffrant, parvient à la prouesse d’un rôle principal intensément lyrique et profondément vécu, même si certains ornements lui font défaut. On notera toutefois que la partition se présente comme l’accumulation des deux versions, celle de Munich et celle de Vienne, sans le divertissement dansé final, ce qui n’est nullement spécifié et que l’on peut déplorer. Sachant que pour donner tout le sublime du chef-d’œuvre seria de Mozart, il conviendrait de s’en tenir strictement à l’une des deux.

“Idomeneo“ avec Camilla Tilling (Ilia), Joyce DiDonato (Idamante), Mireille Delunsch (Elettra). Photo Opéra national de Paris

“Candide” à New York
“Candide” semble connaître une nouvelle vie. On sait que la “Comic operetta” de Bernstein fut créée à New York en 1956 dans l’indifférence générale. Peu après, le triomphe de “West Side Story” sur les scènes du monde entier relégua “Candide” dans l’obscurité. Représenté dans de rares théâtres et pourvu de quelques retouches, il ne s’était guère imposé. Jusqu’à ce que Bernstein lui-même le réforme totalement, à Londres en 1989, ce qui donnera lieu à un enregistrement désormais fameux. Depuis lors, presque toutes les maisons lyriques ont manifesté leur intention de s’y confronter, comme par exemple l’Opéra de Paris. Le Châtelet prend donc tout ce beau monde de vitesse en étrennant une production qui sera aussi donnée à voir à la Scala et à l’English national Opera.
Le nom de Robert Carsen est une sorte de garantie. Dans le cas présent, le célèbre metteur en scène a quelque peu outrepassé sa fonction, réécrivant les dialogues avec l’aide d’Ian Buron, pour replacer dans les États-Unis d’aujourd’hui les mésaventures du héros de Voltaire. Mais ainsi, entre conflits belliqueux actuels et intérêts financiers qui nous gouvernent plus que jamais, surgit d’autant l’intemporalité morale de la fable. Et comme Carsen ne faillit pas, l’ensemble convainc. Un immense écran de télévision occupe tout l’espace. À travers son filtre défilent la Maison blanche, des soldats réchappés d’Irak ou une salle de jeux de Las Vegas... À la fois divertissant et grinçant, comme le requière la pièce. Et tout suit, parfaitement : les excellents chanteurs William Burden, Anna Christy ou Jeni Berne (sonorisés, comme il devient un peu trop de coutume au Châtelet), un Lambert Wilson aussi irréprochable acteur que chanteur, le chœur de la maison et l’Ensemble orchestral de Paris excité par la direction fougueuse de John Axelrod. Ce qui séduit moins serait la musique. Après une ouverture scintillante, et hormis quelques ensembles vocaux délicatement complexes, les successives chansons à la mode de Broadway se font bien pesantes.

“Rosenkavalier”
On admirera la cohérence de la programmation de l’Opéra de Paris, où nouvelles productions et reprises se répondent. Et c’est ainsi qu’autour de l’axe formé par les Troyens, la Damnation de Faust et Iphigénie en Tauride précédaient, alors que succèdent Idoménée et Rosenkavelier. Si les Gluck et Mozart annoncent le chef-d’œuvre de Berlioz, le Strauss poursuit pour sa part l’hommage à son metteur en scène. Herbert Wernicke avait conçu sa production il y a une quinzaine d’années pour cette même Bastille. Elle n’a pas vieilli et gagne même à être ainsi revue à distance. Les reflets de grands miroirs coulissants, des costumes et accessoires sans datation précise, le jeu clair ou virevoltant, des petits personnages annexes discrètement allégoriques, donnent le ton : celui d’un conte ou d’une rêverie, où seuls restent les sentiments. Un charme indicible, auquel participe une distribution homogène – malgré pourtant nombre de changements de dernière heure. Oktavian, la Maréchale, le Baron Ochs ou Sophie ont connu dans la longue histoire de cet opéra des interprètes de prestige, mais rarement l’adéquation d’ensemble que lui confèrent Anke Vongung, Solveig Kringelborn, Franz Hawlata et Heidi Grant Murphy. Côté fosse, Philippe Jordan fait luire l’orchestre de mille facettes, jusqu’à même parfois couvrir un plateau un peu gracile.

“Fra Diavolo”
Au Théâtre impérial de Compiègne,“ Fra Diavolo” fait les beaux soirs. Comme au XIXe siècle de sa splendeur, quand l’opéra-comique d’Auber faisait se presser les foules de toute l’Europe. Et pourtant le temps a passé, qui rend plus sceptique face à une musique bien faite mais peu inspirée et une œuvrette dont les ressorts calculés se sont usés. Mais difficile de ne pas être conquis par le brio que manifestent Isabelle Philippe, Philippe Do, Anne-Sophie Schmidt et Mathias Vidal, tous parfaits chanteurs et habitués du Théâtre français de la musique. La direction de Michel Swierczewski soutient l’élan, et celui de l’Orchestre Albéric Magnard en particulier. Pierre Jourdan et son complice Jean-Pierre Capeyron parent le tout d’une affriolante mise en scène, joliment colorée et avec ce qu’il faut d’abattage.

“Tancrède” et “Little Hill”
Atmosphère d’effervescence à l’amphithéâtre de Bastille : la création, en coproduction avec l’Opéra de Paris et le Festival d’Automne, du premier ouvrage lyrique de George Benjamin en est cause. Le compositeur le plus musicien d’aujourd’hui ne rate pas son entrée sur scène, dans un langage éminemment vocal, un plaisir de chaque note, une beauté sonore que lui, tout le premier, revendique. “Into the Little Hill”, conte lyrique sur un livret de Martin Crimp, transpose la légende du Joueur de flûte : des situations dramatiquement bien campées, qu’irradient la soprano Anu Komsi et la contralto Hilary Summers, que distille savamment l’Ensemble Modern sous la direction de Franck Ollu, et que traduit lumineusement le metteur en scène Daniel Jeanneteau. En ce même amphithéâtre, l’Atelier lyrique de l’Opéra poursuit son chemin avec de nouvelles voix. Parmi celles-ci, la mezzo Anna Wall, la soprano Elena Tsallagova, le ténor Vincent Delhourne ou le baryton Ugo Rabec, à qui reviennent comme à leurs compagnons tout aussi prometteurs, un spectacle Monteverdi conclut par “le Combat de Tancrède et Clorinde”. Une pleine réussite, redevable aussi à la direction musicale active d’Yvon Repérant et à la scénographie précise de Jean-Yves Ruf.

“Paul et Virginie”
Après plus de deux cents ans d’oubli, “Paul et Virginie” revit l’espace d’un concert à l’auditorium Messiaen de Radio France (hâtons-nous d’en profiter ! puisque la meilleure salle de concerts de Paris est désormais vouée à démolition). L’opéra-comique de Le Sueur reflète bien son époque, celle de la Révolution et de l’Empire, avec son sujet rousseauiste et un charme musical non suranné mêlant élégie et vives couleurs. L’Orchestre philharmonique lui rend justice sous la baguette frémissante d’Hervé Niquet, aidé d’un bon plateau vocal que dominent Jaël Azzaretti, Hanna Bayodi et Mathias Vidal.

Pierre-René Serna