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De Londres à Paris et Madrid
Madrid : Turner face à ses maîtres

Après Londres et Paris, l’exposition est montrée à Madrid, Au Prado, jusqu’au 19 septembre.

Article mis en ligne le 21 février 2010
dernière modification le 22 septembre 2010

par Régine KOPP

On se souvient de l’exposition « Picasso et les maîtres » qui a fait un tabac l’automne dernier à Paris. La Tate Britain de Londres propose une exposition construite sur le même principe autour de leur grand artiste, JMW Turner. Les Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, reprennent cette exposition du 24 février au 22 mai 2010, puis ce sera au tour du Prado, à Madrid, du 22 juin au 19 septembre.

Il y a toutefois chez Turner, qui se tourne vers ses célèbres prédécesseurs et leur rend hommage, d’autres intentions que dans le dialogue de Picasso avec ses maîtres. L’exposition parisienne illustrait parfaitement comment un génie artistique tel que Picasso s’attaque à ses illustres prédécesseurs, procédant à une déconstruction du passé, sous forme d’hommage pour les uns ou de contestation pour les autres. Dans le cas de Turner, la démarche est différente, puisqu’il rend hommage à ses maîtres mais a l’ambition de les surpasser, s’assurant de devenir à son tour un maître dont on se souvient. Des hommages toujours critiques, cherchant à réinterpréter ses influences.

Dialogue
David Solkin, professeur au Courtauld Institute de Londres et commissaire de l’exposition, définit parfaitement le fil conducteur de l’exposition, « montrer comment un artiste apprend son art, comment il s’insère dans la tradition, comment un artiste ambitieux regarde vers ses prédécesseurs qu’il admire et commence à construire sur ce qu’ils ont réussi ». Souvent considéré comme un génie solitaire, Turner entretint en fait un dialogue continu avec ses pairs, scrutant avec acuité les œuvres des maîtres anciens, engageant une compétition avec eux, dont il voulait sortir vainqueur.
Pour illustrer cette stratégie de Turner, assez inédite jusqu’alors dans l’histoire de l’art européen, une centaine d’œuvres exceptionnelles ont été réunies, provenant de collections du monde entier : Canaletto, Le Lorrain, Rembrandt, Rubens, Ruisdael, Poussin ou Van de Velde. Elles s’articulent autour de six sections : éducation et émulation, l’académie et le grand style, Turner et les artistes du Nord, le culte des artistes, compétition avec les contemporains, Turner entre dans l’Histoire. Lorsqu’il visita à l’âge de 24 ans la collection de John Julius Angerstein et qu’il y découvre l’œuvre de Claude le Lorrain, Embarquement de la reine de Saba (1648), il s’exclama que jamais il ne pourrait peindre une œuvre semblable. Il relève le défi en 1815, en peignant Didon construisant Carthage, sur un fond inondé de soleil. Turner ne cessera de se confronter à l’œuvre du Lorrain, admirant la pureté de sa conception et sa capacité d’ouvrir les voies à un nouvel art. Si Turner est encore un peintre romantique, il est aussi abstrait avant la lettre, créant une esthétique propre basée sur les reflets de la lumière et suscitant des émotions à travers le jeu des couleurs et de la lumière. Toute sa vie, il a engagé le dialogue avec le classicisme méditerranéen et le naturalisme hollandais, puisant chez les premiers l’ordre et la géométrie et intensifiant les effets réalistes des derniers, en développant sa propre conception dramatique de l’art.

Génie précurseur
Dès l’âge de 14 ans, Turner veut rivaliser avec le passé, ce dont témoignent les œuvres de la première salle. Impressionné par Van de Velde le Jeune et ses marines, comme ses Bateaux dans la tempête (1672), Turner reprend la même composition, la redynamise en la rendant plus dramatique et accentue les contrastes (Bateaux hollandais dans la tourmente). Ces deux tableaux sont de nouveau réunis pour la première fois depuis un siècle. Avec Thomas Girtin, Turner entretient une amitié précoce, l’admire comme aquarelliste et montre sa dette à l’égard de son aîné en peignant avec intensité Warkworth Castle, Northumberland (1799) qui répond à Lindisfarne Castle, Northumberland (1797). Richard Wilson a également marqué Turner et l’a aidé à définir une approche plus restreinte et classique des paysages, dans la veine de Claude Le Lorrain. Son œuvre qui représente le château de Harlech (Harlech Castle, 1799) baigne dans une atmosphère crépusculaire. Lors de sa visite au Louvre en 1802, Turner est marqué par Le Déluge (1660) de Poussin. Il pense que ses couleurs sont sublimes mais déplore le manque d’intensité dramatique. Sa version du Déluge (1805), avec ses corps et ses vagues, est saisissante par sa violence. Turner veut aller au-delà des principes de composition rigoureux de Poussin. Quand Turner dialogue avec les peintres nordiques, il retient la dextérité technique et admire le naturalisme des Hollandais. Sa Jessica (1830) est cependant mal reçue à l’époque, « comme si elle était sortie d’un pot de moutarde ». C’est chez son patron que Turner découvre Rembrandt et plus particulièrement Le repos pendant la fuite en Egypte (1647) qu’il admire pour avoir introduit deux foyers de lumière, le feu et la lumière qui pénètre par la fenêtre, auquel Turner répond par Etude de clair de lune à Millbank (1797).

Poursuivant sa confrontation avec ses prédécesseurs, Turner ne craint pas d’affronter les grands noms. Dans son œuvre imposante, intitulée Rome, vue du Vatican. Raphaël, accompagné par la Fornarina, préparant ses tableaux pour la décoration de la Loggia (1820), Turner va jusqu’à s’identifier à Raphaël dans sa vie personnelle mais aussi ses réussites artistiques. C’est dans la dernière section que le visiteur mesurera l’ambition qui habite Turner, obsédé par le désir de surpasser ses contemporains, en créant des œuvres audacieuses. Pour la première fois depuis 1832 sont réunis L’Inauguration du pont de Waterloo (1832) de John Constable et Helvoetsluys (1832) de Turner. L’anecdote qui accompagne cette confrontation est significative de la volonté de puissance qui anime Turner. Quelques heures avant l’exposition de 1832 à la Royal Academy de Londres, Turner ajouta à son tableau une balise rouge au milieu de la mer, souhaitant ainsi rivaliser avec les rouges vermillon du Constable voisin, ce que Constable a relevé par cette phrase devenue célèbre : « Turner est venu ici et a tiré un coup de feu ». Un parcours captivant pour comprendre comment Turner est devenu ce génie précurseur au cours d’un processus passionnant de formation du regard, de dialogue avec ses pairs, de continuité et de rupture dans lequel il s’engagea toute sa vie.

Régine Kopp

Jusqu’au 24 janvier. Infos : www.tate.org.uk
L’exposition sera présentée au Grand Palais à Paris du 24 février au 22 mai 2010 et au musée du Prado à Madrid du 22 juin au 19 septembre 2010.