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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Entretien : Pierre Audi

Pierre Audi signe la nouvelle production d’Orlando furioso au Théâtre des Champs-Élysées.

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 5 mars 2011

par Pierre-René SERNA

Pierre Audi conjugue la responsabilité d’une grande maison lyrique, l’Opéra d’Amsterdam, et la fonction de metteur en scène, recherché par tous les Opéras internationaux. Cet ami de Daniel Barenboïm et d’Edward Saïd, disparu en 2003, avec lesquels il partage une même conviction pacifiste, signe la nouvelle production d’Orlando furioso de Vivaldi au Théâtre des Champs-Élysées à Paris (du 12 au 22 mars).

Votre parcours de metteur en scène lyrique semble sans exclusives, abordant les époques et les styles les plus divers. Pour Orlando furioso, prévoyez-vous une conception historiciste ou actuelle, ou une sorte de ligne de partage entre les deux ?
Ma conception serait plutôt historique. Tout en faisant des choix actuels sur la façon de narrer. Le propos visuel reste ainsi référencé, en ce sens que les personnages sont costumés à la manière du XVIIIe siècle. Comme l’étaient les opéras à l’époque, quand les sujets mythologiques, ou médiévaux dans ce cas, étaient revus par le siècle, celui de Vivaldi en l’espèce.

Et la touche actuelle, où la verriez-vous ?
Cette histoire psychologique entre différents personnages est de tous les temps. Il y a aussi un aspect féerique, avec une sorcière et un élément de magie – que l’on doit respecter sinon la trame est incompréhensible –, mais qui laisse l’intrigue s’épanouir psychologiquement. Je la traite sur ce plan, plutôt comme une pièce de théâtre actuel, que comme une simple suite d’airs chantés.

Pierre Audi
Crédit Erwin Olaf

Justement, comment traiter de nos jours cette allégorie, ce climat de féerie ?
Je fais appel à la machinerie, bien sûr, mais de façon subtile. La production reste relativement minimaliste, assez austère ; avec des touches dans la façon d’utiliser les décors, par exemple, non réalistes, qui suggèrent plus qu’ils ne montrent cet aspect féerique.

Il est beaucoup question de folie dans Orlando furioso. Comment la transcrire scéniquement ?
La folie est liée au tempérament d’Orlando, être humain obsédé par une femme, et sensible à ce qu’il subit d’elle. Il est amoureux mais n’arrive pas à la conquérir, puisqu’elle lui préfère un autre, tout en se jouant de lui. La folie d’Orlando surgit d’entrée, au début de l’opéra, quand il devient le jouet des autres personnages, Angelica et Alcina. Une sorte de torture morale. J’essaye de traduire cela dans l’expression et les mouvements. La musique est de ce point de vue le meilleur soutien, avec la manière de Vivaldi de traduire les tourments et les sentiments intérieurs. Il faut alors simplement organiser le jeu, sans tomber dans l’excès. Je travaille beaucoup sur le vif, avec les chanteurs, en fonction de leurs tempéraments propres. Je ne chorégraphie donc pas, mais m’adapte à chaque individualité, puisque les chanteurs sont aussi des acteurs.

Question d’un autre ordre : cet opéra a des résonances dans l’actualité présente, si l’on songe au Moyen-Orient dont vous êtes originaire… Vous y aviez fait référence dans vos Troyens, en 2003 à l’Opéra d’Amsterdam, en dédiant notamment la production à votre ami Edward Saïd. On trouvait aussi quelques allusions dans la Juive, reprise à l’Opéra de Paris. Est-ce que de nouveau apparaît ici ce type d’occurrences ?…
Pas vraiment. Dans le cas des Troyens, il s’agit d’un opéra qui s’y prêtait, sur le destin des civilisations, une pièce politique en quelque sorte, qui parle de peuples opprimés. Pour la Juive également, mais avec discrétion. Orlando furioso, non. Il y a bien un thème de cet ordre, puisque Alcina serait musulmane quand Orlando est chrétien. Mais c’est accessoire, et Vivaldi n’utilise pas ce ressort dans son opéra. Il y a une morale, sans plus. Orlando sort mutilé, à titre personnel. Meurtri par un jeu dangereux.

Donc, dit d’une autre manière, il n’y aura pas d’allusions aux situations politiques actuelles, Tunisie, Égypte, Palestine, Israël et autres…
Si j’avais dû faire allusion à la Tunisie ou à l’Égypte, cela veut dire que j’aurais eu des dons de divination, pour prévoir les événements un an auparavant. Car, comme vous le savez, ce genre de production se planifie longtemps à l’avance.

Tout autre sujet : pensez-vous que l’on puisse tout demander aux chanteurs ? Y compris des postures et contorsions qui pourraient les gêner pour leur émission vocale ?
Il ne s’agit pas de gêner les chanteurs dans leur office premier, qui est de chanter. Bien entendu. Mais il convient qu’ils prennent une responsabilité, qu’ils incarnent un personnage, des sentiments, des réactions. Chanter est aussi jouer. Le comportement sur la scène en découle. Cela dit, je n’ai pas la perversion de demander des choses impossibles, ou contradictoires avec le chant. Il faut trouver la bonne mesure, et travailler en accord avec les interprètes. Pour Orlando furioso, il est vrai que les costumes XVIIIe siècle que j’ai choisis se prêtent mal pour se rouler par terre toute la soirée…

Est-ce que l’on peut être amené à modifier sa conception scénique en fonction de la personnalité de l’interprète, que l’on découvre parfois au moment des répétitions ?…
C’est une obligation ! Je prépare ma mise en scène avec une idée générale, quasi approximative. Et en fonction du travail sur le terrain, je module, je modifie, je nuance. C’est aussi ce qui est passionnant dans le métier de metteur en scène.

Les arias da capo présentent une difficulté : celle d’animer dramatiquement un personnage au moment où il reprend perpétuellement les mêmes propos. Comment la résolvez-vous ?
Une difficulté énorme ! J’ai une réponse, mais de différents ordres. Ce n’est pas mon premier opéra baroque, avec successions d’arias da capo. J’ai donc acquis ma méthode, mon style : donner une crédibilité aux répétitions musicales au sein d’un air, en utilisant les coloratoures pour l’expression, tout en animant ce qui se passe autour du personnage. Les airs sont des situations de dialogue. C’est rarement réductible à un monologue. Une autre façon de continuer à raconter… Il convient donc de ne pas uniquement se centrer sur le personnage qui pousse son aria.

Comment situer Orlando furioso au sein de votre chemin de metteur en scène lyrique ? Est-ce un vieux projet ?
C’est à la fois un hasard et la suite d’un parcours. J’avais fait Alcina de Haendel, et l’an prochain je prévois Orlando du même Haendel à la Monnaie de Bruxelles. Il y a donc une sorte de trilogie thématique. Trois versions opératiques sur une trame apparentée, traitée dans des styles différents. Le hasard a donc joué dans le bon sens.

Ce qui amène à parler de vos prochaines productions lyriques…
À la suite de cette production au Théâtre des Champs-Élysées, viennent différentes reprises sur d’autres scènes : Dionysos de Wolfgang Rihm, créé l’été 2010 à Salzbourg, et repris à Amsterdam en juin ; les deux Iphigénie de Gluck, en Aulide et en Tauride, données à Bruxelles en 2009, reprises toujours à Amsterdam en septembre. Et j’ai prévu un Parsifal tout neuf pour 2012 à Amsterdam, juste après Orlando à la Monnaie.

Propos recueillis par Pierre-René Serna