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Théâtre des Champs-Elysées, Paris
Entretien : Michel Franck

Nouveau visage aux Champs-Elysées...

Article mis en ligne le novembre 2010
dernière modification le 14 décembre 2011

par Pierre-René SERNA

Michel Franck succède à Dominique Meyer, désormais appelé à diriger l’Opéra de Vienne, à la tête artistique du Théâtre des Champs-Élysées. C’est un directeur qui connaît bien la maison, pour avoir été pendant de nombreuses années la cheville ouvrière des récitals lyriques “ Jeanine Roze Production ” en ce même théâtre. Son projet est donc parfaitement mûri.

Quand on voit la programmation de cette saison, il y a tout à la fois un geste continuité et d’ouverture. Est-ce à dire qu’une part reviendrait à Dominique Meyer et une autre vous incomberait ? 
Dominique Meyer n’a rien fait, c’est bien simple. Car j’ai préparé longuement en amont cette saison. La seule chose pour laquelle Dominique avait pris une option, que j’ai confirmée bien évidemment, c’était les symphonies de Beethoven avec la Philharmonie de Vienne, avec laquelle il entretient bien sûr un lien tout particulier. Il m’avait donc proposé cette intégrale avec Thielemann, que j’ai acceptée d’enthousiasme. Mais pour le reste, le calendrier résulte cent pour cent de mon fait.

Michel Franck
Photo Stéphane C.

La question pouvait se poser, car il y a en quelque sorte un héritage de l’époque Meyer. Où mettez-vous alors votre touche propre ?
Je maintiens une fidélité à l’époque précédente, c’est vrai. On aura toujours de l’opéra baroque, avec une diversité de présentations, scénique ou de concert. À partir de là, je vais étoffer certains éléments autres : comme la musique contemporaine, puisque nous commençons avec Passion de Pascal Dusapin et Sasha Waltz, et puis le répertoire italien, Donizetti, Cherubini ou Spontini, et aussi de nouveaux artistes, de nouveaux orchestres, de nouveaux chefs d’orchestre…

Une fenêtre sur l’art lyrique contemporain, donc, et également sur le bel canto…
Dominique n’avait jamais fait d’opéra contemporain. En commençant ainsi ma saison, c’est une forme de marque que j’imprime. Pour le bel canto, je prévois Don Pasquale la saison prochaine, la Vestale de Spontini pour 2013… Le baroque trouve son prolongement logique jusqu’au début du XIXe siècle… Les opéras strictement baroques, Haendel, Monteverdi ou Cavalli, vont désormais se résumer à un seul par an, en production scénique du moins, à partir de 2011-2012.

Pour autant, conserverez-vous l’esprit des restitutions baroqueuses, ou d’époque ?
Pas systématiquement. Disons que le style d’époque dominera, pour des Rossini ou la Vestale, mais Don Pasquale par exemple sera à la charge de l’Orchestre national de France… Cela sera fonction de l’œuvre et des interprètes sollicités. Nous verrons aussi les réactions. C’est le public, en dernier ressort, qui décide. En tout cas, j’essaye d’avoir un respect du lieu, indépendamment de mes goûts personnels. Je ne tenterai pas des entreprises qui ici n’auraient pas droit de cité.

Vos goûts personnels, justement : vers quoi vous porteraient-ils ?
Je suis extrêmement éclectique. Dans l’opéra, j’aime de Monteverdi jusqu’à Dusapin… C’est un peu une question de moments. Il y a ceux qui se prêtent à Wagner ou Richard Strauss, d’autres à Haendel, au quatuor à cordes, au piano, ou alors à la musique brésilienne ou au hard-rock… Mais il y reste des musiques qui conviennent à ce théâtre et d’autre non. Le hard-rock, non ! Mais le flamenco ou le tango, tels que les pratiquait Dominique Meyer, pourquoi pas ? Et la danse de ballet aussi, comme la chorégraphie de Sylvie Guillem et Robert Lepage que je ferai en fin d’année.

Des travaux ont été réalisés dans la fosse du théâtre. D’autres sont prévus, au cours de l’été prochain, concernant les dessous et planchers de scène. Ces acquis permettent-ils d’autres possibilités ?
Nous pourrons accueillir désormais quatre-vingt-dix musiciens dans la fosse. Ce qui ne signifie pas que je m’attaquerai au Crépuscule des dieux ou à Elektra… Mais au plan scénique, comme des œuvres, le champ est plus ouvert. D’où l’étendue offerte du répertoire lyrique, du XIXe siècle au contemporain…

Façade du Théâtre des Champs-Elysées

2013 s’annonce, qui est le centenaire du théâtre. Comment pensez-vous le célébrer ?
Il y aura des manifestations très importantes, que je ne peux dévoiler pour l’instant. Mais je peux lever un coin du voile : puisque c’est également le centenaire du Sacre du printemps, créé en ce théâtre. Et puis 1913 a vu Kovantchina de Moussorgski, Pénélope de Fauré, Benvenuto Cellini de Berlioz, mais aussi le Freischütz, Lucia di Lammermoor… Cela a été un festival incroyable que cette première saison du TCE. Au point que le directeur, Daniel Astruc, a fait faillite à la suite, même si les circonstances, le déclenchement de la guerre, ont aussi joué. Nous ne pourrons vraisemblablement pas tout refaire… Et je n’ai pas envie de reproduire exactement cette toute première saison. Je préférerais donner la marque des événements majeurs des cent dernières années en ces lieux…

Le Théâtre des Champs-Élysées demeure toujours de gestion privée. Y voyez-vous des contraintes ?
J’ai la chance d’avoir un propriétaire, la Caisse des Dépôts et Consignations, en même temps actionnaire et mécène, qui me fait une confiance absolue et me laisse une liberté totale. À condition que mon budget soit équilibré et que la politique artistique réponde à l’esprit du lieu... Il est évidemment exclu de verser dans la variété, ou le hard-rock que j’évoquais précédemment… Mais ainsi, ni la Caisse des Dépôts, ni Raymond Soubie, le directeur du conseil d’administration, ne se mêlent de la programmation.

J’ai constaté un phénomène à Paris, ces dernières années… Il n’y a plus, semble-t-il, d’entente entre les différents théâtres à vocation lyrique. Pensez-vous pouvoir y remédier ?
Si nous pouvions nous voir, les uns et les autres directeurs, ne serait-ce qu’une fois par an pour évoquer nos projets et éviter les doublons, ce serait parfait. Ce n’est pas encore le cas. J’ai toutefois d’excellents rapports avec mes confrères. Je connais très bien Jean-Luc Choplin ou Jérôme Deschamps. Donc, il nous est arrivé d’échanger. Par exemple, je ne ferai pas un Barbier de Séville que le Châtelet programme, et inversement l’Opéra-Comique a renoncé à la Vestale que j’envisage…

Vous restez cinq ans. Prévoyez-vous de renouveler votre contrat ?
J’arrive, seulement. La question est un peu prématurée. Dominique Meyer est resté onze ans, Alain Durel dix ans… L’avenir dira. Quoi qu’il en soit, mes cinq prochaines saisons sont déjà quasiment bouclées. Je suis en train de fixer la saison 2014-2015, au moins les canevas. Pendant les deux ans et demi qui ont précédé ma venue à ce poste, je n’ai quasiment fait que de la programmation. Je suis donc déjà bien avancé. En espérant avoir trouvé une cohésion pour ces cinq années.

Propos recueillis par Pierre-René Serna